lundi 19 octobre 2009

L'Andromaque de Grétry dans un courant neuf déjà chargé de poncifs.

Ce dimanche au Théâtre des Champs-Élysée, il y avait certes un public de mélomanes amateurs curieux attirés par la publicité, un millier de personnes, mais surtout tout le Paris mondain, critique, professionnel : à vue d'œil au moins quatre cent invités ! Ils étaient tous là pour juger le CMBV et Grétry lui-même. C'est que les compositeurs morts ont depuis longtemps remplacé les vivants dans la nouveauté.

D'ailleurs, un opéra en version oratorio, sans mise en scène, voilà un plat indigeste pour anglais puisque ces derniers ont adoré la formule du temps de Haendel. Etre assis sur une chaise et essayer de comprendre l'histoire à travers les paroles déformées par les gosiers sans les sur-titres est un privilège d'un Paris intellectuel qui se regarde le nombril.

Restons modestes quant à notre perception du passé.

L'oeuvre est splendide et date de 1780. Dire qu'à la même époque, le vieux Michel Corrette écrivait ses leçons de ténébres ! Grétry nous apprend à rester modeste quant à notre connaissance de l'époque. Mannheim a certainement fait un travail de titan au Concert Spirituel de Philidor à Paris. C'est déjà toute l'écriture classique du XIXème siècle. On perçoit dès l'introduction une mélodie italienne à l'accompagnement bellinien, le traitement de l'amplification du soliste par le commentaire du choeur sonne quasi comme du Beethoven. Il y a beaucoup de poncifs déjà, mais on s'étonne qu'ils datent d'une époque si reculée.

Il faut convenir qu'il y avait un style nouveau, lequel, vainqueur dans le futur, s'était déjà fait sa marmitte, tandis que les styles anciens trouvaient encore des défenseurs géniaux qui s'efforçaient de les faire progresser tout de même.

Un peu comme au XXème siècle le style neuf de Varèse avait ses défenseurs, faisant leur chemin isolé jusqu'à Xenakis, tandis que parallèlement, faisant leurs progrès sur des bases plus anciennes, un Stravinsky, plus puissant, jouait sur la rhétorique ancienne en la fracassant tout en la préservant, un Schönberg, plus célèbre, déteriorait l'écriture classique pour trouver une pâte neuve, un Bartok trifouillait l'harmonie ancienne pour la renouveler; tandis que, encore, plus démagogique, un Rachmaninov continuait jusqu'à l'extrême les vapeurs capiteuses du Romantisme... Chotakovitch mélange tout cela et c'est le plus populaire : ce n'est donc pas les pionniers qui recueillent toujours la gloire, et notre Grétry est à juste titre bien oublié en face de Mozart ou Haydn, comme Varèse chancèle en face de Stravinsky.

Aussi, si cette musique nous semble rebattue, c'est qu'elle précéda mille choses qui lui ressemblent. De même aujourd'hui, entendant Varèse, nous aurions perdu le goût du neuf si, en nous tapant dessus lors de l'audition, nous ne nous remémorions constamment la date ! Ah, si pour André Ernest Modeste Grétry nous pouvions retrouver nos oreilles pré-révolutionnaires, sans Spontini, sans Bellini, sans Rossini, sans Meyerbeer, sans Berlioz, sans Gounod ! peut-être l'aimerions nous mieux...

En tout cas, chez Grétry, le traitement des airs en arioso, très souple, changeant à la moindre inflection psychologique est une superbe continuation de la réforme de Gluck, et donc à travers lui, ce qui est une gloire, il en restera à jamais quelque chose dans la ligne vocale française en passant par Berlioz jusqu'à Gounod.

Une interprétation en construction

L'interprétation n'est pas aboutie. Le chef Hervé Niquet, toujours vif, ne variait pas assez les tempi pour une oeuvre assez binaire et pauvre en carrures : l'auditeur n'a pas toujours eu le temps de se poser dans les moments d'émotions (quand, par exemple, les flûtes et le le choeur des vierges se lamentent : "Andromaque se sacrifie", ou, autre exemple, quand Andromaque pleure sur un air en Majeur se souvenant de l'Orphée de Gluck), moments d'émotions, il est vrai, souvent stéréotypés.

Les chanteurs ne sont pas assortis. La soprano au beau timbre n'arrivait pas, à cause de celui-ci, à une diction qui nous permettait de suivre le contenu de son rôle, et elle n'a pas eu le temps, visiblement, d'aller jusqu'au bout de l'étude interprétative de son rôle (on dit qu'elle fut remplaçante au pied levé). Un comble pour un personnage comme Andromaque ! Toute l'émotion se perd sans le jeu de théâtre dans la voix.

Le ténor permettait au public de respirer en suivant très nettement les paroles, mais c'est au prix d'une voix criée, pas toujours juste dans les descentes. Son timbre qui passait très bien sur l'orchestre pourrait se défendre historiquement mais il aurait fallut alors choisir une soprano qui y ressemblât. Il est vrai que Pyrrhus et Andromaque ne s'entendent pas dans l'histoire. Cependant vocalement, il aurait fallut qu'ils s'entendissent !

En revanche, indiscutablement, la mezzo a fait un travail d'interprétation clair de son Hermione jalouse d'Andromaque et vengeresse.

Même s'il ne dépassait pas la puissance vocale d'un bon chanteur de chœur et qu'il fut souvent couvert par l'orchestre, celui qui jouait le mieux son rôle fut le baryton. Cela nous a valu une belle scène finale d'un Oreste qui regrette d'avoir obéi à Hermione en tuant Pyrrhus et finalement en étant rejeté par la fidélité de celle-ci au Pyrrhus qu'elle s'est mise à haïr tout en l'aimant toujours, ce Pyrrhus qui lui aimait Andromaque. A aime B qui aime C qui aime D. Le Schéma classique de la tragédie racinienne ! Hermione s'écrie furieuse contre l'assassin : "Ah fallait-il en croire une amante insensée, ne devrais-tu pas lire au fond de ma pensée !" : les vers exacts de Racine réutilisés dans le livret. On dit qu'il y a 80 vers tout entiers de Racine préservés dans l'opéra, remarquable travail d'un librettiste anonyme.

Si la maîtrise du choeur fut splendide, on ne peut pas être aussi enchanté de l'orchestre. Certes, on a entendu un superbe son des bois et une couleur raffinée de l'ensemble, mais la hautboïste n'était pas au point dans ses solos, ni le basson, ce qui est très étonnant quand on assiste à un événement aussi mondain et quand, dans l'orchestre, l'on reconnait toutes les têtes couronnées de la discographie française.


lundi 5 octobre 2009

Pergolesi : Stabat Mater chez Decca avec Andreas Scholl & Barbara Bonney, un bon disque sur-loué

Pour avoir écouté ce disque dans un long voyage aujourd'hui, le constat est décevant : c'est à se demander si les critères français des plus hautes récompenses discographiques (diapason, choc, etc.) ne sont pas purement commerciaux.

Andreas Scholl : grand style, superbe timbre chaleureux avec ce grain épais qui fait son charme. Un enfant, l'entendant, s'exclamerait : "mais c'est un gros chat qui chante". La pâte de la voix + le timbre ultra fixe donne ce produit si frappant pour les amateurs de baroque... et surtout présent au dessus de tout le reste.

Barbara Bonney : grand style, superbe timbre chaleureux avec ce vibrato un peu serré typiquement féminin, une attaque plus modulée, une profondeur harmonique qui a certainement donné l'idée de coupler sa voix avec celle de Andreas Scholl dans ce disque.


Christophe Rousset dirigeant les Talens Lyriques : un travail sur les cordes méticuleux pour arriver au son le plus doux, le plus fixe possible, technique d'archet court, etc. C'est si travaillé dans l'absence de vibrato que le son est presque désagréable, sur le crin.


Mais ces deux voix vont-elles ensemble ? Il y a une incompatibilité irrémédiable dans leur technique, elles ont beau faire les mêmes nuances, les mêmes expresssions, le couplage n'est pas heureux.
Mais transformer l'orchestre en un son ultra-doux et petit, n'est-ce pas le réduire en clavecin : aucune différence de volume et d'absence de présence : d'autant que les micros sont trop proches des chanteurs.


Résultat : de la très belle interprétation avec des matériaux trop disparates. Pourquoi sur-récompenser ? parce que le plateau est hollywoodien ?


Autre chose de bien singulier : il y a une superbe nuance vers la fin du Stabat Mater. Elle n'eût jamais était pensée si dans l'hyper-texte d'aujourd'hui celle du requiem de Fauré n'eût point de rémanence... De quoi réfléchir sur les notions d'authenticité, d'époque, de style, d'autant qu'on ne niera jamais qu'un tel disque n'est rien moins que du plus pur intégrisme baroqueux (mettant en défaut le vibrato de Barbara Bonney).
La pureté originelle de nos oreilles n'existe donc pas, réjouissons-nous.