mercredi 13 décembre 2006

Monaco. Grimaldi Forum : Wagner, Parsifal en version de concert. Saison événementielle des 150 ans de l'orchestre Philharmonique


Après la Deuxième symphonie de Gustav Malher, voici le deuxième temps fort de la saison des 150 ans du Philharmonique de Monte-Carlo. Un nouveau concert qui permettait d'écouter le niveau exceptionnel atteint par le Philharmonique monégasque. Marek Janowski retrouve les musiciens de l'Orchestre dans l'ultime opéra de Richard Wagner. Pourquoi Parsifal ? Parce que la partition eut sa première en dehors des murs de Bayreuth (1882), en 1913 à Monte-Carlo. Parce que l'oeuvre est l'aboutissement spirituel de la pensée musicale du compositeur. Autant dire que les interprètes conduits par le maestro se sont montrés à la hauteur de l'oeuvre.

Janowski manifestement inspiré, conduit l'intensité à son paroxysme se souvenant en son déroulement premier de la lenteur d'un Furtwängler. D'emblée, le chef a ce don de ne pas simplement interpréter une partition mais de la commenter. Comment ne pas céder au pouvoir de la musique, superbement gérée, accomplie avec cohérence et finesse? Imaginons ce qu'auraient pu être les critiques des oreilles en mal d'exigence critique : Des défauts ? Toujours l'acoustique écrasant les médium de la salle, met en difficulté les solistes, toujours le même problème. Qui est placé ici, aura trouvé que Robert-Dean Smith n'avait pas la stature wagnérienne pour Parsifal ; qui est assis là, aura trouvé que Konrad Jarnot, baryton clair, était un peu faible dans son interprétaiton d'Amfortas. Mais pour avoir entendu Villazon et Alagna dans cette même salle, pour avoir écouté les trois actes de Parsifal en trois endroits différents, votre témoin assure que Konrad Jarnot est brave et vigoureux, Robert-Dean Smith exceptionnel et magnifique.
 
Autres critiques ? Même problème pour le Rundfunkchor de Berlin dans la distinction des barytons et des ténors au timbre proche, la stéréophonie héroïque de certains airs masculins, tombe à plat encore à cause de l'acoustique et aussi de la disposition de la version de concert. Reprocherait-on qu'on y préfèrerait de vrais choeurs d'opéra ? On reconnaîtra que la puissance et la violence de certaines émotions ne peuvent être rendues que par une formation plus lyrique, mais quel choeur d'opéra pourrait fournir des pianissimi aussi merveilleux et appropriés au thème du Graal ? Quel choeur d'opéra peut prétendre à cette précision d'horloge
mécanique ?
De son côté, Petra Lang en Kundry, est une voix géante et splendide qui rappelle les interprètes de Karl Boehm, avec un physique de Marlène Dietrich. L'opulence du timbre envoûte le public, il est lui-même, soumis aux artifices de la vénéneuse séductrice, prêt à succomber aux maléfices de Klingsor. 
Et laissons ceux qui disent que les cloches avaient une sonorité plus "puccinienne" que celles de Bayreuth, dernier refuge de la critique, et louons le choix et l'effet des filles fleurs, aux timbres parallèles d'un côté et de l'autre de la scène, le premier registre, puissant, le second frais avec le timbre de l'innocence (en particulier Claudia Galli), le troisième, chaleureux. Mais on peut encore louer le choix de la basse vibrante et profonde Bjarni Thor Kristinsson pour un Titurel souverain, de Eike Wilm Schulte pour un Klingsor ferme et d'une prosodie maîtresse, et d'un Gurnemanz, Kristunn Sigmundsson, chargé d'émotion

Musicalement, on peut reprocher à Wagner qu'il ait favorisé la puissance du flux infini dans Parsifal, au détriment parfois de la richesse thématique et de sa force telle qu'il les synthétisa dans Tristan und Isolde. On peut regretter, surtout, le galbe naturel des thèmes des opéras antérieurs. On peut être agacé par sa vision philosophique du monde, certes prenante, mais que la transcription dans le texte fait paraître lente et fastidieuse : elle n'a pas le charme de l'inconscient qui abonde et s'écoule sous la plume d'un Maeterlinck. 
On peut se dire qu'il faut un temps de maturation dans la vie de chaque auditeur pour comprendre ce que la vieillesse apporte de simplification, de décantation et de maîtrise (comme pour le Falstaff de Verdi). On se dit qu'il faudrait être musicologue pour admirer tous les présages de Strauss et de Schoenberg dans la partition wagnérienne. Mais, quand, sous la baguette de Janowski, dans le tableau du Graal à la fin du premier acte, le choeur d'hommes s'empare du fameux thème, l'élève jusqu'à ce que tous les instruments et les choeur de coulisse le hissent aux cimes des fréquences sonores, c'est le public tout entier qui pleure.

Monaco. Grimaldi Forum, le 3 décembre 2006. Richard Wagner (1813-1883) Parsifal en version de concert. Saison événementielle des 150 ans  de l'orchestre Philharmonique de Monaco

mardi 12 décembre 2006

Interview de Jean-Claude Petit pour son opéra à Nice "Sans Famille"

Quelle est l’aventure qui vous a amené à accepter ce projet d’un opéra sur Sans Famille

Mes expériences différentes* m’ont amené à avoir des relations dans des milieux différents jusqu’à l’art lyrique. Avec Paul-Émile Fourny, nous avions un ami en commun, Petitgirard (qui a donné Elefantman à Nice). Il communiqua mon numéro à Paul-Émile Fourny, je reçus un appel. Il m’y fit part de son projet, à l’époque, de faire écrire une œuvre lyrique et grand public pour la salle Nikaïa : du grand spectacle. J’ai proposé un grand opéra sur Garibaldi et un Sans famille, il a choisi lui-même.

Pourquoi « Sans Famille ? »

C’est un souvenir de Jeunesse, je l’ai lu et relu. Ce qui m’a frappé dès l’enfance, et encore plus à l’âge adulte quand je l’ai encore une fois parcouru, c’est que c’est un roman de musique (les héros sont musiciens, Vitalis est un ténor italien virtuose par exemple). Cette « relation à la musique », il est curieux qu’elle n’ait jamais été exploitée dans les films et les dessins animés, on y constate même un effacement total du thème. J’ai proposé à Jean-Paul Rappeneau l’idée de faire une comédie musicale au cinéma, à l’époque, on travaillait sur Cyrano de Bergerac. Il était enthousiaste et puis on a fait le « Hussard sur le toit », abandonnant le projet parce que finalement, en France, il n’y a pas de vraie culture de film musicaux. J’ai donc récupéré l’idée au moment de l’appel de Paul-Émile et de cette chance d’une commande d’opéra.

Comme on voit que vous êtes la source de ce thème, c’est donc vous qui aviez choisi le librettiste ?

Oui, j’ai tout construit, j’ai appelé Pierre Grosz qui avait travaillé avec moi sur une chanson de Michel Jonasz « changer le toit », j’ai eu l’occasion d’admirer sa passion pour l’opéra et sa culture et tout ce qu’il avait déjà fait dans le domaine en homme qui excelle au travail des livrets.

Vous avez dû vous amuser avec tous ces personnages musiciens et aussi les animaux, comment avez-vous fait pour les caractériser ?

Il y a trois singes et un chien qui chantonnent, dansent et miment, qui seront là pour accompagner la petite troupe. Il y a des effets comiques comme dans « nous sommes une troupe », c’est un peu comme dans les dessins animés. Rémi sera toujours avec sa mini harpe, Mattia avec son violon que joue en vrai le premier violon de l’orchestre : je me suis beaucoup amusé à glisser entre les textes des numéros à part, comme au music-hall. J’affectionne la scène en Angleterre avec des faux nègres, des masques qui dansent un charleston écrit, c’est incongru, pour le grand orchestre symphonique ! une rareté. Cela fait partie de l’atmosphère « début de XX siècle » qu’on a voulu donné comme cadre à notre Sans Famille.

Tout cela vous a certainement poussé à jouer avec les mélanges de types de voix ?

C’est cela qui fait le charme, la forme tient de l’Opéra et le langage de la comédie musicale, c’est le mariage de la grande musique et de la chanson. Tout balance entre les deux genres, la présence des voix d’enfant, le jeune garçon qui fait Remy et la Maîtrise d’enfant de Nice, les animaux ont par force une voix non lyrique, Mrs Milligan, interprétée par Jeanne Manson… et la belle voix de ténor de Jean-Paul Lafont en Vitalis (il s’est investi après l’écoute du Play-Back du disque au-delà même de la présente production). C’est un mélange que l’on trouve dans les opéras de Gershwin et jamais en France. Le goût de travailler sur ce caléidoscope me fait attendre avec un plaisir curieux la mise en scène, le décor : j’ai écris ce que j’entendais, mais les réalisations sont toujours pleines de nouveautés excitantes ! Voilà pourquoi je suis ravi de travailler avec cette grande machine qu’est l’opéra de Nice.

Vous avez participé au choix du petit Remy ?

On a fait un casting à Nice et à Paris pour la scène. Le choix était déjà fait pour le Disque où joue l’orchestre symphonique bulgare, en partie les choeurs à Nice et la Maîtrise de Nice, en partie la Maîtrise de Haute Seine : C’est un jeune garçon de cette dernière qui à été choisi. On a fait beaucoup de voyage pour faire ce disque Sony BMG qui sort mi-janvier. Pour la scène à Nice, sans conteste, le dynamisme de Gustav Jürgens m’a convaincu.

Voyez vous dans cet opéra le début d’une investigation plus large dans la grande musique de votre carrière, qui a cette belle qualité de l’éclectisme ?

La place de la musique classique dans ma production a déjà était conséquente avant « Sans Famille », je considère cependant que mon « « éclectisme » n’est pas une qualité mais un défaut, celui de ne jamais s’être arrêté à une musique particulière. Pourtant j’aime ce défaut, j’aime bien changer car j’ai la chance de fréquenter et d’écrire toutes les musiques jusqu’à la musique contemporaine. J’aime bien poursuivre une expérience, dans la vie, j’approfondis des choix, c’est avec ma conscience que je vois si je me les reproche - parfois je me refuse de rendre publics quelques quatuors, ils sont mon « expérience intime ». De toute façon j’estime qu’il y a deux sortes de créateurs : ceux qui comme Monet dévouent leur vie à l’étude d’une perception, ceux qui, comme Picasso, ont des périodes bleues ou roses. Les périodes, c’est ce que j’aime, j’abhorre l’unique.

Pour finir revenons tout de même au choix de « Sans Famille », comme pour Mozart pour « Dom Giovanni », on ne choisit pas en tant que créateur un tel sujet sans avoir une raison profonde et personnelle, qu’en pensez vous ?

Puisque vous posez la question Doktor Freud ! J’ai une sensibilité assez particulière aux enfants, elle tient autant de mon enfance que de mon expérience de parent. Mon père qui est instituteur a voulu que je fasse de la musique en parti parce qu’il n’a pas pu en faire lui-même. Il a voulu une éducation pour moi. C’est cela qui me plaisait dans l’histoire : l’éducation d’un père, d’un maître qui vaut pour le père (le fameux Vitali), m’a frappé. En tant que parent, j’ai eu deux filles puis deux garçons. Des deux garçons, il ne me reste que le cadet qui était juste né quand j’ai accepté le projet, j’ai écrit « Sans famille » en souvenir de l’un et en cadeau à l’autre, en hommage aux deux. À mon petit Raphaël de six ans, j’apprends la musique et il viendra regarder l’opéra avec moi à Nice. Ce « Rémi » est mes fils.

*Jean-Claude Petit, parti d’études précoces et brillantes au conservatoire supérieur de Musique de Paris a vécu l’expérience passionnante d’être un pianiste affectionné des célèbres jazzmen à leurs passages à Paris durant toute son adolescence, avant que d’être amené à l’écriture pour le show business, en dotant les grands noms de la chanson puis la filmographie française.

samedi 2 décembre 2006

Marco Scorticati : un jeune milanais prometteur à Berlin


Berlin, samedi 26 novembre à 11 heures. Musée des Instruments de Musique de l'Institut d'Etat, Tiergartenstrasse. Rencontre organisée en collaboration 
avec l'Institut Italien de Berlin et enregistrée par Kulturradio. Un jeune ensemble de Milan dirigé par Marco Sorticati, l'Estro Cromatrico,  triomphe 
dans le répertoire du concerto baroque en un lieu magique et devant un public d'amateurs.

Le lieu est prestigieux, il a l'autorité des instruments les plus anciens. Des épinettes de la Renaissance, des clavecins Rückers, des Hasse, un orgue 
magnifiquement peint, d'autres marquetés, le clavecin brisé de voyage Markus que le Roi de Prusse portait dans ses dentelles à la guerre, des fagots 
géants, des luths, des violons et des trompettes marines, le portrait de Graun... que de merveilles. 

L'auditorium offre une acoustique remarquable : les bois neufs ont un effet amplificateur, le son est comme retransmis par un 
micro. Pour les instrumentistes il est quasi impossible de juger de la projection, l'émission étant certainement sèche à leur niveau. Une acoustique 
typiquement moderne donc.

Remarquons un programme composé avec un sens de l'équilibre et du dosage : pas trop long, eu égard à l'absence de pause, serti pour le plaisir du public avant tout, soignant l'alternance d'oeuvres célèbres et d'oeuvres peu connues, prenant garde au changement des couleurs et à la mise en valeur des solistes qui se succèdent. Il n'est pas donné à tous les groupes de savoir  un composer un programme XVIII ème où l'ennui n'affleure pas, où les concertos se dépouillent de leur aspect "tafelmusik".

Marco Scorticatti : une flûte engagée "à l'italienne"
Le concerto en do mineur RV 441 de Vivaldi permet à Marco Scorticati d'ouvrir le concert sous son autorité de soliste. Son jeu s'inscrit dans 
l'esthétique qui fait aujourd'hui le succès des interprètes italiens. Il s'agit d'être outrancieusement baroque et expressif dans une démesure qui 
retrouve les excès du Romantisme, excès certes désormais filtrés par les techniques solidement acquises du jeu à l'ancienne. Dire qu'avec l'école 
italienne, la boucle de la redécouverte du Baroque s'est refermée sur elle-même, n'est pas impossible : nous y voyons la preuve que le Romantisme avait 
en lui un héritage que nous n'étions pas encore prêt à sentir aux moments pionniers du renouveau baroque.

Il n'est pas aisé de jouer de la flûte à bec, instrument très ingrat. Soit on le rend expressif et la justesse en pâtit, soit on le rend "cantabile" et 
l'expression devient systématique et froidement élégiaque. Notre expérience d'auditeur s'est affinée, tant les choix techniques de 
Marco Scorticati étaient parlants. En effet nous avions eu l'occasion d'entendre deux autres grands artistes : Lorenzo Cavazzanti, au son parfait 
et à la maitrise totale, et Mikael Form qui dans une virtuosité et une platicité étourdissante, quasi naturelle, nous avait camoufflé combien grand 
est l'effort sur la justesse pour rendre l'instrument expressif. Entendre d'autres choix permet de mieux cerner la personnalité de l'interprète.

Dans les passages de tutti, Marco Scorticati fait entrer le son de sa flûte dans celui du premier violon afin de créer une couleur unique; dans les 
passages solistes, il enfle le son sur la plupart des notes longues et même moyennes : ainsi son engagement est l'expressivité, le dynamisme, la 
vocalité. C'est au prix de la justesse de certaines finales, mais le choix est de dépasser les possibilités de l'instrument. C'est d'ailleurs en osant 
que l'on trouve dans une carrière, les possibilités pour pallier ce problème typique de cet instrument, dès lors que l'on veut explorer un son 
qui touche le public. Un exemple typique du travail de l'artiste, dans les mouvements lents, est sa gestion du souffle et la façon de 
reprendre imperceptiblement sa respirartion avant la note finale pour la poser, à la manière d'un coup d'archet. Cela permet de mettre en valeur le 
conduit vers la phrase suivante dans le même souffle qui vient de poser la note finale. C'est d'un grand effet, employé deux fois, tant que cela ne 
devient pas une habitude systématique, c'est d'un grand prix. Le même engagement se ressent dans les traits de virtuosité qui privilégient à la 
qualité du son, l'impact sur le public, tenu en haleine, et le phrasé proche de celui d'un violon. Scorticati a indéniablement une belle présence sur 
scène.

Un quattuor de corde qui ne se contente pas d'accompagner
Il est rare d'entendre l'opus V de Haendel. L'exemple des l'opus II et III du du grand maître romain, Corelli, que Haendel a connu intimement, ainsi 
que celui des livres de sonates en trio et des sonates méthodiques de Telemann, fait que cet ouvrage (le numéro d'opus fait hommage à l'opus V de 
Corelli) est bien plus important qu'on ne le croit. L'auteur y a mis du soin, y a réduit des pages d'orchestre célèbres, y a ajouté une partie 
d'alto (viola), facultative dans une sorte de "jeu de lego" qui est une constante dans son oeuvre.

La sonate 4 débute par la fameuse Ouverture d'Attila, élégante et guindée, british. La formation à deux violons, viole et violoncelle fait aussi effet 
sur le public qui possède dans son imaginaire la noble tradition du quattuor. C'est donc encore un choix théâtral que celui de cette sonate, 
voulu par Scorticati. Le violon original, anonyme du XVIII ème siècle, de Monika Toth, d'un timbre mezzo-soprano profond et doux n'est pas en osmose 
avec la copie Amati d'Ayaki Matsunaga, lumineux et puissant, mais les artistes savent s'écouter. Le violoncelle de Marco Testori (que l'on avait 
entendu en soliste à Colle di Val d'Elsa dans un concert de Francesco Cera) est très puissant, énergique, exhalté, c'est d'ailleurs une constance dans 
l'école italienne du violoncelle (lire notre commentaire sur Marco Scandelli au festival Pietre Sonore de Milan). La viola de Raul Orellana, très belle, 
rend cependant difficile l'équilibre sonore de certaines parties de la sonate, en particulier la passacaille dont le thème est un peu brouillé par 
les sauts de quarte du remplissage harmonique. C'est que la difficulté technique est vraiment dans l'extrême délicatesse du rendu. Cela vaut le 
coût et reste méritoire d'oser affronter le danger, l'intérêt est de permettre l'alternance des tutti et des solis qu'assument les deux violons, 
ce qui est, encore une fois, très démonstratif pour le public. En définitive, la solution est un travail poussé de la balance sonore pour une 
bonne lecture des deux violons par l'auditeur. Le menuet final est, il va sans dire, exquis.

Sur le talent prometteur du virtuose Davide Pozzi
Le célèbre concerto la "notte" de Vivaldi avec ses effets descriptifs permetle retour du soliste chef Marco Scorticati. Mais il est ici pretexte à 
aborder la manière du continuo de Davide Pozzi, élève de la Scola Basiliensis. il en a le soutien rythmique très fort, on dira même que son 
continuo est trop rythmique et manque de fantaisies, de broderies qui fassent étinceler le clavecin de bouffées impressionnistes. Cependant il a 
su mener de belles lignes au soprano, diriger les instruments vers une détente très ouverte dans les cadences, répandre des effets d'unisons dans 
les légères basses des mouvements lents, en compagnie du violoncelle, s'abîmer dans des plongées profondes pour évoquer "la nuit" et autres 
procédés figuratifs. Le clavecin, copie d'un  Nicolaus Nitcke du début du XVIII ème, avec des chinoiseries laquées (l'original est au chateau de 
Charlottenbourg), très sonore dans cette salle, ne lui permettait pas des nuances dans son registre "piano".

Mais c'est surtout en tant que soliste, dans le concerto en sol mineur de Bach, que ce jeune interprète a démontré qu'il sera une vedette qui comptera 
très fortement sur la scène du nouveau siècle. Remarquable son assurance, pas une égratinure ! c'est déjà beaucoup. Si dans les mouvements rapides le 
jeu est encore trop legato, ne privilégiant que les accents de temps, sa  recherche d'expression dans le mouvement lent est impressionnante, et son
emploi du rubato subtil "XVIII ème siècle" très beau : notamment pour les "notes décalées" entre la basse et le soprano. S'il complète cette recherche 
par une étude de l'expressivité de l'étouffoir, il fera bientôt parti de ces rares "happy few" qui savent faire chanter l'instrument avec le coeur.

Le concerto pour flûte piccolo RV 444 de Vivaldi, une oeuvre que Bach a transcrite pour clavecin, achève d'impressionner le public, qui lors du 
débat après le concert, posera beaucoup de question sur les registres des flûtes, sur les transcriptions et les notes de Vivaldi pour ses concertos 
d'exceptions où on faisait appel à des solistes virtuoses invités plutôt qu'aux jeunes et belles violonistes de l'hospice. Dans cette conférence le 
public germanique s'est montré très savant, échangeant du savoir avec un jeune Marco Scorticati, habile en allemand, et secondé par notre femme 
musicologue et présentatrice ainsi que le directeur du musée.

Le Bis ne pouvait être qu'un Telemann tiré de la "Tafelmusik", en pizziccati, avec cet entrain galamment folklorique qui fait la marque 
indélébile de ce génie.

Berlin. Musée des Instruments de Musique de l'Institut d'Etat, Tiergartenstrasse, le samedi 26 novembre 2006. AntonioVivaldi (1678-1741) : Concert en do mineur RV441, Concerto "la Nuit" en sol mineur"  RV 104, Concerto per flautino en do majeur RV444. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Sonate n°4 de l'opus V en sol majeur HWV 399. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto en sol mineur pour clavecin BWV 1058. Estro Cromatico, Marco Scorticati, flûtes et direction. Ayaki Matsunaga, violon. Raul Orellana, viole (alto). Marco Testori, violoncelle.Davide Pozzi, clavecin.