dimanche 5 mars 2006

Une fleur de Bussotti au milieu d'unn programme Bocelli

Florence pour le Maggio Fiorentino, concert Mozart du 5 mars : création d'une partition du maestro Sylvano Bussotti (cf.notre photo): "rebus bene gestis", orchestre Mozartiana II; envolées lyriques du ténor Andrea Bocelli étaient au aussi programme.

La partie de petite trompette si difficile de l’oeuvre commandée par le Maggio Fiorentino au Maestro Sylvano Bussotti pour le grand musicien qu’est dell’Ira et en hommage à Mozart (Orchestre Mozartiane II, rebus bene gestis), n’était manifestement pas faite pour se retrouver en tête de ce concert. Elle fut l’instigatrice du déséquilibre si cruel en défaveur de … Andrea Bocelli. D’emblée l’unité du programme, qui se voulait religieux, n’existait déjà plus. Et comment Wagner, après cette légèreté magique, pouvait-il être à l’aise ensuite avec son  incantesimo del Venerdi Santo du Parsifal (toujours impardonnable hors de son contexte), qui plus est, trop élevé d’inspiration  par rapport à ce qui est entendu ensuite ? Bussotti-Mozart, Wagner pouvaient-ils voisiner avec l’œuvre néo-romantique et complaisante de Tutino sur le Canto di Pace de Jean-Paul II ?  
La sauce des bons sentiments ne prend pas, les choeurs sont interminables, l’effet d’une méditation répétitive, type new age ne marche pas avec des mélodies naïves et belcantistes. Du reste cette facilité-là dans la ligne mélodique pourrait permettre à Tutino de s’essayer à finir Turandot… C’est encore plus calamiteux avec la Messe a 4 voix de Puccini, car du supermarché, on passe à l’école. C’est de ces photographies jaunies où l’on se complaît à chercher dans le visage enfantin les sources des traits de l’adulte : là, une manière de mener un crescendo, là, une amorce de thème. Mais il n’y a rien, rien qu’une médiocre banalité du postromantisme et pour les historiens seulement, l’extraordinaire aisance d’écriture, le métier bien appris d’une œuvre de concours. Pas de quoi faire souffrir le public a posteriori. Dès que dans le bis, Andrea Bocelli et son acolyte baryton, Carmelo Corrado Caruso, entonnèrent le duo de Lakmé, la prononciation française (maîtrisée) du célèbre ténor mettait en valeur la réalité de son timbre. Son style bel canto n’est que de façade, la voix n’a pas la puissance nécessaire et se cache derrière une facilité d’émission feinte – tant de finales de phrase dévoilent le poteau rose, qui sont au bord de l’amateurisme – le vibrato est forcé pour obtenir à tout prix la grande voix, l’orchestre couvre toujours. Si la vedette ne chancèle pas en duo c’est parce que les harmoniques du baryton cachent ses faiblesses. Admettons que si Bocelli acceptait de cesser de tirer sur sa voix, il renoncerait à toute une technique (mais il est fort à parier que c’est déjà trop tard dans sa tête comme dans celle du public conquis), alors il serait un très bon chanteur pour Atys de Lully ! Sa seule roue de secours serait de se dévouer aux compositeurs néo-baroques – il y a toute une génération de jeunes nourris au biberon de Monteverdi et Charpentier, on a pu en entendre un de dix-sept ans à Bâle qui approche le génie – dont l’écriture est ancienne mais les accents romantiques : la voix de Bocelli y trouverait un orchestre à son gabarit et pourrait exprimer ses effets sentimentaux. Car du reste, la prestance humble et même les expressions du visage, joints à un pathétique certain de la voix, sont certainement le fond d’un succès sur-évalué et ovationné comme on l’a vu à Florence. 

Reste Bussotti : cinq minute, hors sujet, mais vive intelligence du concert. On est capté dès le premier accord. Une souplesse extraordinaire de la trompette, l’envol duveteux des couleurs, les impulsions mozartiennes, une multitude de débuts en gaîté, de swings passagers, jadis entendus chez le divin Wolfgang s’esquissent à l’orchestre et dialoguent avec une trompette diaphane, virtuose en diable, mais laissant dans l’oreille une impression de facilité. Bussotti montre ici l’essence de Mozart, donne un croquis de frivolité et de joie tout en camouflant par deçà, une inquiétude et une technique redoutable.

Florence. Maggio fiorentino, le 5 mars 2006. Concert Mozart