samedi 18 avril 2009

Kreisberg dirigeant le Schubert de jeunesse

Entendu Kreisberg pour le Printemps des Arts dans le Schubert de jeunesse. L'opinion est confirmée : ce Maestro ne connaît que l'espace entre le mezzo piano et le triple forte, il ne connaît pas comme les inouïts toutes les nuances du blanc comme on dit, il ignore le pianissimo subtil. Tout le travail de Janovsky est désormais perdu, la soie qui faisait la réputation des cordes est défaite. Désolé pour Maître Kreisberg : sa jeunesse d'interprétation enchantera le public gourmand, elle décevra toujours les autres.

Que ce Schubert était ennuyeux ! La faute à la prouesse du débutant si jeunot ? un Schubert adolescent ? Une oeuvre que la biographie admire mais que la postérité devrait ignorer ? Il y aurait à écrire sur le Schubert plagiaire - mais d'autres l'on certainement fait - quel talent ! A chaque fois qu'un thème de Beethoven ou de Mozart passe, il est certes reconnaissable, mais tel un fantôme chargé du poids de l'âme de Schubert : oui, il faudrait écrire un livre sur Schubert le plagiaire le plus génial de l'Histoire, plus génial encore que Wagner dans cet art oculte : quand copier les autres devient sublime par la macération de la création...

mercredi 8 avril 2009

Printemps des Arts de Monte-Carlo : Winterreise de Schubert, un chanteur porté par son pianiste

Christoph Eschenbach était sublime, d'une légereté, d'une agonique ! Il y avait de ses notes retenues et posées comme des fleurs sur la neige. Matthias Goerne, d'une voix sans grande beauté, avec des faiblesses si nombreuses, un souffle si malheureux, est de ces musiciens qui ont une si grande intelligence du phrasé qu'ils font de l'or avec du plomb. Cette manière du pianiste chef d'orchestre d'éterniser les accords du cimetière a poussé le chanteur jusqu'aux limites de l'émotion soutenable par un public : difficile de ne pas pleurer quand la musique vous saute à la gorge de façon impromptue. On a voulue se jeter sur internet pour écouter une voix très saine, Jonas Kaufmann, et tâcher de mieux comprendre : combien, hors salle et intégrale, c'était plus sage et traditionnel, combien le pianiste n'aidait pas, combien cette alchimie était évanouïe !

mercredi 1 avril 2009

Norma à l'Opéra de Monte-Carlo : une oeuvre intellectuelle






Norma est trop sensuelle et trop simple pour se vêtir des richesses complexes d'aujourd'hui

On retrouve ici le même défaut que pour Jénufa l'an passé : l'excès de richesse est vécu comme des impedimenta à l'expression de l'œuvre. Cela ne veut pas dire qu'en soi chaque travail d'artiste n'est pas remarquable, mais tant d'invidualités n'aboutissent pas à une unité malgré l'évident effort de coordination. Le pourquoi est que Norma est une affaire qui marche toute seule, qui n'a besoin comme renfort que de la beauté du bel canto. L'intrigue : une situation de jalousie forte mais simple et peu fouillée. Si elle touche directement le public, plus qu'une autre, c'est qu'on s'identifie facilement à cette femme trahie par son époux avec sa meilleure amie, sujette à toutes les tentations, se venger, tuer son époux, son amie, tuer ses enfants, et finalement se sacrifier elle seule : "femme sublime". L'inspiration de Bellini s'y est accordée ici et là tout aussi sublimement, bien que, dans son ensemble, l'opéra reste d'un canon moyen de son temps, formellement figé. Rien de philosophique comme chez Mozart ou chez Beethoven, rien du Schopenhauer de Wagner, rien de psychanalytique comme Salomé, Jénufa, Turandot, Lulu, rien de cinématographique comme Tosca, rien de cru et sociologique comme Wozzeck, Lady Macbeth. Ici, l'ultra raffinement intellectuel de la mise en scène, décors et costumes ne peut aller qu'au delà de la pauvre petite Norma : petite Norma qui nous fait pleurer parce qu'elle n'a pas conscience, elle, qu'elle chante à la lune la plus parfaite beauté du début du XIXème siècle.

Ce qu'il y avait de plus beau dans les voix

Voilà pourquoi on parlera en premier des voix en déclarant que Monte-Carlo collectionne désormais un Maître de plus en son chef de chœur, Stefano Visconti. Depuis qu'il est là, il a sensiblement amélioré autant la musicalité que l'homogénéité via le recrutement des voix, et quelles voix ! C'est un grand frisson que d'entendre ce chœur, avec cette puissance si compacte, cette souplesse dynamique : il y a là une flopée de musiciens ductiles. Vraiment un minimum de voix féminines à vibrato (si usuelles dans les chœurs d'opéra), aucuns ténors trompetant au dessus des autres, au contraire une vaillance de tous : voilà une stabilité générale, un son, dont on pourra dire, comme les cordes du Philharmonique, qu'il sera vite réputé. On comprend qu'à Nice la dégradation soit si patente (cf. le concert d'Hervé Niquet) : les meilleurs supplémentaires ont déserté cette scène pour celle-ci.

Qu'Hasmik Papian nous pardonne de ne pas parler d'elle avant tout autre, car elle nous a réservé les plus belles émotions bien sûr ! Une grande maîtrise du bel canto, de la psychologie du personnage : sa voix quand elle s'élève, avec tout à la fois largueur et agilité, évoque autant la nostalgie du clair de lune druidique que la chaleur de la passion amoureuse torturant un si vaste cœur. En l'entendant, si personnelle, souveraine et pathétique, là voici qui, tête haute, prend la main de toutes ses illustres prédécetrices. Elle seule a fait toute la soirée, le reste n'était que décor à ses pieds.

Béatrice Uria Monzon aurait pu être son égale et mieux la soutenir dans les sublimes duos, si elle avait une plus grande italianité et si sa dynamique vocale n'était pas appuyée sur le camouflage de certaines faiblesses. Wojtek Smilek en Oroveso, baryton plus que basse, était satisfaisant : ils sont peu nombreux à pourvoir ce rôle.

... et ce qu'il y avait de moins bon

Elles deux montraient tout ce que le métier peut faire pour chanter avec souplesse, avec panache, le bel canto quand un chef, Giuliano Carella, pratique les tempi les plus allants, le minimum de respiration et de rubato pour laisser la place aux fluctuations de la langue (toute critique sur ce point est à discuter : on a pu à l'époque faire de même et la musique trouve le moyen de s'y exprimer). Le ténor qui fit Pollione, Nicola Rossi Giordano, dit-on malade (il aurait du céder sa place), ne montrait pas cette habileté à suivre un chef trop rapide. Est-ce la faute du chef ? Aurait-il pu manifester plus de musicalité dans une autre situation ? On dit qu'il était fameux ailleurs. Ici pour soutenir le même niveau de puissance vocale que ses deux soupirantes, il a pratiqué un timbre poussé tant et plus, plat comme un son d'orgue. Le problème principal est qu'il n'avait pas les basses pour un rôle à l'origine dévolu à un baryton ténorisant, ni l'aigu qu'on attendait de son timbre - mais il esquive la célèbre note...

Du commentaire de l'œuvre sur scène

Il y avait donc trois stars pour commenter l'œuvre : Karl Lagerfeld pour les costumes, Rolf Sachs pour les décors, Jean-Christophe Maillot pour la mise en scène et c'était sa première.

Il nous semble que celui qui a eu le plus de simplicité et d'à propos, qui, pour ainsi dire, a le plus naturellement compris l'œuvre est Karl Lagerfeld. Disons-le tout de suite : ce n'est pas lui qui a reçu les éloges du public... on attendait du faste, du kitsch, on a eu du sensible, du poétique, et, pour Pollione, une pointe de banalité (on dira pourquoi).

Or c'était judicieux de souligner la différence du monde religieux des Druides et celui frivole et glorieux du Pouvoir Romain. Les habits druidiques évoquaient tout autant robes de moine, carapaces de coccinelle, combinaison de cosmonaute, bien d'autres chose encore. Leur simplicité si critiquée était pourtant chargée de tant d'évocations qu'on ne peut pas manquer d'y voir un geste de grand créateur. Les connotations y sont comme les saveurs qui longtemps nous font réfléchir sur leur provenance bien après l'effet.

Volontairement moins originaux, les habits de motards doré pour Pollione et argenté pour acolyte Flavio, les tee-shirt portant une méduse antique (Caravage ? Pompéi ? Difficile de dire de loin !) semblent montrer avec une franchise nette que ces deux amoureuses là sont fascinées à tord par des voyous.

Rolf Sachs dans les décors n'a pas manqué de recherches : il a voulu par exemple opposer la chaleur de la salle Garnier, toute d'or, avec une lumière froide symbolisant le fameux clair de lune. Mais ce professionnel du design, cherchant de toute évidence une beauté post-Malevitch, ne peut pas coller au public dès lors que cette beauté là s'adapterait mieux à la modernité d'une Lady Macbeth de Chostakovitch, pratiquant une musique pornographie sur scène, montrant des corps nus dans toute leur crudité à la Lucian Freud, ce qu'a proposé l'Opéra Bastille cette année d'une façon si proche du donné à voir plaqué ici sur une Norma bien moins froide et cruelle. On voit là tout le heurt qui peut naître entre musique et image quand les expressions de deux époques ne se rejoignent pas. L'échelle-trône, commentaire des échelles druidiques, nous replonge elle aussi, et malgré son or, dans les tristes échelles parisiennes conduisant à la cage-maison de Lady Macbeth. Les arbres-poteaux descendant du ciel font, en plus artistique, plus cubique, le même effet que les cordes trois fois répétées à Nice pour symboliser la végétation et remplacer les feuillages de l'ancien temps. Le public ne peut pas s'empêcher de ressentir une indigence : il ne comprend pas ici une beauté pourtant certaine, mais trop neuve par rapport au propos, trop ancienne ailleurs pour faire rêver d'une Norma au dépaysement échappatoire. Soulignons toutefois une réussite : dans la lumière chaleureuse au cocon du foyer de Norma les œufs lumineux à la place des enfants endormis, facilement cassables, une trouvaille adorable.

La première mise en scène de Jean-Christophe Maillot n'est pas marquée par le génie mais elle en possède les germes.

Maillot à voulu exprimer son "je" de chorégraphe en ajoutant un destin muet sur scène : le danseur étoile Gaëtan Morlotti, la qualité de l'effet étant sujette à sa prestation. Or, force est de constater qu'il était un peu en deçà de sa forme habituelle. On devine bien des émotions qui ont du passer dans les autres représentations, on regrette de ne pouvoir les noter aujourd'hui. Pour nous il y a redite totale avec Altro canto 2, une difficulté de renouvellement du langage en abordant un nouveau genre. Certainement pour le spectateur d'opéra néophyte en Maillot, c'est une émotion neuve que la légèreté de Gaëtan Morlotti à manipuler les têtes des deux druidesses pour qu'elles se réconcilient; tous seront impressionnés par le miroir dansant devant Norma qui la renvoie à elle-même, à la monstruosité de ses tentations au moment où elle songe à tuer ses enfants. Il semble pourtant que Maillot n'ait pas réussi ici la synthèse danse et chant que l'on connaît aux fantasques mises en scène d'un Sylvano Bussotti. Bien plus, sa véritable haute valeur est dans la justesse psychologique à fleur de peau qu'il met dans les mains des chanteurs. Il y a vraiment nouveauté dans cette gestique raffinée qui, bien qu'imposée, ne nuit jamais à l'expressivité des interprètes (ce n'était pas le cas pour le metteur en scène de Jenufa); Maillot semble avoir déjà le don de ne pas forcer, de faire avec les potentiels de chacun, y compris le chœur, dans un dialogue fertile. S'il n'a pas brillé d'un éclat neuf, il semble pourtant promettre une grande œuvre bientôt sur la scène de l'Opéra.

Il y aurait débat sur l'entente des trois

Au point de vue de la modernité du commentaire : pas de doutes ! Et les œufs fragiles de Sachs dansaient dans les mains de Maillot avec la même blancheur que les costumes des druides et que les guis des décors. Mais au point de vue de l'expression : l'un fut plus simple, l'autre trop complexe, un autre se cherche, le tout fit saillir des individualités exprimées trop fortement, dont, pas la moindre, Bellini lui-même - et il avait tout le cœur du public...