lundi 29 septembre 2008

Frantisek Brikcius nous parle à l'âme

Le peuple Tchèque à la musique dans le coeur, car ce programme de concert propose six compositeurs contemporains qui nous parlent le même language, narratif, structuré, sans concession, mystérieux, tendre, contemplatif, dur, mortifère, passionné. 

Malgré parfois un petit défaut d'intonation excusable par la prise de son "live", par la difficulté redoutable des oeuvres, par les intervalles minimes, Franticek Brikcius, joue avec les tripes. Son son soutenu est exactement celui du discours qu'il a à tenir, une forme plus léchée n'aurait pas était compatible avec autant de force. Comment fait-il pour sortir indemne d'un tel concert ? Il est acteur de la musique et pas simplement interprète. N'écoutez pas ce disque à côté de votre gazinière, c'est un conseil ! Neurasthéniques et suicidaires s'abstenir ! En tout cas on revit cette expérience choc et primordiale qu'on a en entendant Janacek pour la première fois.

Le programme est lui même narrativement parfait :

La fantaisie et Rondo de Jiri Matys (1982) est l'oeuvre la plus diaphane, presque entièrement monodique. C'est la plus raffinée aussi, alternant l'arc et le pizzicato, les valeurs longues et les rythmes syncopés. La première phrase très romantique a (et n'a pas) un parfum chostakovien, on n'est pas étonné qu'elle aboutisse sur du sarcasme. La forme de la fantaisie est sonate, mais brevissime, et fini sur un point d'interrogation. Il y a quelque chose des chansons populaires dans la rythmique, notamment dans le rondo dont les couplets sont courts et sont comme des réponses parlées en récitatif autour du thème heurté, il finit lui par un point d'exclamation.

La Sonate Kovava de Petr Hejny (1983) est la plus belle, la plus pathétique du CD. Presqu'entièrement en jeu d'harmonie, c'est à dire en accord, on est dans l'imploration alternée d'abattements lugubres. Puis après des accords piqués, c'est le déchirement le plus lyrique. Cette pièce fait penser dans sa théâtralité au tombeau  de Sainte Colombe de Marin Marais.

Le Dilema de Jan Jirasek (1987) est la plus méditative, la plus mystérieuse. C'est en fait une grande chaconne dont le thème est décliné sous plusieurs formes. Son début est calme et profond, il reviendra comme un cycle à la fin, des sons harmoniques le ponctuent et l'achèvent. Puis c'est un défoulement qui butte sur un motif obstiné : il s'échappe toujours vers le haut comme un prisonnier qui a peur. Puis, après un retour momentané du calme, apparait une ritournelle lamentative, elle est déclinée jusqu'à aboutir au défoulement qui retourne vite sur la ritournelle par plusieurs aller-retours. Enfin la ritournelle est interrompu plusieurs fois par des pizzicati et sans prévenir le calme du début réapparait. Un dilemme.

La sonata de Lubos Fiser (1987) et la plus costaude, desespérée, dramatique, virtuose.  Un petit thème chromatique est suivi d'un cri. Mais aprés une chevauchée, le thème devient lui-même un cri poussé jusqu'au fond des cordes, l'angoisse nous poursuit, la folie exacerbée semble poindre. Cette oeuvre est héritière des poèmes symphonique de Liszt dans sa déclamation : à la fin le thême revient aussi pauvre, nu et affligé qu'au début, l'accord final fait penser à la fin du Mazurka du mendiant de Chopin.

Avec la Danse krale Leara de Milos Stedron (1995) on est dans le faux divertissement, c'est une dance macabre ! le thème alterne vite l'archet, le pizzicato, et deux accords et l'on est mené jusqu'au précipice avec cela, car la partie archet est bientôt remplacée par la percussion de la caisse du violoncelle à laquelle répondent les accords ou des triples croches. Le lent trio est en quart de tons entre deux cordes, c'est déchirant, mais la danse macabre revient précipitament. 

Irena Kosikova débute son Stopy (2004) par un thème funambule puis après plusieurs litanies elle développe une chevauché et conclue sur le thème funambule. C'est en apparence l'oeuvre la plus formelle, mais avec ses frottements minimalistes d'une corde à l'autre, elle est la plus énigmatiquement expressive. La plus retenue ? non la plus lointaine, comme si Frantisek Briksius nous avait conduit dans l'au-delà.

Un disque qui est une découverte, une expérience, un vécu.

Praha - Brno 2005 47'55  

Polémique sur la théâtralité, à propos d'une critique de ma critique de François Salque

On a écrit que je me suis fait avoir par la théâtralité de François Salque, et que les Starker, Truls, Mork, Kogan et Oistrakh sont bien autre chose. 

Superficialité et profondeur

Le souvenir du jeu de François Salque est lointain désormais dans le temps. Il ne m'a pas été loisible de l'entendre dans un répertoire qui parle de profondeur, de souffrance, de mort, ni même de joie surhumaine, mais plutôt dans une masterclass, dans des répétitions de musique de chambre. En nature, au milieu des autres musiciens, son jeu sortait de l'ordinaire de par son expressivité, sa diction, son sens oratoire. Ces qualités peuvent être considérées comme propres à l'école française. Vont-elles au delà de la superficialité ? N'a-t-on pas dit que l'art français est de parler sur un ton détaché et plaisant des choses les plus profondes ? Je ne sais. Pour trancher, il faudrait écouter très attentivement la discographie de François Salque. 

Mais voici par une anecdote une réponse plus générale sur l'opposition de la "théâtralité", sorte d'expressivité de façade, et la vraie expressivité, l'authentique (sens étymologique : "propre à soi-même").

L'élève de Montserrat Torrent

C'est une chance inouïe d'entendre l'opinion des anciens. Montserrat Torrent, grande organiste espagnole, venait de donner un concert vers Saint Raphaël, on y entendit une oeuvre de Cabezon, à moins que ce ne fut Bruna, qui égrainait dans une lenteur incroyable les ornements de la renaissance avec un jeu propre aux pionniers du baroque (comme l'est notre star hispanique), jeu dépassé aujourd'hui puisqu'on sait que c'est la mélodie cachée sous les ornements qui doit être lente et non l'ornement. Mais dès la première note, on vit que Montserrat Torrent connaissait la structure de l'oeuvre et qu'elle savait d'où elle partait, où elle nous conduisait. C'est la magie des sages. Puis,  à l'aprés- concert, elle parla, beaucoup, manière de compenser sa surdité. Elle parla d'un de ses élèves qui fit, je ne sais plus pour quelle raison, ce que fit la harpiste Polygnota de Thèbes au 151ème concours Pythique supprimé par état de guerre : cet élève joua tout Bach, seul, pour remplacer les candidats d'un concours annulé et satisfaire le public, et c'était si beau que tout le monde pleurait. A la suite de quoi, il devint élève de la plus grande école, du plus réputé des organistes, Olivier Latry, titulaire de Notre Dame de Paris. Montserrat Torrent eut l'occasion de réentendre son élève aprés son passage à l'école française, et de dire : "vous m'étonnerez toujours, mais vous ne m'émouvrez plus jamais". 

 

Andrew Manze passe à côté de Corelli

A propos d'un très beau disque qui tombe dans l'excès

A classer dans la catégorie "vous m'étonnerez toujours mais vous ne m'émouvrez plus jamais". Déjà le parti pris d'avoir un seul claveciniste à la pointe de l'efficacité comme Richard Egarr montre combien Andrew Manze tire la couverture à soi : on veut un continuo parfait mais limité, on sacrifie les grands coups de basse rythmique par un théorbe ou une basse de viole (une des marques agoniques de Corelli) pour favoriser la seule improvisation mélodique du violon, roi de cet opus V. Un résultat qui sonne :  "je suis génial, je le sais et je m'écoute jouer". Le tempo, certainement pour faire place aux mille et un ornements nouveaux, est trop lent, absolument pas corellien ! On croirait que Corelli a appris son violon chez les allemands et qu'il pense religion alors qu'il devrait penser esthétique. Le son encore est toujours au fond de l'instrument, toutes les imitations théâtrales de la voix sont là, c'est une déclamation à la pointe de la mode actuelle, c'est même très impressionnant. Mais si une Odile Edouard utilise à bon escient cette pathétique profondeur pour le moment de rage de la sonate de la Crucifixion de Biber, Andrew Manze perd dans l'opus V toute dimension aérienne et joue tsigane en permanence. La rhétorique tombe toujours, artificielle, à cent coudées du message des oeuvres : dans la sonate en la majeur, par exemple, il choisi de dire au bout des lèvres le premier mouvement, célèbre pour être la tendresse réincarnée. Mais le résultat est "je connais l'art du plus subtil pianissimo", jamais "je vous distribue de douces caresses". L'allegro qui suit devrait être plein de générosité mais le voilà direct et, pour le coup, sans effets, sans doute pour ne pas faire ce que les autres font traditionnellement : ne pas faire "à tout prix". De même la Follia : que cela commence mal avec un prélude rubato au clavecin plus français qu'italien, certes raffiné mais pas à propos, puis le thème lentissimo comme s'il s'agissait des imposantes variations Goldberg, on a déjà perdu tout sens de la proportion ! On sait déjà que le violoniste ne bâtira pas mais improvisera : la cadence d'une variation piano introduit impromptu une violence non amenée pour annoncer par surprise l'allegro forte qui suit, il n'y plus de rapport de tempi d'une variation à l'autre, tout y est vu dans le détail immédiat, tout est décousu... Bien sûr il s'agit d'une folie, mais au XVIIème elle était encore sous le canon de la "vraissemblance", l'historicité n'autorise pas de détourner l'oeuvre à ses fins personnelles. Les ornements sont tant originaux qu'ils sortent même de l'époque et du lieu, ils sonnent Charpentier, ou Bach, pire, on les devenir venir, jamais ils ne se fondent dans l'oeuvre. Lenteur, ostentation, sur-déclamation, narcissisme, on n'osera pas dire que tout cela traduit au final, nonobstant le catalogue exhaustif de la technique baroque actuelle, un penchant pour le romantisme.

Arcangelo Corelli (1653-1713) Violin Sonatas, Op.5 complete; Andrew Manze, violin, Richard Egaee, harpsichord; Harmonia Mundi, production USA 907298.99, 131' Recorded November 5-8, 2001 and February 5-8,  2002.


mercredi 3 septembre 2008

Opéra de Monte-Carlo fidèle aux grands opéras

La Flûte Enchantée de Mozart ouvre la saison fin novembre. Tamino & Papageno vont comprendre que la Reine de la Nuit n'est pas le Bien et que Sarastro, maître maçonique, n'est pas le Mal. Pour le temps de Noël, c'est l'opéra bouffe L'Infedeltà delusa, de Haydn où un amoureux inconstant est ramenée à sa belle par une série de déguisement, c'est beau & frais ! Début 2009 : enfin du Wagner sur la Côte d'Azur ! Le Vaisseau fantôme. Un capitaine hollandais maudit pourra enfin mourir via un terrible remède : Santa doit lui rester fidèle en se suicidant dans la mer : retrouvailles dans les cieux, so romantic ! Février : Roberto Alagna, poursuit son « contrat d'amitié » avec la Principauté en interprétant Andréa Chénier de Giordano avec le même l'irrésistible entrain & luxe de grands interprètes que l'an passé pour Cyrano. 21/03 : un récital russe par la basse grégorienne Paata Burchuladze. Mars : la Norma de Bellini, une noble druidesse trahie par Pollione, chantée par Hasmik Papian, avec aussi, pour Adalgise (druidesse victime du même romain), une prise de rôle très attendue de Beatrice Uria-Monzon. Le génial maître de ballet monégasque Jean-Christophe Maillot proposera une mise en scène dont les costumes sont rien moins que de Karl Lagerfeld. Avril : chef d'oeuvre de Tchaïkovski, la Dame de Pique, vieille comtesse tuée pour ses 3 cartes gagnantes par Hermann, alias le ténor spécialisé dans ce rôle Wladimir Galouzine. Il délaisse Lisa qui se jette dans le canal, alias Barbara Haveman qui nous avait déjà fait pleurer l'an passé. Il croit gagner au jeu mais la vieille se venge en réapparaissant sous la forme de la 3° carte.