mercredi 28 mars 2007

Peintres arméniens exposés à Cagnes-sur-mer

On trouvait déjà à Cagnes-sur-Mer la plus belle collection française d’œuvres arméniennes à la « Maison du Souvenir Roupen Sévag ». Autour d’elle, des prêts de musées prestigieux (centre Pompidou) ont permis cette exposition virtuose dans le cadre de l’année « Arménie mon amie » parrainée par les présidents Chirac et Kotcharian. Tous les courants de peinture du XX° siècle sont traversés par une seule âme. Solitude du poète arménien en face de paysages silencieux, déshumanisés, sous une lumière directe, souvent d’un aplomb brûlant. En ouverture des « marines » de nuit (Chabanian) nous plongent déjà dans le sublime dangereux. Eclate vite la couleur aveuglante de l’Orient dans une foule de peintres néo-impressionnistes ou fauves (Katchadourian). Surgit le Mont Ararat (Alhazian, 1920), aux grands aplats francs comme l’Arménie. Dans la plaine, devant ce géant, une petite église. Cet isolement devient pierreux et anguleux dans la version d’Hagopian (1984), surdimensionné et angoissé chez Jansem (2001). On le croirait surgi de l’Antiquité avec « l’Olivier » de Mikhitarian. Une méditation qui tourne au cauchemar pour les rues mortes d’Erévan (Koupetzian puis Eghiazarian, qui les hantent d’une procession de Saints fantômes) ou le « port de Rêve » de Corzou. Emotion quand une petite fille marche perdue dans un village (Arakelian) ou quand une femme (Ihmalian), entre Orient et Abstrait, nous regarde en face. A l’étage - après la modernité (le rythmique Arabadjian) ou l’étonnant « carrefour caucasien » d’Hamalbachian qui transforme les icônes byzantines en pop-art - Orient, couleurs, lumière et solitude se résument dans le génie unique de Sarian : « Chien courant – chaleur d’été ».

Cagnes-sur-mer, musée du Château

Interview de René Koering à l'occasion de sa mise en scène de la "Veuve Rusée" de Wolf Ferrari à Nice

Pourquoi et comment avez-vous fait cohabiter en vous le créateur et le responsable de grands organismes ?

Que faire quand on commence une carrière de compositeur à l’âge de vingt ans ? Un sondage à l’époque prouvait qu’une seule personne dans la musique savante pouvait en vivre : Olivier Messiaen, les autres montraient des situations aléatoires, même Pierre Boulez ne vivait pas de sa seule composition. Les droits d’auteurs ne suffisaient pas, une commande demandait un à deux ans de travail pour l’équivalent de six mille euros, le compositeur était garant de mourir de faim. Deux solutions se proposaient à l’époque pour vivre : soit devenir chef d’orchestre, soit faire une carrière dans les émissions de radio. Je suis alors rentré à France Musique très jeune pour gagner mon pain. En 1980, Pierre Vozlinsky m’a demandé de devenir directeur de France Musique, en 1985 je fondais le festival de Radio France, je cherchais une ville qui pouvait l’accueillir et ce fut Montpellier où j’habite maintenant. Comment j’ai pu concilier les deux ? Pour vous faire comprendre, je retourne en arrière. Mon premier travail était copiste : calligraphie lisible et esthétique. Je recopiais le matériel d’orchestre et y passais quatre à cinq heures chaque nuit. Je me suis donc fait à un gros travail ! J’y ai beaucoup appris sur ce que faisaient les autres de bon, de moins bon ; puis la confiance qu’on me fit aboutit à des propositions de travail de nègre, compléter telle ou telle orchestration. Dès lors ce métier de copiste devenait pénible, je l’ai quitté pour la radio tout en le recommandant toujours : on y gagne bien sa vie. Aussi à votre question sur la manière de faire cohabiter la composition avec un travail de responsabilité, je réponds par la nécessité et l’habitude.

Comment en êtes-vous venu à la mise en scène ?

J’ai beaucoup travaillé avec Bruno Maderna et j’ai fréquenté nombre de metteurs en scènes talentueux des années soixante et soixante-dix, j’appris beaucoup. Comme directeur de festival à Montpellier, je souffrais régulièrement de ce que certains metteurs en scène dépassaient le budget qui m’était possible de leur allouer, quand bien même je savais, par mon acquis, qu’il leur était possible de ne pas le faire. Ce fut donc là aussi une nécessité qui me poussa vers une carrière si attrayante par ailleurs. La seule chose que je ne fais pas est de mettre en scène mes propres œuvres. J’en fis une fois l’expérience qui eut ce constat : on tourne en rond, s’enferme en soi, réalise l’utilité du regard des autres.

Qu’est-ce qui vous a amené à cet opéra léger repris à Nice ?

J’ai un certain goût pour la comédie. Déjà Zemlisky proposait une comédie florentine, certes assez grinçante ( ?) mais toute empreinte de la tradition. L’âge d’or du théâtre vénitien me fascine et en particulier Goldoni dont la pièce est le livret ici. J’avais fait le disque de cette œuvre avec Marco Guidarini, ce fut un grand succès ; je décidais de la porter à la scène, le chef, par les hasards des programmations, en fut un autre : à charge d’une revanche matérialisée par la présente reprise à Nice.

Vous avez donc trouvé en Goldoni de quoi vous amuser…`

Goldoni est comme Molière, sublime. Sa finesse psychologique, ses situations scéniques… il est une manne pour tout amateur de théâtre. Cette rencontre avec la musique de Wolf Ferrari est une merveille : moitié munichois, moitié vénitien, en ce début de XX ème siècle, il était seul à posséder encore cette légèreté vénitienne qu’exprime le texte. Quoi de plus agréable à mettre en scène ? Voilà une comédie de mœurs au sujet piquant : une dame riche voulant se remarier subit les assiduités de quatre prétendants ; en contrepoint sa camériste française repousse Arlequin, tout en étant très attirée. Amour récalcitrant et couple contradictoire, source de comique. Quant aux quatre prétendants, ils sont déjà, à l’époque de Goldoni, les caricatures actuelles : l’espagnol est arrogant, le français futile, ne s’intéressant qu’à la coiffure, l’anglais distingué mais vrai petit voyou, l’italien séducteur, évidement celui qu’elle va épouser : de tout temps on aimait dire en Italie que l'italien est naturellement supérieur en tout point aux autres ! Je me suis amusé à reproduire ces caractères, je me moque des traits de nos pays, j’y fais vivre le peuple de Venise d’hier et d’aujourd’hui : des nones y côtoient des playmates et ces hommes-statues de la rue qui sont nos saltimbanques modernes. Les décors sont eux-mêmes modernes, avec en fond une grande toile de Francis Bacon. Vous comprenez que je me suis amusé du monde contemporain … Je finirais volontiers par une petite maxime : dès lors que vous voulez amuser les autres, si vous ne vous amusez pas vous même, votre travail rate.

lundi 26 mars 2007

Biographie subjective by Sylvano Bussotti himself (I)




PREMIERE PARTIE A L’USAGE DU PROGRAMME DE SALLE DES JOURNEES BUSSOTTI A PARIS



Il m’est difficile de savoir si , dans mon enfance , j’ai commencé par peindre, par composer ou par écrire des textes pour la scène, en utilisant ce qui était original : l’ancien langage vénitien. Je parlais le vénitien à la maison avec mes parents, et je mélangeais ce langage antique et toujours vivant avec le toscan que parlait ma famille venue de la campagne florentine. Dessin, poème et musique : musique parce que tout petit on m’envoya chez une dame et, de là, chez un professeur du conservatoire qui m'y fit entrer, une année avant l’âge prévu par la loi. Dix années ainsi, jusqu’au moment où, entre l’adolescence et la toute première jeunesse, je rencontre Dallapiccola, je fréquente spectacles et concerts du festival « Maggio Musicale Fiorentino » en alternance avec la vie artistique de Padoue, très ancienne ville universitaire. Padoue, voilà un moment que je n’ai jamais dit : je rencontre des personnages du milieu musical qui allaient devenir des célébrités dont quelques composants du Quartetto Italiano. De là l’académie de Sienne, quatuors à cordes, pianistes, cantatrices, tout un ensemble de musiciens caractérisés par une attitude très respectueuse des traditions : sommet de l’académisme ! Un jeune homme comme moi, prêt à fracasser au pied l’académisme en personne, en contact avec eux ! voilà bien une pierre de feu et l’incendie dans le cœur de ces artistes impressionnés par mon talent : un petit qui dessine dans la trempe de son oncle célèbre et de son frère, à la graphie musicale de très haut niveau, sans aucune étude conventionnelle ! Entre 1943 et 1946 et plus intensivement lorsque les soldats américains remontaient du sud jusqu’à la région vénitienne en libérateurs – j’ai dit que ma famille était mi florentine, mi padovaine –, en jouant sur les deux argots, voilà le Silvano acteur qui vient à la surface en jouant selon l’ancienne technique des canevas de la commedia dell’arte. Qu’est-ce qu’un canevas ? En voici un : un jeune homme assis tape sur l’ordinateur et l’interviewé lui répond (avec un sourire). C’est une indication de jeu, le sourire est mis entre parenthèse. Retournons cependant au contenu de l’interview : à partir de ce moment, une exigence puissante de quitter les lieux s’est levée en moi : pourquoi quitter un lieu aussi prestigieux que celui qui m’a donné naissance ? Etait-ce un patelin ? non, c’était Florence ! l’alternative était Venise. Venise, lieu des affamés de culture, immédiatement après la guerre. A Florence je dévorais le Mai Florentin, où j’ai vu des spectacles mémorables de Luchino Visconti, Giorgio Strehler ; des pièces capitales du théâtre musical et non musical. Brecht venait, Serge Lifar, danseur choyé par Diaghilev, la compagnie de Paris. A Venise, c’était la création de l’opéra de Stravinsky « Carrière d’un libertin », premier acte dirigé en confusion par l’auteur lui même, puis la suite relevée avec dévotion par un excellent chef-assistant.

A l’époque j’ai reçu une première sollicitation, je ne me rappelle pas par qui, pour me rendre au cours d’été du festival d’Aix-en-Provence, et là, j’ai fait mon premier voyage en France. Aix me fit rencontrer Maria Casales, Jean Vilar, Gérard Philippe et Albert Camus. Luigi Nono, en sachant que j’étais à Aix, vint me sommer de donner mes partitions pour les montrer à quelqu’un qui cherchait des jeunes talents. Cet ami faisait une création mondiale au Casino d’Aix. J’y assistais : ce n’était rien moins que « le Marteau sans Maître ». Luigi Nono apporta donc ma musique à Pierre Boulez. Il était d’ailleurs question que je m’installe à Paris. Là, Boulez me confia quelques parties de sa « Deuxième Sonate ». Je m’en suis allé les étudier chez une amie qui vivait à la campagne de la banlieue parisienne. J’ai rapporté la partition à Pierre, qui entre temps allait diriger à Naples une création de mon maître Dallapiccola, dont la mise en page préfigurait les espaces calligraphiés dans mes œuvres à venir. Boulez me fit une commande pour le Domaine Musical, il donna un concert à Paris où l’on assista aux débuts de Cathy Berberian : elle chantait dans une version de chambre mon œuvre « La passion selon Sade ». Elle avait interprété aussi, avec ma participation d’auteur-acteur d’autres œuvres telles que « Torso » et « Pièce de Chair II » que j’avais ainsi intitulée car la mode était de composer des séries I, II, III, alors que cette pièce ne se voulait précédée ou suivie par aucun mécanisme.

Il y eut les voyages aux Etats-Unis où je fis la connaissance de Bernstein. Au Carnegie Recital Hall, il écoutait « Sette Foglie » que j’avais commencé de composer à Darnstadt, où quelques fragments furent dirigés par Stochkhausen. Nous sommes dans une sorte de planétarium que j’ai connu dans un éclair, les uns à la suite des autres. L’aspect visuel de mon travail a séduit. Il y eut David Tudor pour qui j’écrivis des oeuvres pianistiques. Enfin John Cage qui, lui aussi, dessinait souvent ses partitions. Point final de la toute première partie biographique personnelle. Pour en connaître la suite (et notamment ma rencontre avec Rocco Quaglia) allez lire le blog de mon interviewer. (sur le blog même , comprenez de suivre à l'article suivant)

Biographie subjective by Sylvano Bussotti himself (II)


DEUXIEME PARTIE DE LA BIOGRAPHIE DE SYLSANO BUSSOTTI

Fermée la première période de voyages, je reste en Italie avec le musicologue qui m’avait fait connaître Adorno, Heinz-Klaus Metzger. J’accélère un peu en arrivant à cette chance d’avoir pu devenir metteur en scène et scénographe à une époque où mon attitude était éminemment soupçonneuse : on n'en était même pas à accuser Stravinsky de modernisme mais encore le dernier Debussy dont on boycottait les « Jeux » ; on détestait le « Pierrot lunaire » et on jouait plus volontiers « la Nuit transfigurée ». Je venais de renouer avec ces amis d’enfance devenus un célèbre quatuor. Ils me commandent une œuvre pour quatuor et orchestre, ce fut « Quartetto Gramsci ». Ceci a fini par me mettre en contact avec le Mai Florentin, puis la Fenice, la Scala à Milan et l’Odéon à Paris. Dans tous ces théâtres : mises en scènes, accompagnées par des expositions de ma peinture. Un exemple parmi beaucoup , une petite galerie près du théâtre de l’Odéon : on y exposa des photos de Jacques Cloarec entièrement consacrées à mes costumes. Lors du vernissage, dans cet espace de quatre mètres de largeur, Rocco, au milieu de la foule, y danse, se faufilant, une œuvre spécifiquement écrite pour ces occasions, œuvre de mime – les grands bonds étant exclus. Ainsi arrive dans notre conversation le nom de Rocco , le danseur que j’avais connu au Mai Florentin, et qui fut Aladin dans mon ballet « Raramente ». Voilà donc Rocco que je persuadais de quitter le théâtre et de me suivre dans mes déplacements dans le monde. A ce moment, on créa le « duo expérimental », qui devenait parfois trio. Pour cette formation on réalisait « Per tre sul piano », dans, sur, avec le piano comme objet scénique , tantôt à l’intérieur des cordes, tantôt avec le clavier et Rocco s’appuyant comme si l’instrument était une barre d’école de ballet. Là aussi, on élaborait pas mal de créations jusqu’au moment où - comme j’avais déjà inventé tant de mises en scènes pour Puccini, Monteverdi, Mozart, Malipiero et d’autres auteurs - j’ai finalement commencé à diriger des festivals d’opéra, principalement le Festival pucciniano di Torre del Lago. J’y fis sept saisons et montai presque tout Puccini. « Turandot » fut la mise en scène principale dans cette série. Je montai mes propres opéras, dont « Lorenzaccio », « Phèdre », « le rarità, Potente » et les ballets « Bergkristall », « le bal Mirò », « aussi Satie », « ce Faune » et d’autres. Je commençai l’élaboration de quatre volumes d’œuvres pour grand orchestre, « Il catalogo è questo ». L’œuvre vient d’être produit avec l’orchestre Philharmonique du Luxembourg, dirigé par Arturo Tamayo.

De mes dessins et de mon œuvre peinte, il existe un catalogue Electa. Un livre particulièrement important, parce qu’il a répandu un visage bussottien d’un ordre du travail très inhabituel. Enfin je referme cette biographie essentielle par mon activité littéraire dont je cite seulement « I miei teatri » édité à Palermo, ou tout récemment « Disordine alfabetico » édité à Milan par Spirali. Pour mon activité la plus récente : deux opéras. L’un est « Pater Doloroso », l’autre est « Izumi Schikibu ».

J’en ai beaucoup dit, cependant je dois un hommage à Martine Joste pour conclure : au cours des dernières années, j’ai intensifié l’activité d’interprétation au piano, ce qui m’a amené à écrire plusieurs œuvres. Bien sûr tout cela a commencé bien longtemps avant , surtout avec « pour clavier » de 1972 et mon travail autour de « Solo », œuvre pianistique qui compénétrait la « Passion selon Sade ». Je joue souvent moi-même la Sonatina Gioacchina qui a été écrite pour Martine Joste. Enfin les « 111 tocchi a Stefano », qui est la base harmonique du « Pater Doloroso » dont la monumentalité y est toute comprise et germée.

Bob 3 X 3 INTERVIEW - Sylvano BUSSOTTI (III)


Quels sont, pour votre vie créatrice, en partant de l’enfance, vos trois premiers souvenirs ?

Lorsque j’étais tout petit et que j’avais un frère âgé de six ans de plus que moi, j’ai vécu très fortement la sensation qu’il était la toute première incarnation de l’amour vrai. Il m’entourait en effet d’un amour absolument intégral : total. Lors d’une fête de la ville de Florence très courue par les enfants, « la festa del grillo (du grillon) », nous nous rendions au parc de la ville où se vendaient des petites cages pour les enfants, chacune contenant un grillon. Et la rumeur populaire voulait que les grillons mâles chantassent et les femelles point. Mon frère obtint son grillon et moi le mien naturellement. Là dessus, ce fut une crise épouvantable de ma part, car je ne tolérais pas que les deux grillons ne fussent ma pleine et seule possession ! Ce furent des larmes jusqu’au moment où mon frère, avec toute la tendresse que je lui savais, s’est sacrifié pour me le donner. Cela me caractérise fortement et symbolise le fait que je ne serais pas apaisé si je ne possédais pas la littérature, la peinture, la musique, la danse, le théâtre … Inconsciemment, tout cela était déjà dans mon âme à cet âge innocent.

Le souvenir suivant se rapporte à ma fuite de l’Italie. Elle advint…. pas bien longtemps après : une dizaine d’années, à mon adolescence. Je pris un train de nuit pour la France. Il m’amenait à Marseille, ville sur laquelle on avait les plus épouvantables rumeurs : on la figurait comme une sorte de Sodome et Gomorrhe et donc, adolescent, j’y allais dans l’espoir que cela soit vrai car j’avais envie de m’amuser ! Bien au contraire, je trouvais une ville absolument marchande et stupide. Heureusement que quelque aixois vint me chercher et je pus fortuitement assister à l’un des premiers spectacles du Festival d’Aix dans la cour du palais de l’Archevêché.

Par la suite - puisque la fantaisie de mes souvenirs s’est fixée aujourd’hui dans ce mélange des arts, paysages et voyages – je me retrouvais, encore tout jeune, à New York pour la création mondiale d’une très courte oeuvre de musique de chambre au Carnegie Recital Hall. La salle est célèbre car chaque fauteuil porte, inscrit, le nom de celui qui l’a offert, Chaplin, Disney, Rockefeller… Ma composition fut bissée immédiatement, je dirais (modestement) à cause de sa brièveté mais on pourrait penser aussi pour un réel grand succès. J’ai dû moi-même diriger ce bis. Mais la vraie cause de cet engouement était Bernstein ! Au fond de la salle, il criait à tue-tête : « bis ! bis ! bis ! ». On peut comprendre que le public n’avait pas le courage de démentir une claque d’autorité comme celle de Bernstein.

Quels sont vos trois souvenirs les plus récents ?

Des Etats-Unis encore, (cela me vient par association d’idées) une nomination est advenue dans l’âge mûr. J’étais promu chevalier de l’ordre de Mickey Mouse. Ordre un peu spécial car cette nomination dure une vie entière, il n’y a pas d’autre chevalier ou commandeur, chaque fois qu’un commandeur de cet ordre disparaît, on nomme son successeur. Celui qui me précédait, monté au ciel : Jean Cocteau ! C’est en démonstration de cette distinction que souvent j’arbore une veste Mickey Mouse acquise à l’aéroport de Londres.

Toujours dans une date récente, à l’occasion d’une exposition-concert qui a eu lieu au musée d’Orsay à Paris, on créait une œuvre musicale tout en exposant mon travail de peintre à côté des impressionnistes et plus précisément Van Gogh. Ma peinture, fraîche car faite pour l’occasion, est restée dans ce voisinage trois jours. Elle est rentrée chez moi toute pleine de ses souvenirs.

Enfin pour finir je reviens à une impression forte mais cette fois-ci toute récente, elle servira de pendant, je l’espère, à celle que j’ai donnée de mon enfance au début de votre interview : actuellement installé dans la ville de Milan, au dernier étage d’un modeste gratte-ciel, j’observe un paysage d’une chaîne de montagne qui dépasse la Suisse et qui semble cacher Londres, Paris et Berlin. En passant par mon imagination au-dessus de ces crêtes, le son de ces grandes villes européennes rejoint ici, à Milan, une synthèse que je me plais à reconnaître telle que le Bussotti Opera Ballet (BOB), depuis longtemps, oeuvre à la concrétiser.


En ter de l’interview : Aspect autobiographique de l’œuvre « Silvano Sylvano » qui sera interprétée à la salle du Triton en Avril à Paris.

« Silvano Sylvano » trouve son origine également en France. C’était au moment de mes premiers concerts et expositions de partitions graphiques en France. Un quotidien, le Nice Matin, publia quelques articles de Paul Juif. Ce journal avait imprimé mon prénom sous forme d’hybride francisé - quelqu’un dans la rédaction ayant sans doute pensé que cela s’écrivait avec l’ « y » que l’on trouve dans la forme « Sylvain », bien qu’en italien c’est « Silvano ». Cela a donné « Sylvano ». J’en ai souri et je ripostai immédiatement à Monsieur Juif. Lui, avec quelque amicale rhétorique de me répondre : « à votre place je garderais cette variation qui est un très beau symbole typographique d’un homme aux bras ouverts ». J’adoptai donc comme définitive cette graphie dans mon prénom. Récemment dans la rédaction d’une oeuvre à la fois musicale , picturale , littéraire et théâtrale, j’employai ce titre « Silvano Sylvano » pour signaler de façon légère qu’il s’agit d’une sorte d’autobiographie au style extrêmement mobile, varié, promettant des développements futurs. L’oeuvre a été créée avec une version minimale au sens que l’auteur se trouvait tout seul au piano dans une salle comble à Florence. La salle était peut-être comble du fait que tonnait un orage terrible : les gens de passage se réfugiaient dans le théâtre où ils ne s’attendaient pas à’écouter la naissance de cette musique encore neuve et flexible. Successivement l’oeuvre à été présentée dans de nombreux endroits, à la Zarzuela de Madrid notamment, en tant que lever de rideau, avant la création espagnole de la « Passion selon Sade », dans une mise en scène de Rocco Quaglia . Rocco, puisqu’il a dansé plusieurs rôles écrits pour lui, est devenu nouvellement le metteur en scène le plus compétent pour le corpus bussottien. « Silvano Sylvano » sera en France pour la première fois à la salle du Triton à Paris encore une fois interprété par l’auteur. Je désire souligner derechef sa malléabilité : d’un effectif pas très grand mais peuplée de plusieurs formes d’expressions musicales, théâtrales, picturales, elle constitue un work in progress.

jeudi 22 mars 2007

Norbert Pastor, un amateur perspicace

Norbert Pastor, médecin collectionneur, passionné du rapport à l’humain, après avoir suivi trente ans durant des artistes confirmés ou émergeants, a ouvert voilà un an une galerie ensoleillée, ambiance amicale, où se pressent tous les amateurs d’arts contemporains. Aujourd’hui accrochage de groupe. Dans le premier espace, fait d’abstraction et de rythme, les couleurs nous accueillent sur la thématique de la pratique de la peinture : trois artistes, d’ailleurs en actualité sur Nice (Mamac et galerie des Ponchettes) y sont mis en avant. Marc Chevalier, avec du ruban adhésif sur châssis, parle de peinture sans en utiliser une goutte. Cédric Teisseire fait déborder du tableau sa peinture sucrée en la froissant ou en utilisant la seringue. L’œil s’intrigue de la robe de mariée fantomatique d’Anne Gérard, délimitée par les seuls contours blanc sur un support maculé non vierge. Déjà se profile une expressivité émotive de l’exposition. Au sol, les sculptures de Martin Caminiti ajoutent une musicalité certaine que l’on a surtout admirée pour l’heure avec la machine à fleur faite de cannes à pêches et de cadres de vélo, fragile comme le vent. Dans l’espace suivant, le travail est plus figuratif tout en donnant une épaisseur presque abstraite à la matière, d’emblée vecteur de joie et douleur. Il en est ainsi du corps de femme de Gérard Serré, mais aussi du boeuf écorché de Caroline Challan-Belval, qui s’intéresse aux lieux d’industrie, ici les abattoirs de New York. Une toile expressionniste de Jacqueline Gainon, « portrait d’après », nous scrute avec une telle terreur qui trouve un écho dans l’un des portraits de Jean Louis Kolb, portraits intenses par l’usage du pigment. Cette gravité est égaillée par les grenouilles en céramique de Jacky Coville. Le dernier espace est dévoué aux pulsions érotiques avec de délicats et matissiens dessins qui font étrangement vibrer d’exotisme les estampes abstraites de Gérard Serée. Enfin la force sexuelle et brute des scènes mythologiques rouge et noir, « nuits primitives », de Patrice Giuge. Une exposition forte.

Nice, galerie Norbert Pastor