vendredi 26 janvier 2007

Prades aux Champs-Elysées, la cathédrale engloutie de Marc-André Dalbavie


Musique Française

On ne peut imaginer inspiration plus française que celle de Marc-André Dalbavie pour ce quintette appelé « Pour Hatto » avec clarinette et quatuor à cordes, composé en 2006. Ce pilier de l’IRCAM est un compositeur aujourd’hui décanté de tout structuralisme post-boulézien et d’harmonie spectrale (le spectre est la résonance harmonique du son), deux courants dont, dit-on, il fut le meilleur conciliateur. Aujourd’hui libre de toute étiquette, naviguant dans une harmonie traditionnelle élargie par toute cette expérience, il suit le fil stylisé du langage français qui fait la poétique d’un Debussy, mais aussi d’un Poulenc, d’un Dutilleux. Une sorte de déroulement du temps, de finesse rythmique et orchestrale qui semble indiciblement issue de la langue française, avec ses économies de son, ses vagues douces.

Un dédicataire prétexte
Il n’est pas tant important de se figurer un Marc-André Dalbavie attablé autour de ses amis musiciens et lançant l’idée de composer une œuvre par amitié (comme un Schubert de l’ancien temps), ce jour où le grand altiste viennois Hatto Beyerle du Quatuor Alban Berg annonce sa retraite musicale. La boutade était pour le pousser à reprendre aussitôt son archet. Laissons, car l’œuvre parle de tout autre chose et semble un tableau intime.

En l’absence du compositeur, les musiciens badinent pour nous exposer l’œuvre

Cette courte musique fut jouée une première fois tout agitée et fluide, les musiciens dialoguent maintenant pour nous expliquer son contenu. Les deux violons jouent leur ostinato subtilement décalé d’un temps, puis en rythme distendu, comme un ressort qui use sa course. Le violoncelle, tout en plaisantant sur la menace de crampe, montre son frémissement continuel. La clarinette au contraire développe ses volutes marmoréennes. Puis c’est au tour de l’altiste, Vladimir Mendelssohn qui par modestie ne parle pas de la fugitive fusée lyrique dédiée, superbe, à son instrument au centre de l’oeuvre. Au contraire, l’homme est versé en composition comme nous le verrons dans son interview. Il se lève, ouvre le couvercle du piano au fond à gauche de la salle, et improvise une réduction de l’œuvre pour nous en expliquer les os cachés.

Dalbavie selon Mendelssohn

Nous n’en relatons qu'un succinct résumé : d’abord c’est un jet de lumière brusque et puissant, à travers un vitrail de cathédrale, il se diffuse, se répand grâce au souple, agité mais intime ostinato des deux violons autour de la note « la ». Suit alors un choral, lointain et figé, calme. L’esprit va tantôt du jet de lumière au choral. Rejaillit l’intensité, succède le calme. Et dans ces nimbes de la note « la », voici une coda en colonnes harmoniques immobiles et altières. Tantôt un accord étrange, tantôt un accord jazz, enfin, pour finir, l’accord pur de la résonance harmonique, accord traditionnel, inconsciemment attendu et arrêt du mouvement que fut la pièce. Car l’idée musicale nue était mouvement.

« Voilà, selon moi, » conclut Vladimir Mendelssohn « le jardin secret de Marc-André Dalbavie ! »

Une deuxième écoute influencée

Hanslick le grand musicologue de la fin du XIX ème siècle disait que les auditeurs projetaient sur l’œuvre leurs propres subjectivités. Ainsi éclairé, ce quintette montrait non seulement sa parenté évidente avec la « cathédrale engloutie » de Debussy, mais évoquait immanquablement la série des cathédrales de Reims de Monnet, peintes selon les différentes heures de la journée. Susciter de telles concordances n’est pas peu, et marque la réussite d’une œuvre qui situe M.-A. Dalbavie dans un courant post-impressionniste.


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