mardi 29 avril 2008

Un Ange Roi s'installe en un opéra au bord de la mer (II) Complément sur le fabuleux Songe d'une Nuit d'été

Le filtre d'amour que Puck et Obéron agitent pour créer le songe n 'aura pas que l'épouse du roi des elfes comme victime : de simples mortels, les amoureux et un acteur de théâtre grotesque , en feront les frais. Aussi en miroir, que de facéties, de quiproquos !
II le monde des amoureux
Les amoureux athéniens arrivent, d'abord Lysander, dans la fougue du jeune premier avec une orchestration toute chargée et son Hermia. Ce changement terrestre "bel canto" juste après le monde céleste de l'Obéron de Di Falco est saisissant. Ils fuient pour se marier contre la volonté du père d'Hermia. Jonathan Boyd en Lysander est un ténor d'une pureté de timbre si "Britten" que Britten lui même en aurait été ému. Quand Hermia, Mariana Rewerski (voix chaleureuse et bien dotée autant en grave qu'en aigu) lui dit en s'endormant de ne jamais cesser de l'aimer, lui répond "amen amen à cette prière", un amen inoubliable sortant du son même du violoncelle. Sublime autant dû à Britten qu'à cet interprète.
Ils s'endorment, Puck se trompe et verse la poudre de fleur sur Lysander. Arrivent Démetrius interprèté par un solide Luciano Garay et sa persécutrice Héléna, plantée par une Graciela Oddone un brin moins souple vocalement. Tous deux se disputent, elle s'attache à lui comme son "épagneul" mais lui la repousse, il ne songe qu'à Hermia qui lui fut promise en mariage mais qui fuit avec son Lysander. Qui ne serait pas d'avis que ce rejet n'est pas une dispute de type sexuel ? Le songe tout entier ne nous le prouve-t-il pas puisqu'à la fin Démetrius aime son épagneul Héléna ?
Pour l'heure Lysander se réveille et se met à aimer Helena. Autre petit coup de poudre magique et Démetrius aussi aime Héléna ! et voilà les deux femmes se crépant le chignon, l'une traitant l'autre de naine. Les deux hommes se provoquent en duel et Puck les perd dans la forêt. Parallèlement, arrive la troupe d'acteurs qui préparent la pièce de théâtre pour le mariage du Duc Théséus et c'est l'épisode de la vengeance d'Oberon sur sa femme tombant amoureuse d'un âne (un acteur de la pièce métamorphosé).
Passons sur le sommeil réparateur des amoureux et le sublime quatuor des retrouvailles dont le thème fugué est très haendélien, et parlons d'un ultime couple d'amoureux qui surgit à la fin de l'oeuvre,Théséus et Hippolyta. On se rappelle que tout le monde attend leur mariage royal. Si ce couple n'est pas de premier plan en durée de prestation, il l'est en symétrie avec le couple Oberon-Tytania pour symboliser la royauté terrestre face à la royauté céleste. Et ils prennent la première place dès leur apparition. Paul Emile Fourny dans sa distribution ne s'y est pas trompé en choisissant la faconde et le jeu d'acteur de Paul Gay, la superbe voix et la présence statuaire de Mary Ann Stewart. Il ne s'y est pas trompé non plus dans sa mise en scène en jouant avec de subtils parapluies : ombrelle blanche et virginale pour Hippolyta (reine du jour), parapluie noir jetant de la poudre argentée pour Obéron (roi de la nuit) quand à minuit tout le monde prend congé.
III Le monde des artisans-acteurs
Quelle richesse en ce songe, il n'y a pas de seconds rôles ! Car c'est dans ce monde que l'on trouve peut-être même le personnage principal : le tisserand Bottom ( quel nom !). Les artisans athéniens préparent une pièce : "Pégamus & Thisbé". Ils sont tous argentins (entendons, les vrais acteurs qui font les acteurs athéniens), solides vocalement et acteurs extraordinaires. Ils sont d'abord le prétexte pour trouver l'amoureux grotesque de Tytania ; l'acteur Bottom, s'éloignant des autres, est transformé en âne, il vivra son songe, celui d'une nuit d'amour avec la reine des elfes. Gustavo Gibert en Bottom doit affronter lui aussi des prédécesseurs mythiques : Owen Brannigan ou Geraint Evans... Il faut reconnaître qu'il est parfait dans les jeux de regards, dans les braillements : la critique ne peut être qu'affaire de goût , donnez-nous en encore plus la prochaine fois, voudrait-on lui suggérer !
Ces comiques sont les protagonistes du dernier acte, car ils donnent finalement la pièce promise, le théâtre dans le théâtre, virtuosité absolue dont le défi fut relevé par Britten avec le succès le plus rafraîchissant. Toutes ces cavatines grotesques, et cette naïveté du Mur, et la timidité du Clair de lune ! C'est le monde de l'enfance ! Et puis cet homme en femme qui se fait poursuivre par le Lion, et le suicide à la Roméo et Juliette, tourné en dérision certes, mais si touchant. On a bien ri, voici les douze coups de minuit dans l'orchestre, tous vont se coucher et le beau choeur d'enfants arrive avec le roi et la reine des elfes pour nous bercer. Puck, comme Plaute le faisait à l'Antiquité, nous invite à applaudir: du grand Shakespeare !
IV La mise en scène.
Visiblement très inspiré par tout cela, conscient d'avoir à proposer une nouvelle mise en scène historique (puisque l'oeuvre jusqu'ici était principalement représentée sous la signature de Carsen) Paul-Emile Fourny puise dans sa première passion qui fut le théâtre. Ces chaises pourpres s'envolent en désordre vers le ciel le plus justement possible : c'est un songe ! Elles sont en ordre à la fin très logiquement et les amoureux s'y réveillent comme s'ils venaient d'assister à une séance de cinéma : c'était un songe ! Et quand la petite pièce de théâtre improvisée avec un rideau de fortune est achevée, dès lors que le monde de la nuit revient pour tous, y compris pour nous spectateurs sur le point de nous en retourner, les machinistes en silence remettent ces sièges en désordre le plus naturellement du monde : c'est l'heure de Morphée. Le tout sous la lumière lunaire due à Patrick Méeüs, survolée des grandes mains de Fabrice Di Falco comme un papillon déployé en une belle nuit d'été.

lundi 28 avril 2008

Un Ange Roi s'installe en un opéra au bord de la mer (I)


Ce songe d'une nuit d'été c'est à Athènes que Shakespeare l'a voulu et le voici au pied de la méditerranée, à Nice, pour la première fois. Evénement d'importance et succés phénoménal non seulement parce que la musique de Britten est féérique à l'égal du dramaturge élysabethéen mais aussi parce que la distribution et la mise en scène, toutes choses dues à Paul Emile Fourny, sont hors habitude et placent cette production parmi les plus belles conçues par la cité azuréenne.

I Le monde des elfes

Obéron, roi des elfes se dispute avec Tytania, son épouse, pour un enfant indien. Devant le refus typiquement féminin, il envisage une vengeance farfelue faite de songes. Ce maître des songes, Britten l'a voulu le plus éthéré possible, d'une voix surnaturelle, associée à l'enfance : celle du contre ténor Alfred Deller, un ami, le dédicataire. Britten est amateur de musique ancienne, en son temps réservée aux initiés et encore balbutiante, elle n'offrait à ses oreilles comme nouveauté aigue dans la voix masculine que les premiers contre-ténors. Deller lui fit découvrir le monde de Purcell que Britten traduit par de fines carrures (magnifique rythme lombard du cantique final), par des joyaux mélodiques, par l'orchestration allégée en célesta, en clavecin, en cordes tacites, tissu sonore pour un Obéron irréel. Aussi ce rôle, quoique placé dans un registre d'alto, n'a pas d'attaches au sol et s'envole dès qu'il en a l'occasion. L'idée qu'a eu Paul Emile Fourny d'y employer un sopraniste renouvelle la tradition interprétative d'Obéron déjà chargée en falsetti mythiques : Alfred Deller, James Bowman, Russell Oberlin, Henri Ledroit, Jeffrey Gall, David Daniels. Le pari était risqué car il fallait trouver la voix capable de donner du son dans le grave tout en tirant le rôle vers cet aigu inaccessible: le résultat est féérique, il s'appelle Fabrice Di Falco, sopraniste martiniquais. Obéron magique d'un son égal et beau, doux avec une franche tendresse, altier aussi comme son port de tête, digne enfin, bien qu'empli d'inflexions sensuelles.

Une voix de soprano masculin renforce la gémellité d'Obéron et de sa femme Tytania, la reine des elfes. Tytania a été voulue soprano colorature pour exprimer le désir sensuel, en même temps ce désir ne s'exprime pas immédiatement et Britten a sciemment placé Tytania dans des graves presque en mezzo-soprano pour mieux faire surgir les fioritures acrobatiques - dans lesquels brille souplement la canadienne Mélanie Boisvert. Tout un monde inconscient des forces de la nature "Terre et Ciel" s'élève en nous pour ces dieux païens mi alto mi soprano, mi grecs mi celtiques.

Ajoutons Puck (dieu archaïque ?) au service d'Obéron. C'est lui qui apporte la fleur magique et qui se trompe à rendre qui amoureux de qui (au grand plaisir d'Obéron) : son rôle est parlé, avec la virtuose scansion shakespearienne, l'humour et le jeu d'acteur remarquable de Scott Emerson qui montre cependant sa voix de ténor capable d'imiter les amoureux, l'un baryton (!), l'autre ténor, dans la scène où il doit les perdre en la forêt. Louange au passage à la bravoure de la trompette en ré qui l'accompagne tout le long de l'opéra.

Enfin dans le monde des elfes il y a le choeur des fées. Britten le voulait de jeunes garçons : il y en avait ici, dont un petit bout qui a fait craquer tout les coeurs de mères dans l'assistance; il y avait surtout des filles (une d'elle est une danseuse hors pair et d'une rigueur de travail remarquable). L'an passé le choeur d'enfants était moins bon dans "Sans Famille", il est parfait dans Britten. Bravo à Philippe Négrel.

Tout n'est pas dévoilé ici, ni la direction du gentleman chef d'orchestre Arthur Fagen, ni la beauté de la mise en scène de Paul-Emile Fourny, ni les costumes de Louis Désiré, ni le monde des amoureux (et quelle voix magnifique a le ténor Jonathan Boyd !), ni celui des artisans-acteurs (quel humour pour Ricardo Cassinelli - notons l'exploit du casting argentin) : c'est pour vous inviter à prendre les dernières places et vous précipiter à ce "théâtre dans le théâtre à l'opéra", à l'ultime représentation mardi 29 avril à 20 h!

dimanche 20 avril 2008

Contes & dialogues de Cédric (II) : triste sérénade de la viole et du violoncelle

dédiée à Laurence Musso,
pensé pour Thierry Pécou & Silvia Lenzi ainsi qu'Agnès Mellon,
écrit par Cédric Costantino


Outre la narratrice et les instruments, il y a le chœur à quatre voix. Quoique des poses sont ménagées pour laisser la musique parler seule, les dialogues sont chantés et la narration parfois psalmodiée, parfois parlée.

C’était sur l’océan calmé par le récif tout près des côtes d’une île nouvelle : le bateau tantôt s’endormait dans un coucher de soleil flamboyant, tantôt se réveillait dans la musique et la fraîcheur du matin. C’était protégé par la barrière de corail : les rouleaux du Pacifique scandaient le temps au loin, mais rien ne bougeait sur le rivage, rien ne frémissait dans les branches des cocotiers. C’était toujours au moment où les oiseaux chantaient pour annoncer le lever ou le coucher de soleil. Alors on donnait une sérénade sur le navire de l’amiral Bougainville, les musiciens étaient modestes quoique bien apprêtés de leurs beaux habits de marins. Bougainville écoutait, les oiseaux écoutaient, les tahitiens sur la plage écoutaient.

Rouleaux du Pacifique


Là, sur le bateau, il était un clavecin amoureux d’une viole de gambe: il lui déclarait sa flamme avec la ferveur et l’audace juvénile, mais la viole, farouche répondait timidement dans la plus grande bienséance. C’est qu’elle était toute belle cette viole, elle était entièrement incrustée de nacre et parée d’une tendre tête de princesse. Aussi le Clavecin redoublait-il toujours d’éclat et de distinction pour la convaincre. L’archet qui était la conscience de notre demoiselle et pour ainsi dire le fond de son âme, lui parlait ainsi :

« Crois-tu aimer le clavecin et vouloir l’épouser ? »

Elle de répondre :

« Grand père, il est élégant et courtois et c’est un bon parti, mais j’hésite tant ! »

Et l’affaire, chaque jour, en demeurait au même point ainsi accompagnée du chant des oiseaux.

Dialogue du clavecin et de la gambe accompagné des oiseaux

Bougainville dans son fauteuil pensait en homme des Lumières :

« Ah, que ce chant et beau et que l’air et frais : à entendre la sérénade il y a du bon dans notre civilisation bien qu’elle soit cruelle et rapine, qu’elle eût tant de guerres et que nous n’ayons pas le droit de priver les tahitiens de leur belle terre en nous l’accaparant !».

Et il entendait au loin dans la forêt la danse des indigènes.

Au loin danse des Tahitiens

Un jour qu’il y eut un échange commercial avec un bateau espagnol, un beau violoncelle verni de rouge satiné fut porté au navire. Bougainville trouva en son équipage un cuistot italien qui savait en jouer. Comme l’archet en était perdu, on prit le parti d’échanger durant la sérénade entre la viole et le violoncelle l’unique archet. De main en main, tant bien que mal, l’archet s’acquittait de sa double tâche car normalement le violoncelle a un archet inversé. Aussi la viole dialogua -t-elle avec le nouveau venu et pour elle ce fut une révélation.

Merveilleux dialogue alterné de la Viole et du Violoncelle accompagné par le clavecin un peu rageur.

« Que je le trouve beau, dit-elle à son confident l’archet, il est fluide et habile, il est plein de résonance et de brillant, et avec ma petite voix implorante j’ai envie de me blottir dans ses bras solides ».

« Prends garde à ne pas t’égarer ma toute jolie, lui répondit, fort contrarié, l’archet, cet instrument ne peux que te nuire, sa voix est trop forte et ne peut comprendre ni même entendre aucun de tes ornements : tu n’es pas faite du même bois et vous n’êtes point assortis ! C’est un rustre, il est rugueux et quintoit[1] ! Bien loin de lui le clavecin est de ta distinction et sied à ta finesse »

« Mauvais conseiller ! tu ignores que l’amour ne s’explique pas et n’a cure des apparences, je l’aime voilà tout ! »

Et de ce jour l’archet fut d’une grande taciturnité, se gardant de donner son avis. Pour autant, il se mit entre eux deux et maltraita les cordes du violoncelle.

Ah combien, au final, ils étaient malheureux de ne pouvoir chanter ensemble ! Combien le regard de l’archet et du clavecin les chagrinaient … le jeu du clavecin s’était terni; jaloux, humilié, il n’avait plus cette étincelle. Bougainville s’était lassé, ou bien avait-il trop à faire avec les astrolabes, ou encore la faim se faisait-elle ressentir sur le bateau maintenant au large et désespérant d’une terre.

Piteuse tristesse de tout le monde à bord, jérémiade des marins.

Tandis que le clavecin était rangé dans sa caisse en forme de sarcophage, à l’abri de l’humidité, on avait délaissé depuis plusieurs jours la viole et le violoncelle enlacés l’un sur l’autre dans un canoë suspendu au rebord du bateau. Ils étaient restés là après avoir joué sur la plage pour le départ du navire. C’était la nuit au large, bien loin du monde, lorsque le violoncelle éleva sa prière :

« Ah ! Puissions-nous sur ce rafiot partir ensemble, loin, loin de cet univers hostile et chanter sans contrainte d’une même voix ! ».

« Mais l’archet sera toujours contre nous, regarde : il est sur le nœud de la corde qui nous attache au grand navire… »

« Ah ! puisse une aide nous être portée ! »

Aussitôt se posa un bel oiseau. Le violoncelle lui dit alors un bref son. L’oiseau s’approcha. De son bec il pinça la corde. C’était pour lui ludique : il se fit à l’instant complice. Or l’archet furieux vint frapper l’oiseau qui rétorqua en l'emportant dans les cieux et le jeta sur le rebord du grand navire… l’archet se brisa, puis chut en l’eau.

Bataille de l’oiseau et de l’archet

« Malheur à toi douce Viole ! dit l’archet en mourant, vois ce qu’a fait de moi ton effronté de soupirant et son complice ! Tu n’as plus de conscience, ta passion te perdra ! ».

Et la viole pleura sur son grand père.

Pleurs en staccato et en harmonie de la viole

« Console toi ! rétorqua le violoncelle, regarde, l’oiseau a compris ma prière: il défait le nœud du bateau; à nous la liberté, fuyons ! »

Fugue


Alors l’oiseau ouvrit grand ses ailes et frotta de l’une et de l’autre tout ensemble les cordes de la viole et du violoncelle. Et pour la première fois ils purent chanter ensemble.

Magnifique chant de la viole et du violoncelle

Puis l’oiseau s’envola dans la nuit. La lune était belle sur l’horizon immense, les vaguelettes cajoleuses, le monde sublime. Tout d’un coup, passèrent des baleines, des baleines lumineuses, blanches, joueuses, géantes. L’un contre l’autre, d’un bonheur plein d’humidité réchauffée par l’étreinte des sentiments, ils entendaient le chant des baleines, ils admiraient le ballet immense : au loin s’immergeant, jaillissaient les corps lourds sous le clair de lune ![2]

Ballet et chant des baleines

« C’est merveilleux ! le monde est une immense étendue d’eau jusqu’à l’infinie… et au dessus ! tant d’étoiles !… Je t’aime ma tendre viole »
`
« J’ai peur ! il me semble qu’on ne pourra jamais retourner et qu’il n’y a nulle part où aller… »

« Ne t’inquiète pas, je suis là pour te protéger, je n’aime que toi, je n’aimerai jamais que toi ! »

« Alors je suis apaisée et tranquille en tes bras… »


Soudain surgit une pirogue toute pleine d’aborigènes en l’obscurité. Ils chantaient en rythme pour se donner du courage. Une grande clameur se fit entendre quand ils virent le canoë. Ils convoitaient bien quelque chose ! Ils l’accostèrent. Ils s’emparèrent de la viole, au couteau en défirent toute la nacre, car ils étaient en grande nécessité de ce matériau pour décorer la proue de leur pirogue et les figures de leurs statues. Ils prirent tout autant les beaux yeux de sa tête, et cinq de ses cordes, n’en laissant qu’une trop bien attachée. Ils négligèrent le violoncelle du fait qu’il était sans décoration.

Saccage de la viole

Puis ils repartirent comme ils étaient venus. Alors pour la dernière fois, la douloureuse viole chanta son plus beau chant avec son unique cordon

« Las ! Je sens la mort qui déjà me glace … mais l’amour, l’amour pour toi est la dernière pensée de mon âme. Vois-tu, je ne regrette rien, ta voix continuera la mienne… »

Chant d’agonie de la viole

Elle était atrocement blessée, l’espoir demeurait pourtant au violoncelle, il voulait tant qu’elle vive ! Il éleva une autre prière :

« On peut te restaurer ! gommer les outrages des couteaux ! t’incruster de nouveau d’une nacre plus précieuse encore ! te sculpter des yeux bien plus doux … va ! Puisse-t-il surgir une aide ,que l’on retrouve des êtres humains avant que tu ne rendes l’âme , et combien le temps presse!… je t’aime tant, je te sauverai ! »

Cri du violoncelle

C’est alors que bondirent des dauphins et qu’ils s’accolèrent à la coque pour, en toute rapidité, chercher à rejoindre la grande terre.


« Tu vois tout n’est pas perdu, tiens bon ma toute belle ! ».

Un rorqual dispersa les dauphins, effrayés et craignant pour leur vie. De son immense queue il fracassa l’embarcation et par le même coup la frêle caisse de la viole.

« Je meurs. »

Le violoncelle, impuissant mais sauf, flottait sur l’eau et le vent faisait frémir ses cordes et elles pleuraient, pleuraient de détresse, « non ! non ! »[3] disaient-elles jusqu’à ce que le dernier bois de la viole sombrât au dessous des flots.

Puis, ce fut un silence d’étonnement, celui du drame accompli.

Le silence des pleurs

Sans courage, le violoncelle se laissa porter à la dérive. Il échoua sur un îlot. Il y avait là, dans la végétation, un ermite sage, une guitare, qui était posée sur le squelette d’un pirate. Elle vit le violoncelle et l’éveilla doucement. C’est alors que les pleurs virent en quantité incroyable dans les yeux ou plutôt les ouïes de Violoncelle.

« J’ai perdu ma moitié… j’ai perdu l’amour de ma vie… elle n’est plus ma toute belle… Ma viole de gambe… »

« Parle ! Parle d’elle ! exprime toi, déverse ton chagrin : c’est ainsi que se fait le travail de deuil. Et pendant que tu reprends conscience et que dans les pleurs tu t’abîmes, je vais te chanter de tendres paroles, celles du genre musical de la consolation en hommage à ta bien aimée; ne m’écoute pas, laisse le son te bercer, il te suffit d’entendre… »

Consolation sur la mort de la viole par la guitare-ermite

A peine la consolation fut elle achevée que les Anglais accostèrent sur l’île. La guitare alla se cacher dans les feuillages humides : elle ne voulait pas retrouver la civilisation. On ramassa, à côté du squelette, une cassette remplie de diamants et de broches d’or. On l’admira quelque peu – c’était ce que l’on cherchait – mais ce devait être une habitude que ce genre de trésors… bien au contraire, toute l’attention se porta sur le magnifique violoncelle miraculeusement intact quoique gonflé d’eau.
Air guindé des anglais et leur stupéfaction

« J’ai été éduqué chez les luthiers, dit le charpentier de la britannique nef[4], je sais comment faire pour sauver le bois et le bien sécher, nous allons l’offrir au capitaine, n’est-il pas ? »

« Il est en effet ! » répondirent les autres en chœur.

C’est ainsi que du navire de Bougainville le violoncelle passa à celui du fameux capitaine Cook.

Quand il fut sorti de sa convalescence, et qu’on lui eut donné un nouvel archet qui était, comme on l’a dit, dans le sens inversé de celui de la viole, on mit le violoncelle dans les mains d’un gentleman musicien: il sonna bien plus fort qu’auparavant. Or Cook avait un piano-forte, instrument récemment à la mode et qui commençait à faire ses preuves et même à concurrencer le clavecin. Violoncelle s’accordait à merveille au son puissant de Piano. Leurs élans étaient vigoureux ! La joie s’empara de notre ami, il connaissait une chaleur inconnue, il oubliait même ses malheurs et sa chère viole… il lui semblait n’avoir jamais été en telle osmose avec aucun instrument.

Heureux dialogue du piano et du violoncelle

Le piano se mit à l’aimer tendrement d’une fraternelle amitié, et le violoncelle lui vouait la gratitude que l’on doit à celui qui nous sauve la vie.

Rires du piano et du violoncelle

Or un jour que le bateau était amarré à Portsmouth, la jeune fille du capitaine voulut pour son retour lui faire une surprise. Elle porta sur la nef sa harpe devant le capitaine et fit un joli concert. Le violoncelle vit la harpe et la trouva charmante. Il s’en entretint avec l’archet devenu sa nouvelle conscience :

« Que penses-tu, Grand père, de la harpe ? Ne devrais-je pas l’épouser ? »

« N’étais-tu pas heureux en la compagnie du piano ? Veux-tu renoncer à un tel concert en harmonie ? Ecoute ta nature et fais le bon choix ! »

« Le piano est très apte à faire cavalier seul et sa voix peut très bien s’affranchir de mon aide… »

« Lui peut-être mais toi ? L’amitié vaut de l’or, elle t’avait donné un équilibre qui te consolait de l’amour déçu. Qui sait si tu ne souffriras pas encore avec cette demoiselle ? »

« Impossible, elle a tout pour être la plus parfaite compagnie, elle est calme, belle, c’est un bon parti, c’est une princesse : je n’hésite pas ! »

« Est-ce suffisant, l’aimes- tu comme tu as aimé la gambe ? T’entendras-tu avec elle comme tu as fusionné avec le piano ? Est ce par amour ou par choix social ? Ne vaut-il mieux pas continuer ton histoire sans princesse ?

« Tout conte doit finir par des épousailles ! Je ferai comme je l’entends ! »

Alors le violoncelle descendit du bateau, il quitta le voyage, il quitta le piano qui se mit à pleurer.

Nocturne du piano pour son amitié perdue

Or dès que Violoncelle joua pour la première fois avec son épouse, le son pincé de sa moitié lui rappela le passé :c’était comme celui gracieux du clavecin, certes en plus féminin, certes enveloppé d’un halo ravissant, mais c’était d’un cousinage si évident que le passé ne pouvait manquer de surgir et avant tout l’image de la belle viole de gambe et son chant de jadis. Il ne pensait qu’à sa voix et il pleurait à nouveau son amour perdu.

Dialogue en écho du violoncelle de la harpe avec le clavecin et la gambe défunts,
Plus terrible encore quatuor des vivants et des morts

Puis, réalisant qu’il s’était trompé en épousant la harpe, lui vint le regret et la culpabilité d’avoir abandonné le piano son ami qui lui avait tant redonné de joie,qui l’avait sauvé du deuil.

Pleurs du piano au loin

La harpe vit bien que son cœur était ailleurs et qu’il ne l’aimerait jamais comme elle l’aimait, mais comme elle était de nature douce : elle accepta tacitement sa condition, endura son sacrifice avec le dévouement d’une femme délaissée mais fidèle.

Quintet de tous les instruments


MADRIGAL FINAL :

Jamais n’est bon de vivre en souvenir du passé :
C’est souffrance et pour soi et pour autrui.
Ecoute, oui, écoute ta voix intérieure,
Ne cède que peu au seul devoir du social.

Un jour peut-être,
Dans l’amitié quotidienne,
Dans la complicité des heures communes,
Il sentira dans son cœur
Poindre la tendresse pour son épouse
Tant la passion n’est point le seul combustible
Du mystère de l’amour.




Le commentaire d'oursin bleu récupéré sur le lien originel après que c lien ait été honteusement hacké et squatté par un tchat clandestin, ce qui n'est pas à la gloire ni de google ni de B blogger.

oursin-bleu a dit…
Ca aussi c'est très beau... J'ai beaucoup aimé. La seule chose qui m'a... moins plûe, c'est le madrigal final - pourquoi écrire des vers sans rimes ?

Par contre, il y avait une phrase qui m'a fasciné tellement... que je l'ai recopié sur mon blog (mais dans une entrée privée, que je puisse voire toute seule, traquillise-toi !). C'est :
"Plus terrible encore, le quatuor des vivants et des morts"
C'est... C'est - je... le seul fait que je l'écris ici par coeur sans le chercher...
Merci. Ecris quelquechose pour moi, veux-tu ?
Oursin bleu.

mercredi 16 avril 2008

Contes & dialogues de Cédric (III) : le songe de Silvia, intermezzo


Cédric - Toi, tu dois dormir avec Anatososo !
Silvia - Mais je ne suis plus une enfant, je ne dors plus avec une peluche !
Cédric - Pas de discussion, si tu veux dormir chez moi, tu dors avec Anatososo !
Anatososo - Silvia, tu dors ? Viens ma toute belle, prends ma main !
Silvia - Oh ! laisse moi dormir encore un peu...
Anatososo - Regarde, ne le trouves-tu pas beau mon jardin ?
Silvia - Mon dieu ! comme elles sont grandes ces tiges !
Anatososo - Ce sont des prêles géantes, on les appelle Calamites. Voudrais-tu en goûter, c'est amer.
Silvia - sans façon, je ne suis pas un dinosaure, moi, encore moins un dinosaure en peluche !
Anatososo soupirant - Ah, je sais, je ne suis pas très joli avec mes trois cheveux sur la tête !
Silvia lui prenant la main - C'est pas grave, tu es si gentil, je me sens bien dans ton jardin féérique !
Anatososo - tiens ! je t'offre une fleur de magnolia archaïque, son odeur est mi rose mi citron...
Silvia - Anatososo ...
Anatososo - Regarde moi dans les yeux ! ne suis-je pas doux ?
Silvia - Oh ! au fond de ta prunelle noire scintille le reflet des lampes !
Anatososo - C'est que mes yeux sont faits du reflet de ces billes que les enfants lancent au milieu de la cour de récréation !
Silvia - Ils tremblent d'émotion...
Anatososo - Ils tremblent d'émotion pour toi !
Silvia - Puis-je poser ma tête sur ton ventre rond et tout molletonné ?
Anatososo - Je suis une peluche, c'est ma seule et unique fonction ! (pause) Ne veux-tu pas rester avec moi ? Là-bas ils sont durs, cruels avec ton coeur, ici tout n'est que tendresse !
Silvia - Je ne sais... tes yeux ... Je veux bien t'épouser...
Anatososo - Embrassons-nous !
Silvia tenant des sphinges dans ses bras - Regarde tes enfants, elles sont belles, elles ont ma tête, des ailes et ton corps en peluche, ce sont des sphinges !
Anatososo - Nous les appellerons énigmes musicales !
Les Sphinges - Nous formons des canons, des fugues et du contrepoint !
Silvia inquiète - Anatososo penses-tu que c'est bien d'avoir des enfants comme cela ?
Anatososo - C'est ce qu'il faut !
Cédric - Silvia, réveille-toi, il est 5h62 du matin : on va prendre le train dans un quart d'heure pour visiter toute la vallée de la Roya et on rentrera par le train de 00h11 à Vintimille, j'ai prévu un marathon touristique pour toi !

mardi 8 avril 2008

Contes & dialogues de Cédric (III) : Noé & les dinosaures, opéra darwiniste

Dédié à Thomas Leininger
écrit par Cédric Costantino
Prologue
Une iguane, Darwin
L'iguane - Petit père ! Je voudrais écrire avec une de mes piques bien taillée et de l'encre ocre !
Darwin - Que désires-tu écrire, enfant au doux baiser?
L'iguane - L'histoire de ce qui est arrivé aux dinosaures quand Noé fit son arche !
Darwin - Malheureuse, n'as-tu rien retenu de mon enseignement ? Sais-tu que Noé n'a jamais vécu au temps des dinosaures, ni aucun homme ? Sais-tu que les dinosaures sont morts soixante-trois millions d'années avant le premier bébé humain ?
aria
A cause d'une comète
Ou bien des chaînes de montagnes
Qui en volcans se levèrent,
Ou bien d'un changement de la pesanteur
Ou bien d'un long changement climatique,
Les dinosaures sont morts !
Il ne resta sur la terre que les petites bêtes,
Des espèces de petites souris,
Des petits oiseaux du ciel...
Il ne resta que les animaux au raz du sol,
Des crocodiles, des serpents, des tortues,
des iguanes comme toi ma belle..
Mais les dinosaures très gros et peu nombreux :
Ils sont mots !
Quant aux sortes de petites souris
qui ne pondaient plus d'oeufs,
mais gardaient leurs bébés dans le ventre
jusqu'à ce qu'ils soient prêts à sortir,
Ces petites souris, comme il y avait de la place,
une fois les dinosaures morts,
elles évoluèrent en éléphants,
en baleines,
en marsupiaux,
en koalas,
en singes et hommes dont Noé fait partie :
ce qu'on appelle des mammifères,
Mais les dinosaures, ils étaient bien morts !
L'iguane - Petit Père Darwin, toi que je vénère ! Comment peux-tu croire que je n'ai pas compris tout ton enseignement ? Crois-tu vraiment que j'ai oublié ta "théorie de l'évolution" ? Ai-je droit à une tentative pour te persuader de l'utilité de mon récit ?
Darwin - Avec des yeux si doux, je ne peux rien te refuser !
L'iguane - arioso -
Tu m'as trouvé belle à Galapagos,
Tu m'as adoptée toute nue,
Je t'évoquais le passé
D'écailles et de piquants !
C'est toi qui as vu que les animaux survivent
en sélectionnant leurs atouts au fils des générations,
C'est toi qui appela ce principe de la lutte terrible pour la vie
"Théorie de l'évolution".
Or moi j'ai choisi d'évoluer en poétesse :
Sais-tu ce que c'est que la Poésie ?
Darwin - Bien sûr que non : je suis un scientifique !
J'ai entendu dire qu'il s'agissait
de la projection de l'axe paradygmatique sur l'axe syntagmatique ?
L'iguane - Tu n'y es pas du tout avec tes gros mots !
C'est d'inventer une histoire farfelue, facile et jolie...
Mais en y camoufflant que l'on y parle de choses terribles :
C'est avec tendresse expliquer des peurs profondes aux enfants !
Darwin - Oh merveille ! Et que comptes-tu expliquer aux enfants avec tes dinosaures ?
L'iguane - Or donc pour moi, Noé est l'homme qui cherche l'immortalité !
Que cherche-t-il à faire ? échapper à une catastrophe naturelle.
Or pour moi, les dinosaures sont comme des enfants qui ont peur de la mort !
Que cherche-t-il à faire ?
Darwin - Echapper à une catastrophe naturelle !
L'iguane - Et le déluge ?
Darwin - C'est l'image de la catastrophe !
L'iguane - Tout à fait ! C'est l'image du mal dans la nature !
Darwin - Peu t'importe que les dinosaures n'étaient plus que des os au temps de Noé ?
L'iguane - Ils sont vraiment "à l'image" des animaux d'avant le déluge :
C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
L'iguane & Darwin - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Darwin - Crois-tu que les anciens trouvèrent des os de dinosaures et qu'ils se demandèrent : "qui étaient ces bêtes" ? Alors ils inventèrent les animaux d'avant le déluge ?
L'iguane - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
C'est la même question que se posèrent ailleurs les chinois : "pourquoi ces os de dragons tombés de la montagne ? Seraient-ce que les dragons sont morts devant la porte close du paradis ?"
Darwin - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Et nous aujourd'hui, quand en creusant tout scientifiquement, on voit sortir du sol les squelettes de dinosaures, nous avons les mêmes frayeurs en imaginant la comète qui les fit mourir !
L'iguane - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Comète et déluge : c'est la même idée de catastrophe ! Dinosaures ou animaux antédiluviens, c'est la même idée de mortalité.
Darwin et l'iguane - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Darwin - Vas et écris ! Je te permets d'utiliser le déluge comme une image de la fameuse catastrophe qui échu aux dinosaures lors de la cinquième instinction de masse sur la planète terre, mais fais attention de composer une fin qui convienne à la théorie de l'évolution !
L'iguane - Oh merci, j'y veillerai !
Oh merci merci merci ! Je vais te faire un bisou !
Darwin - Ah non tu piques !
L'iguane - Calinou, calinou !!
Darwin - Au secours, une iguane veut m'embrasser !
L'iguane - Bisou !
Darwin - C'est tout baveux un bisou d'iguane, au secours !
L'iguane - Bisou à Darwinou !
Le Choeur - Iguane poètesse ! Le public attend l'histoire, un peu de tenue !
L'iguane - Excusez-moi, où en étais-je ?
Le Choeur - Dictes nous notre strophe pour conclure le prologue.
Strophe :
L'iguane - Voici mes enfants une fable farfelue
Qui parle de la peur de mourir,
C'est une histoire chouette,
Vue que ma muse fut Internet !
Le Choeur - Voici les enfants une fable farfelue
Qui parle de la peur de mourir,
C'est une histoire chouette,
Vue que sa muse fut Internet !
ACTE I
Scène 1
Noé, la femme de Noé, Trois titanosaures, deux tricératops, Tyranosaurus Rex, Struthiomimus, Anatososo, le Choeur des dinosaures.
Noé - Conques, bénitiers résonnez ! Amonites sonnez ! faites les hauts-parleurs et les micros, amplifiez ma voix ! Or donc voici l'annonce : que tous les animaux du monde entier répondent à l'appel et se présente à l'arche à 16 h 15, c'est l'heure d'ouverture de l'enregistrement pour l'embarquement. Attention : à 16h 45 c'est la clôture du Checking ! Toute personne arrivée en retard sera sans détours noyée par le déluge.
(On voit les dinosaures se prélassant au soleil)
Trois brachiosaures - Avez vous entendu l'annonce? Quelle heure est-il à notre grand cadran solaire ?
Deux triceratops - Il n'est que 8 h 00 du matin et le soleil brille !
Trois brachiosaures - Bronzons nous ! Tannons nous la peau ! Emmagazinons de la chaleur pour tiédir notre délicat petit sang, n'en perdons pas un rayon tant que la pluie n'y est pas !
Deux triceratops - Ne sommes nous pas des délitantes ? ne sommes nous pas la jet-set ?
Tyrannosaurus Rex - Oui très chers ! Et moi le plus dentu des jet-setteurs !
Trois brachiosaures - Nous abondons en calamites, en fougères, en pierres gastriques !
Tyranosaurus Rex - nous sommes riches en plumes !
Deux triceratops - Nos masses sont sans mesure !
Tyranosaurus Rex - Tricé, veuillez prendre le téléphone et réservons nous les cabines les plus luxueuses de l'arche, en première classe, avec de l'or et des tables en carapaces de tortue et vue sur le déluge naturellement !
Tricé (un des deux tricératops) - j'appelle l'agence "Voyage Arche du Déluge".
Voix de la femme de Noé (apparait comme un deus ex machina au milieu de petits nuages) - Association Agence Voyage Arche du Déluge Noé & Fils j'écoute ?
Tricé - Nous sommes cent trois espèces de dinosaures, nous désirons acheter les meilleurs places de l'arche en cabine luxe avec vue.
Voix de la femme de Noé - Avec vue sur le déluge ?
Tricé - Oui et pension comprise, miam miam !
Voix de la femme de Noé - Lit double je suppose ?
Tricé - Quadruple pour notre envergure, quoique nous soyons en couples et fidèles à ces dames !
Voix de la femme de Noé - Je note donc réservation pour cent trois cabines en première classe, quadruple lit et pension complète avec panorama sur l'étendu de la catastrophe du déluge, température à bord 25 degrés, réglement à l'embarquement : attention vous devez vous présenter à 16 h 15, la fermeture du guichet est à 16 h 45. Nous vous souhaitons un excellent voyage et vous remerçions d'avoir choisi notre compagnie. A bientôt sur les lignes de l'AAVADNF.
Trois Brachiosaures - Quel bonheur d'être riches ! le soleil brille encore profitons de ses derniers rayons !
Bronzons nous ! tannons nous la peau !
Emmagazinons de la chaleur pour tiédir notre délicat petit sang !
N'en perdons pas un rayon tant que la pluie n'y est pas !
Deux triceratops - Allanguissons-nous ! faisons la sieste...
Tous les dinosaures (allusion musicale à Atys de Lully) - Dormons, oui dormons !
Scène 2
Sthruthiomomo, les mammifères, les dinosaures endormis, Tyrannosaurus Rex, Anatososo
Struthiomomo, la petite ornithomimidée, les regardant dormir - Que je les déteste eux qui me tapent toujours dessus parce que je suis toute petite, née aussi naine qu'un échynodon, la plus minuscule des dinosaures ! (il y a plus petit, vu que la bête faisait 4 mètres mais bon c'est une distorsion pour l'histoire !) Tiens voilà qu'il commence à pleuvoir !
Les mammifères (allusion aux sept nains de Blanche-neige, donc en échos) - Hého ... Hého... Hého...
Hého ! Hého ! On rentre du boulot ... hého ! hého !
Struthiomomo - C'est l'heure d'y aller regardez vos montres à quartz !
Les mammifères - Sur nos belles montres à quartz il est quatorze heures ! allons-y ! Hého ... hého ... hého..
Hého ! Hého ! On s'embarque dans l'arche ... hého ! hého !
Un mammifère (allusion aux "prugne de Tours" de la Bohème de Puccini) -Montres à quartz pour deux euros !
Struthiomomo - J'en prends une ! 14 heures ! fuyons et ne les réveillons pas ces gros patapoufs prétentieux !
Les mammifères et l'ornithominidée (allusion à l'oratorio de Noël de Charpentier) - Courrons, hâtons nous, précipitons nous, allez sus, hâtons nous ! qu'attendons nous ? que tardons nous ? allons ! (l'orage gronde fort comme dans la Didon de Purcell, les mammifères disparaissent)
Les dinosaures - Oh là ! quel est ce bruit ? Combien d'ombre dans le ciel ! combien résonne jusqu'au fond du Tartare le grondement de la colère de Dieu ! Et cette lumière et cette flamme de l'éclair dans le ciel ! blottissons nous au fond de notre couette !
Anatososo - Amis, gaillards, éveillez vos esprits ! regardez donc l'heure, ne soyons point en retard !
Tyranosaurus Rex - Pas si vite ! Soyons sans crainte au contraire, et faites moi confiance ! Roi des dinosaures j'ai institué le cadran solaire, le plus précis des indicateurs : or dès que l'ombre sera sur le moment du départ, une alarme nous réveillera !
Anatososo - Si grand maître sois-tu, ne vois-tu pas qu'il pleut, que le ciel est trop noir et l'heure illisible ?
Tyranosaurus Rex - Rrr tu paieras cher ton impertinence, pacotille d'anatosaure ! mais je le concède, nous sommes perdus !
Les dinosaures - Damnation ! l'heure a disparu ! Le cadran solaire est plein d'ombre, le ciel est trop couvert : quelle heure est-il ? quelle heure est-il ?
Anatososo - dans l'angoisse, dans la peur et la fatalité, précipitons notre pas pour éviter notre chute, le destin n'est pas encore dit Messieurs les dinosaures ! Sauvons le peu d'espoir qu'il nous reste, hatôns nous !
Les dinosaures - Hâtons-nous lentement ! Hâtons-nous lentement !
Trois brachiosaures - hâtons nous dans la motricité de trois cent tonnes...
Deux triceratops - hâtons nous tous pleins d'armures !
Tyranosaurus Rex - hâtons nous remplis de dents !
Quatre parasorolophi - Sonnons les trompettes, sonnons la retraite !
Tous les dinosaures - Sus à l'arche, prenons la d'assaut s'il le faut !
Dissipons nous dissipons nous ! (allusion aux choeurs de Jephté de Carissimi)
Scène 3
Noé, sa femme les mammifères, les dinosaures, Struthiomomo, Anatososo, Tyranosaurus Rex.
(les dinosaures montent sur le pont levis)
Noé - Halte là ! 16h 46 le checking est clôturé ! poussez vous de mon bateau que vous allez le faire couler !
Les dinosaures - Jamais de la vie nous ne voulons pas mourir ! prenons l'arche d'assaut !
Noé - Votre poids vous est déjà fatal : le pont levis ne tiendra pas cinq secondes sous 206 balourds, je vous somme de vous ôter de là !
(On voit l'ornithominidé défaire les cordes de la passerelle, les dinosaures tombent à l'eau, qu'ils n'ont que jusqu'au genou étant donné que c'est le debut du déluge)
Tous les dinosaures - Traîtresse, traîtresse ! On se noye !
Struthiomomo en riant - Que vous êtes bêtes ! vous êtes perdus !
Tous les dinosaures - Traîtresse, traîtresse ! Tu nous as perdus !
Les mammifères - Ah Ah Ah ! vous avez délaissé vos cabines : Quel luxe ! il est pour nous !
A nous les meilleures places,
A nous la meilleure part maintenant,
vilains que vous êtes !
Vous nous avez forçés à vivre dans l'ombre pendant des millions d'années,
La peur nous fit mettre nos oeufs dans nos ventres
Nous portons nos petits depuis dans nos ventres
Pour éviter qu'ils ne soient mangés par vous,
vous qui aviez tout !
Et nous nous étions tout petits dans la nuit !
Mourrez maintenant !
A nous les steppes !
A nous la journée !
A nous la nourriture !
Révolution, révolution !
Les aristocrates ont les aura !
Qu'un sang impur abreuve nos sillons !
Noé - Parce que vous êtes arrivés en retard, point de salut, point de rachat, aucun dinosaure ne survivra, j'en fait serment !
Anatososo - Seigneur, si dix dinosaures se trouvent sur l'arche, pour ne pas te parjurer, ne nous laisseras-tu point une chance ?
Noé - Si je trouve dix dinosaures dans l'arche je vous laisserai, pour ne pas me parjurer, une chance de me convaincre.
Anatososo - Excuse moi si j'abuse de ton indulgence : si cinq dinosaures se trouvaient dans l'arche, nous laisserais-tu une chance de te convaincre ?
Noé - Pour cinq dinosaures, je vous donnerai deux chances de me convaincre.
Anatososo - Je ne te dérangerai plus qu'une fois : et pour un dinosaure ?
Noé - Pour un seul dinosaure je vous donnerai trois chances et pas une de plus. Mais il n'y en a pas !
Anatososo (montrant Struthiomomo) - Et elle alors ?
Tous les dinosaures - Traitresse ! Traitresse !
(craignant pour elle et voyant qu'elle est dévoilée, Struthiomomo se cache la tête dans un trou du ponton)
Struthiomomo - Vous êtes bêtes ! vous êtes bêtes !
Noé - Je ne vois pas de dinosaures mais des grenouilles des reptiles, des crocodiles et des mammifères !
Tous les dinosaures : Et elle qui cache sa tête, Struthiomomo, la Struthiomima Onithominidée !
Struthiomomo - Je ne suis pas un dinosaure, la preuve : j'ai une montre à quartz comme les autres mammifères !
Tous (mammifères et dinosaures) Honte à toi Struthiomomo la Struthiomima Ornithominidée, (les dinosaures seuls) tu ne nous as pas éveillés quand tu savais notre retard ne pensant qu'à ton salut individuel, tu nous as fait tomber à l'eau et tu es de notre espèce ! (tous) Traîtresse, traitresse !
Noé - Qu'elle soit condamnée à cacher sa tête pour le restant de ses jours et me voici contraint à prêter oreille à votre réquisitoire, vous n'avez que trois chances. (se tournant vers son épouse) Femme, asseyons nous et divertissons nous.
Les mammifères - Asseyons-nous et dégustons le spectacle de la mort certaine des Dinosaures ! Du Pain et des Jeux ! Du sang et des frissons ! Voyons les se dévorer entre eux !
ACTE II
Scène 1 "Les stances du Tyranosaure"
les mêmes
Tyranosaurus Rex (sur le ton d'un Ciceron) - Bien que je craigne, Messieurs les jurés, qu'il ne soit honteux, alors qu'en cet instant terrible où notre destin est engagé pour tous, d'autres plus savants que moi se taisent en toute modestie ou peut-être timidité... oui ! bien que je craigne qu'il ne soit honteux que je prétende, moi-même à vous défendre tous en plaidant seul devant Noé, et qu'il ne paraisse audacieux que je vous exposasse mes mérites pour briguer ce rôle royal d'ambassadeur, cependant ma témérité naturelle, ce lieu cerné d'ennemis, ce péril mortel, en un mot l'urgence m'imposent comme l'élu des dinosaures.
Ma race n'est-elle pas en effet la plus parfaite ? Qui prétendrait être mieux loti par la Nature, qui postulerait à une telle perfection des moyens corporaux ?
En premier lieu pourquoi, d'après vous, lorsque je suis jeune et svelte adolescent, l'on me voit doté de plumes ? C'est afin de profiter de la glissante vibration de l'air ! Peu encombré et délicat, je m'élance en meute avec célérité, or, d'après vous encore, vers quel danger je rabats ainsi mon gibier appeuré sous l'étreinte de mon dynamisme innombrable ?
Vers la gueule immonde et impitoyable des adultes de ma race. Car sitôt mes quinze ans, ma taille augmente incroyablement, je me déplume (atour désormais inutile), me cuirasse et me pare de dents à nulles autres pareilles. Il ne me sert plus d'être léger, ayant en mes chers enfants, tels des bras vigoureux, une meute acérée de rabatteur, mais lourd et empesé je me camouffle, attendant de broyer l'animal pris en étau, juteux fruit de ma ruse !
Dynamisme, force, stratégie : intelligence de groupe ! En qui trouver une telle subtilité sociale ? Ne me fournit-elle pas pitance à satiété ? Ne subviens-je point à toute ma famille ? Or donc, Messieurs les Dinosaures, n'êtes vous point tous ma famille ? Ne faudra-t-il pas alors que j'ouvre ma gueule pour vous permettre de vivre ?
Mais ce n'est pas tout, car j'ajoute in extremis hunc argumentum extra causam ! même si mon intelligence n'avait pas été aussi remarquable, la seule taille de mes dents suffira à dissuader quiconque me disputerait cette place ! Aussi j'en conclus qu'il faut détruire Carthage !
Les dinosaures - Viva ! viva ! Détruisons Carthage !
Tyranosaurus Rex - Chers enfants, ne faut-il pas parler à Noé dans la langue la plus noble, laquelle serait-elle ?
Les dinosaures - C'est toi le plus noble, ta langue est la plus belle !
Tyranosaurus Rex - Aussi m'en vais-je haranguer noblement Noé en ma langue. Ecoute Noé et sois édifié !
Noé - Parle noble animal, Sache bien que je suis inflexible et qu'il en faut de beaucoup pour persuader et ma raison et mon coeur.
(aussitôt le tyranosaure rugit moult cris aigus et perçants de quoi effrayer tout le théâtre)
La femme de Noé - Je n'entends rien à ce langage, j'en ai froid dans le dos !
Noé - Je crois bien qu'il plaide pour sa propre cause, aveuglé par son amour propre. Retourne monstre dans les abîmes du passé et de la crainte informe de l'imaginaire !
Tyranosaurus Rex - Ohimé !
Les dinosaures - Lamentons nous ! Lamentons nous si le plus fort d'entre nous échoue pour notre survie ! Qu'avons-nous comme autres ressources en nous ?
Trois brachiosaures - Si violence et force échouent, passivité et poids l'emporteront sereinement et c'est en langue végétarienne qu'il faut quémander notre grâce. Que le parti des sauropodes saurischiens l'emporte !
Les dinosaures - Vive la langue végétarienne des sauropodes saurischiens !
(aussitôt ils barissent lugubrement et lentement)
Noé - Qu'est-ce que cette cacophonie, c'est cela leur second argument !
La femme de Noé - Quel meuglement lugubre, vivement qu'un monde peuplé de tels sons disparaisse !
Noé - Certes il n'y a rien de bon en eux.
La femme de Noé - Seconde tentative, zéro point, reste une chance ! Après quoi noyade assurée !
Les dinosaures - Lamentations ! notre puissance physique nous nuit ! Qui de nous peut nous sauver ?
(les dinosaures restent stupéfaits, un murmure monte en eux, grande fugue)
Un vélociraptor - Moi !
Struthiomomo - Dinosaures vous êtes cuits ! vous êtes morts ! vous êtes bêtes!
Les cératopsidés - Nous !
Les mammifères - Chouette ! il vont s'entre-déchirer !
Un oviraptor - Moi !
Struthiomomo - Il ne vous reste qu'à faire votre fatal choix ! en quelle langue voulez vous parler, fous que vous êtes ?
Un pachycéphalosaure - en langue pachycéphalosaurienne !
Un nodosaure - en langue nodo-ankylosaurienne, ou plus noblement en antique stégosorien !
Les cératopsidés - En langue cératopsidée !
Un oviraptor - En langue troodonte, la langue des voleurs d'oeufs, les oviraptors !
Un vélociraptor - En langue droméosaurienne, celle des méchants à la grande griffe comme les vélociraptors
Les diplodicidés et les titanosaures - Dans les plus beaux barissement de la langue diplodicidée, lourds lourds lourds !
Les hysilophodontes - En langue zélée des gazelles du crétacé, les hypsilophodontes, léger, léger, léger !
Les fabrosaures - En langue minuscule et occulte des fabrosaures, lièvres du crétacé, cui, cui cui !
Struthuomomo - Et pourquoi pas en langue gallimime tant que vous y êtes ?
Les iguanodontes et les hadrosaures - En langue sonore iguanodonte et plus encore dans le dialecte cuivré hadrosaurien !
Les mammifères - Battez-vous ! entre-tuez vous !
Les dinosaures - Au combat, que le meilleur gagne !
Tiranosaurus rex - Que l'on forme les rangs de batailles, que les ornitischiens affrontent les saurischiens ! Pour ma part, disqualifié et abdiquant, je t'investie, Velociraptor, digne roi des droméosaures, au nom des tétanurians, des carnosaures, des coelurosaures, de nous représenter tous, les carnivores saurischiens, car c'est nous les plus forts, c'est nous qui survivront ! Tu as la hargne des héros, la griffe tueuse, l'intelligence supérieure.
Vélociraptor - Qu'ainsi je mènerai mes troupes que je me montre digne de ta fidence, Seigneur !
Trois brachiosaures - Sauropodes végétariens, désertez au plus vite le camp des saurichiens, les carnivores auront tôt fait de se retourner contre vous. Bien plutôt faite une finteuse alliance avec les ornithischiens tous herbivores comme vous mais armés d'armures et de piques, capables de vaincre les carnivores. Dès qu'ils auront le dessus, vous pourrez alors vous retourner contre-eux grâce à votre poids et vos longs cous, vous assurant de l'emporter.
Les diplodicidés - Qu'il en soit ainsi !
Struthiomomo - Maintenant, Mammifères, oyons l'annonce du spectacle, faisons nos paris !
Les mammifères - Asseyons nous et dégustons le spectacle de la mort certaine des dinosaures ! Du pain et des jeux ! du sang et des frissons ! Voyons les se dévorer entre eux !
Scène 2 "le ballet des dinosaures"
les mêmes avec la troupe de danseurs qui dansent lentement
(Je donne un résumé du ballet qui sera formel après une bonne lecture de l'Illiade: Les végétariens s'opposent aux carnivores, chaque fois les carnivores ont le dessus, à la fin Anatososo se retrouve en duel singulier avec Vélociraptor, avec sa griffe Vélociraptor et sur le point de tuer Anatososo)
Struthiomomo (dans la peur qu'Anatososo meurt) - Mais vous êtes bêtes de vous entre-tuer ainsi ! Vous me faîtes pitié ! A quoi vous sert-il de vous battre pour des langues incompréhensibles ! De toute façon Noé ne connaît aucune des langues des Dinosaures : utilisez un autre moyen de le persuader !
Anatososo - Cessons de nous battre, Struthiomomo la perfide à raison ! ne voyez vous pas que Noé ne comprends pas nos mots ! Mais la langue de mon peuple, c'est la musique, je suis un Hadrosaure et nous faisons des sons : Parasaurolophi, Lambéosaures faites une symphonie de vos sons cuivrés, et moi je sonnerai de mon nez la complainte de la trompette marine, nous avons tant à lui faire ressentir : l'angoisse de la mort, la peur de l'agonie, l'amour de la nature, de la vie, la joie de l'existence, la tendresse pour nos enfants, l'injustice de leur destin si tôt interrompu, les larmes à verser !
Concerto pour trompette marine accompagnée de hautbois, cornets et cuivres.
mime de la douleur :
les pleurs
l'angoisse de la mort
la peur de l'agonie (description de l'agonie)
l'amour de la nature et de la vie
la joie de l'existence
la tendresse pour nos enfants
(les dinosaures présentent leurs enfants devant eux, ils lèvent leurs mains en supplications)
les larmes versées et les soupirs
Choeurs des dinosaures et leurs enfants tous à genou - ah ! (le choral immense bâti sur cette onomatopée veillera à mettre en valeur l'aspiration du "h" et les soupirs des dinosaures en se surajoutant en final d'acte sur le concerto des bois avec la trompette marine en partie soliste comme la soprano rossinienne au dessus du choeur)
ACTE III
scène unique
les mêmes, Archaïoptéryx
La femme de Noé en pleur - Oh par trop je suis touchée ! Pleurons, Noé, pleurons ! Je gémis sur le sort des bébés dinosaures, vois comment ces enfants vont souffrir une longue agonie, regarde leurs yeux adorables. Ne permets pas, Noé, un destin si pitoyable. D'un si long voyage, d'une si grande fatigue, donne une récompense, offre l'ultime chance, Ne permets pas, Noé, un destin si pitoyable.
Les mammifères - Ne permets pas, Noé, un destin si pitoyable !
Noé - Soit !
La femme de Noé avec un espoir - Tu veux ?
Noé - J'accède à ta supplique ma mie. Dinosaures, il existe une plante d'éternité, l'herbe de jouvence, elle gît au fond des eaux sous le navire, plongez, cueillez là, goûtez en et vous aurez la vie sauve.
Les dinosaures - Hourra ! Houra nous avons gagné !
Les trois brachiosaures se lamentant - Point encore amis, car il faut un héros pour plonger dans l'âbime au fond !
Anatososo & Vélociraptor - Je me dévoue !
Les dinosaures - Ainsi vous achèverez votre duel.
Anatososo & Vélociraptor plongent, Anatososo a des palmes il va plus vite, cueille la plante de jouvence, mais vélociraptor cherche à le noyer avec ses griffes, Anatososo, souple se dégage et gagne la surface, Vélociraptor n'étant pas adapté à l'eau ne peut aller vite. Le tout est ponctué de cris de spectateurs des dinosaures et des mammifères.
Les dinosaures - Gloire à Anatososo le plus fluide des héros !
Louange aux palmes des Anatosaures !
Anatososo c'est le plus beau, le plus courageux !
Tous les dinosaures l'admirent pour sa fluidité,
Gloire à Anatososo !
Anatososo - Mangez l'herbe, c'est ce qu'il convient !
Les dinosaures - Mangeons, nous sommes sauvés,
Joie du salut, Mangeons !
Anatososo (lançant une feuille sur l'arche) - Tiens, Struthiomomo,
mange cette feuille : tu es des nôtres et l'a mérité à ta manière.
Struthiomomo (en l'attrappant tout de même) - Pff ! je n'en ai cure, je suis sur l'arche moi !
Anatososo (lançant des feuilles par centaines) -Mangez, mangez l'éternité !
Les dinosaures - Mangeons, nous sommes sauvés,
Joie du salut, Mangeons !
Festin, Ripaille, Bonheur : Victoire !
(subitement après ce triple forte, une attente s'installe, rien ne se produit, les dinosaures sont en rond autour de la branche dépecée de l'herbe, inquiet de l'absence de miracle)
Struthiomomo - Ce que vous êtes bêtes ! C'est une herbe magique, vous devez faire un voeu comme pour la lampe d'Aladin !
Les dinosaures - Quel voeu devons nous faire ? Quel voeu ?
Les mammifères - Quel voeu doivent-ils faire ? Quel voeu ?
(Struthiomomo rit pendant ce choeur. Alors avec noblesse, le vieil Archaiopteryx sort des rangs des dinosaures)
Archaïoptéryx -
Ô misérables, combien grande est votre folie !
Croyez-vous éloignée la Mort, le danger dissipé ?
Ou bien pensez-vous que la passerelle de l'arche est toujours intacte ?
Ou encore que le vide aquatique ne nous sépare point de cet abri salvateur ?
Ainsi est le prix de notre arrogance !
Ou bien figurez-vous qu'il y ait encore de la place pour nous au navire
bien que tant d'animaux se pressent dans les cabines
qui plus vite ont luttés pour leur survie ?
Quel espoir nous reste-t-il ?
Quel rêve ? Quel voeu tandis que l'arche déjà s'éloigne ?
Pour ma part j'avais jadis un rêve - voilà pourquoi,
oui voilà d'où me viennent ces grands bras emplis de longues plumes -
c'était de planer de branche en branche pour ne vivre qu'au milieu des cimes...
Ah, aujourd'hui, si je pouvais voler plus longuement plus hautement,
là bas, là bas sur le toit de l'arche, pouvu que je me fasse menu,
la place est libre, la place est vaste !
Là bas là bas sur le toit de l'arche !
(Et il devient un faucon et s'envole, et à sa suite les hadrosaures et iguanodontes deviennent flamands roses et Ibis rouge, les trois brachiosaures deviennent cygnes, les deux tricératops deviennent perroquets par analogie de becs, les nodosaures deviennent de costauds toucans, les pachycéphalosaures se métamorphosent en chouettes, les hypsilophodontes se transforment en cygognes et en hirondelles, les fabriosaures en moineaux, les oviraptors en mouettes parce que ces deux animaux protégent leurs oeufs, les carnosaures en aigles, le vélociraptor en vautour, le tyrannosaurus Rex en poule et c'est bien fait pour lui, Struthiomomo, voyant cela et mangeant aussitôt sa feuille, obtient le sort de sa trahison et devient une autruche incapable de voler tandis que le grand héros, Anatososo illumine le ciel en prenant la forme fantastique d'un oiseau de feu. Ce n'est plus le choeur qui exprime leurs voix mais un chorus de flûtes : ce que j'ai écris dans cette parenthèse pourrait être récité par l'iguane quoique je pense qu'il est meilleur de le réaliser par la mise en scène)
Les mammifères - Venez nous rejoindre et faisons la paix, amis anciens, amis nouveaux, amis magnifiques !
Noé - Venez c'est l'heure du départ, c'est la pluie battante !
Les mammifères - Venez nous rejoindre et portez nous le rêve, conjoints sur la planète, oiseaux du ciel vous qui gardez en partage les espaces infinis !
La femme de Noé - Que tout cela est charmant et coloré !
(Un arc en ciel apparaît en fond de scène)
L'iguane - Père Darwin, n'ai-je pas respecté la théorie de l'évolution ? Quoique les oiseaux ne soient les fils que des seuls carnosaures saurischiens, j'ai voulu une métamorphose de tous mes dinosaures qui étaient sur scène : c'est pour préserver la sensibilité des petits coeurs tendres de mes spectateurs ! Mais l'essentiel est que les dinosaures soient toujours parmi nous !
Darwin - C'est bien mais tu exagères en mettant un arc-en-ciel dans ton final, c'est un peu de trop ! La vraissemblance voudrait qu'il n'apparaisse qu'à la fin du déluge, on en est qu'au début !
L'iguane - Je respecte là, ne t'en déplaise, la théorie de la réfraction qui veut que le spectre des couleurs apparaisse par illusion d'optique quand la pluie est frappée d'un faiseau lumineux. Or sur scène il y a un soleil merveilleux : c'est l'oiseau de feu qu'est devenu Anatososo le héros !
Darwin - Décidément tu auras toujours réponse à tout !
L'iguane - Nananère !
Tous au milieu des flûtes -
Toujours la vie renouvelle son élan :
Ils ne sont pas morts les dinosaures,
Bien au contraire ils voltigent parmi nous,
ce sont les oiseaux !
Toujours la vie renouvelle son élan !