lundi 6 juillet 2009

Pourquoi la ville de Nice ne peut pas défendre la musique de Stefano Rossetti da Nizza

Stefano Rossetti da Nizza collègue à Munich et ami d'Orlando di Lasso, espion et ambassadeur (comme peut-être aujourd'hui les stars et les hauts sportifs) de l'Empereur Maximilien, lui qui fit sonner à Nice ses Motets devant les grands d'Europe, non pas à Sainte Réparate, la cathédrale niçoise de peu plus récente, mais, pourquoi pas, là haut, au château, dans les ruines médiévales d'aujourd'hui de l'ancienne cathédrale, à moins que ce fut ailleurs, on ne sait - espérons que des historiens mettront notes en bas de cet article...

Stefano Rossetti est un auteur maniériste qui a écrit à l'époque où la polyphonie, stagnant à son apogée, arrivait à une impasse de virtuosité extrême. Là où le compliqué Orlando di Lasso reste dans la vraisemblance pour nos oreilles à peine expertes, Rossetti tourne à l'étrange, au dérangeant. Il annonce très évidemment le Prince Gesualdo da Venosa. Les mélismes sont ceux qu'utiliseront plus tard Luzzasco Luzzaschi et à sa suite Monteverdi dans le style nouveau, mais sur cinq voix simultanément et dans un florilège rythmique alambiqué à l'extrême et dans le style ancien et mathématique du contrepoint. On peut dire que pour le travail d'un ensemble vocal Orlando di Lasso vaut la sueur d'un pianiste sur Liszt (et l'on sait combien son écriture reste naturelle pour les doigts); celle de Rossetti vaut les grosses gouttes dégoulinant pour Scriabine, pire, elle vaut le sport de Prokoviev. Qui sait à Nice que la polyphonie a cappella est une discipline redoutable ? Faire de la beauté sur des chansons Renaissance, c'est aisé; sur de la musique sacrée de Claudin de Sermisy, c'est délicat; sur celle de Mouton, c'est difficile; sur celle d'Orlando di Lasso, c'est dangereux; sur celle de Rossetti, c'est un pari.
Que fait Nice pour un tel auteur ? Pas une rue pour porter son nom ! (il mériterait la montée du Château !), au contraire, faute de savoir son existence, on s'enorgueillit d'avoir hébergé un Stravinsky, un Fauré écrivant son Requiem, un Massenet : mais pour le seul génie autochtone : l'oubli.
Jusqu'ici, seul sur Nice, l'ensemble Voxabulaire a courageusement cherché à interpréter Rossetti da Nizza, mais c'est avec des moyens financiers si modestes et un temps de travail si réduit qu'il ne pourrait prétendre à un aboutissement satisfaisant.
Il faut pour un tel auteur un travail régulier comme les quattuors à cordes : un financement qui permet une étude sur une année entière avec des répétitions régulières, un travail d'homogénéité dans une tranquillité organisationnelle, des concerts répétitifs rôdant les oeuvres, un vrai enregistrement du corpus. C'est la seule façon pour que ce qu'il y a de plus professionnel sur Nice puisse faire témoignage de son patrimoine.

Encore deux mots sur le génie du Schubert plagiaire

Quand Tchaïkovsky copie le thème de la symphonie de Schubert, celui du nocturne de Chopin dans sa propre symphonie, ou tourne en majeur une autre étude de Chopin, quand Wagner prend le thème des adieux de Beethoven comme thème du destin pour sa tétralogie et s'inspire du motif du retour de la même sonate pour son thème des flammes à faire vaciller la Walhalla des Dieux, quand il s'accapare le motif de l'eau d'un pauvre petit Mendelssohn pour haute raison philosophique et intérêt impératif du bien public, quand plus humblement Chopin restitue ses frêles impressions de Field et de Bellini, c'est la macération créatrice qu'on regorgite, c'est la matière digérée qui déborde, c'est la bouillie de l'oiseau déversée à ses petits enfants. Même identiques, effet ou thème n'appartiennent plus à l'oeuvre première mais entrent dans la personnalité du nouveau créateur : c'est faire son blé du terreau de l'hypertexte.
Chez Schubert : tout autre chose. L'admiration pour le modèle, le respect et le sentiment d'infériorité qui le ronge créent une dichotomie étrange. Le thème appartient toujours à Beethoven : on peut dire, tel menuet de sonate, tel motif, telle structure sont de Beethoven. Mais en même temps c'est comme si Schubert faisait parler très respectueusement Beethoven à travers sa voix féminine et inquiète, dans ce manque de confiance tout à la fois génial et ignorant qu'il se hisse à l'égalité d'inspiration chaque fois qu'il cède à la tentation de citer, par faiblesse, par désespoir de faire autant, par le besoin de dire d'une même bouche. Ce n'est pas une assimilation de Beethoven, c'est le fantôme du thème de Beethoven qui passe, désincarné, dans cette mi-voix et cette fragilité de la fleur sous le souffle de la nuit : c'est Beethoven chuchoté par Schubert.