vendredi 27 mars 2009

Elisabeth Vidal en Lakmé : une sacrée musicienne !




Oui sacrée puisque son terrible père Nilakantha est si offensé qu'un jeune soldat anglais, Gérald, ait profané l'enclos saint où fleurissent les daturas, qu'il ne pense qu'à assassiner le sacrilège admirateur de sa divine fille, sans même voir qu'elle en est tombée amoureuse. Il le blesse au poignard, elle le soigne; l'appel des soldats résonne, le coeur du héros balance, elle comprend que l'aimé n'est plus le même, que "son âme n'est plus sur ses lèvres", elle mord une fleur de datura pour que la mort la lie à jamais à son Gérald. Comme il a bu à la coupe d'ivoire, désormais sacré, il n'est plus assassinable ! Mais quel chagrin !


Elisabeth Vidal


On trouve beaucoup de grandes voix sur les scènes, avec des timbres plus ou moins fabuleux, mais peu savent vêtir de poésie chaque mot. Quand on dit Poésie, on parle de multiplication de sens par l'instinct dramaturgique, la sensibilité, le charme, la perfection de la diction française. Elisabeth Vidal était toute Musique ! Toute en échos, en souplesses, en nuances... Son "reste encore un peu pour que le rêve ne s'achève" était tout simplement vécu. Atteindre au sublime lui est conféré.


Hélas, il faudra mettre un bémol à cet éloge. Elisabeth Vidal est très douée, elle l'a certainement toujours été et donc toujours été encensée. Elle peut, à juste droit, se demander pourquoi sa carrière n'est pas encore plus merveilleuse que ce qu'elle est déjà.

Quand on est une si grande musicienne, on intimide les critiques qui n'oseront dire ce qui fait de la peine. Il faut haïr ce métier pour avoir à écrire ces lignes : chez elle, comme chez beaucoup de gens qui ont le génie facile, on discene un manque d'exigence. Certaines rares notes sur les temps faibles ne sont pas suffisamment justes. L'habitude de vouloir éblouir en concert par des suraigus fortissimi spectaculaires, forcément ovationnés, l'ont peut-être fermée à l'avertissement de quelques oreilles externes : "attention Madame, la fréquence la plus basse de votre vibrato est déjà plus haute que la note à attendre !" Tout le monde le sait, personne n'ose l'exprimer à voix haute, mais sous cape cela sert d'argument aux jaloux - eux qui ne sont pas de vrais musiciens comme vous !


Et pourtant, en corrigeant ces moindres défauts, Elisabeth Vidal peut attendre à la perfection internationale.


Marc Barrard


Du métier aussi pour cette grande voix de basse attribuée au méchant brahmane. Sa superbe diction théâtrale, musicale, donnant de la voix, nous replongeait, avec celle d'Elisabeth Vidal, dans l'ambiance du Cyrano de Bergerac de Roberto Alagna dont on sait l'exigence extrême pour défendre et faire passer dans les oreilles du public la véritable déclamation française. Si les souvenirs sont bons, Marc Barrard était un fleuron de cette équipe ...


Leonardo Capalbo









Une diction très nette aussi et surtout un timbre d'une grande beauté pour ce jeune homme. Et pourtant dans la salle, des commentaires partagés : les uns sous le charmes, les autres cherchant à trouver ce petit quelque chose qui les gênait.


La pêche aux indices auprès des groupies d'opéra qui se tapissent souvent dans les loges, nous a permis de confirmer ce que l'on avait deviné : ce chanteur italo-américain ne parle pas un mot français !


Chapeau bas alors pour faire illusion ! Il faut saluer l'extrême soin de sa préparation de prise de rôle. Pour être aussi expressif, il a du étudier tous les interprètes qui l'ont précédé, étudier les sens des paroles, être scrupuleusement assidu aux études phonétiques. Il a si bien interprété son rôle que peu ont entendu dans le public qu'il n'était pas français.


Du r grasseyé et du r roulé dans le chant


Mais il a voulu tant être pointilleux, qu'il a exagéré ses nasales (les "en") et surtout les r grasseyés. Ces r donnaient l'impression (excusez la laideur de l'image qui veut simplement exprimer un point technique) qu'il "vomissait cette consonne". Cela était perceptible surtout en finale de mot et devant les consonnes dentales. Ce r provoquait un petit empétrement dans la beauté de la voix, à peine, mais quel dommage ! Il faudrait que, prenant exemple sur Elisabeth Vidal, il roule un tout petit peu ses r à l'italienne, comme fait, d'ailleurs, tout bon chanteur francophone, peut-être par tradition, surtout parce que dans la voix chantée l'effet du roulement est toujours atténué quand il parvient à l'auditeur.


Vraiment il s'agit d'un petit détail. Par l'expérience, il sera vite corrigé et si, dans le public, certaines personnes faisaient mine de ne pas le lui pardonner, c'est qu'au contraire elles ont été bluffées et ont cru de toute bonne foi qu'il était francophone. Voilà donc même un compliment, mais attention tout de même à ne pas casser la voix si fraîche par une technique d'émission trop boustée par la scène quand elle n'est pas encore aboutie dans la maturité psychologique.

A propos des costumes safran : pourquoi, quand on la chance d'avoir un jeune premier qui soit un vrai jeune premier - et c'est si rare ! - l'avoir habillé en sac à patate ! C'est de la jalousie ?





Conclusion sur Delibes et la musicalité du plateau



Cette musique a un parfum certain ! La simplicité des mélodies, qui pour les précieux passerait pour de la chansonnette, est toujours sauvée par le balancement rythmique typiquement chorégraphique de la phrase delibienne. Cette musicalité du compositeur a trouvé un écho dans la musicalité des interprètes choisis. Surtout Elisabeth Vidal, Marc Barrard et Leornardo Capalbo, des âmes sensibles. Mais aussi dans les rôles secondaires, jusqu'à la tendresse du petit esclave consolateur, père de substitution pour Lakmé qu'était Hadji. C'est donc un grand plaisir d'êtr auditeur à Nice ce soir...


Un écho aussi dans la fluidité du chef d'orchestre, Alain Guingal, qui a été ovationné par le tapement des pieds de tous les solistes, fait rare et notable. D'habitude les mains applaudissent de façon polie, ici tous ont manifesté l'évident plaisir de chanter sous sa baguette.

mercredi 25 mars 2009

LE SIÈCLE D’OR ESPAGNOL - EGLISE DES BILLETTES

LE SIÈCLE D’OR ESPAGNOL - EGLISE DES BILLETTES - PARIS - Lyrique - Reseau France Billet: "Philippe Maillard Productions

BEAUTÉ, SPIRITUALITÉ & PASSION AU XVIIe SIÈCLE CABEZÓN SANCES DURÓN MARTIN Y COLL...

LIA SERAFINI soprano
ENSEMBLE JANAS
LORENZO CAVASANTI flûte à bec
JORGE ALBERTO GUERRERO violoncelle
PAOLA ERDAS clavecin & direction

L'Espagne du XVIIe siècle tire sa richesse musicale de l’union entre musiques populaire et savante, intégrant les influences italiennes grâce au génie des Cabezón, Durón ou Martin y Coll. L’Ensemble italo-espagnol Janas en traduit la latinité dans un programme dont le cœur est le poignant Stabat Materde Sances.

Un moment magique

Telle était l'annonce du concert parisien du groupe de Paola Erdas, concert qui en espagnol se dit HERMOSURAS : beauté formelle absolue. Ce concert rappelait dans la paix intérieure qu'il diffusait à chacun, dans l'esthétique choisie, posée et analytique, dans la splendeur de sa construction, rappelait ceux de l'ensemble les flamboyants de Mikael Form. C'est appaisé, charmé que l'on ressort de ce vrai moment à part.

La Serafini en ange séraphin

Oui un séraphin, séraphique. Quels progrés depuis le concert de Lyon au programme identique, il y à trois ans ! On se réjouit de la voir chercher à toucher toujours plus le public. A Paris le coeur était vraiment transpercé ! Mais la comparaison avec Agnès Mellon dans le même répertoire... c'est la moelle qui doit être transpercée !

Ici suit une méticuleuse critique de sa prestation. Ce n'est pas mettre en doute la grande artiste qu'est Lia Serafini. C'est au contraire, via le rôle de critique qui malheureusement n'est pas modeste (sale métier), qui prétend être sûr de ses jugements (ce qui est trés aléatoire !), l'accompagner vers un futur d'artiste bien supérieure encore.

La Serafini touche mais pas encore suffisament intinctivement
Assurément sa voix est bien puissante, tout dans le son qu'elle est, et aussi grâce aux puissantes harmoniques. Mais cette préoccupation de faire un trés beau son, maîtrisé au coma prêt comne le ferait un flûtiste (surtout pour les finales !), fait de sa voix un timbre plus que des paroles. On ne comprend rien du tout à ce qu'elle dit. C'est un défaut qu'elle partage avec d'autres chanteuses dont l'oreille est si bonne, qu'elles en oublient qu'elles communiquent du sens.
Une vision petite comme une architecture de la Renaissance
Elle est trop dans les miniatures, les petits effets, sa vision musicale est comme une gravure de motifs floraux...particulièrement douée pour la décoration ! Aussi la ligne de la pièce se perd, la psychologie est morcelée.
Lâcher la voix, c'est un contre-exemple pour elle : l'horreur du style bel-canto lui fait tenir en arrière les notes qu'on voudrait entendre claquer et quand un auditoire devine que la puissance de la voix est là potentiellement, cette retenue crée une frustration : c'est une haie qu'elle ne saurait franchir de peur de perdre son style. Combien le public a besoin au contraire qu'elle se lâche ! Qu'elle se rassure : elle n'aura jamais une voix d'opéra, sa voix est formatée dans une esthétique médiévale pour toujours, assurant l'acèse de son auditoire.
La douleur est une laideur qu'il faut accepter
Mais pour le XVII° siècle plus d'humanité est nécessaire : ce qui était laid au Moyen-âge est devenu beauté douloureuse dans le Style Nouveau. Non pas que Lia Serafini n'est pas parvenue à être plus émotionnelle qu'à Lyon, plus humaine. Mais il faut qu'elle puise encore plus loin en elle d'expressions pour que tel mélisme du Stabat Mater ne soit pas qu'une floriture mais une larme, pour que le coeur de l'auditoire soit soulevé d'un même souffle du début à la fin de l'oeuvre.
Laissez vous aller, ange, l'on sent que vous avez les tripes pour cela : qu'on les voit ! qu'elles saignent sous nos yeux ! Ressentez d'un bout à l'autre de votre mélodie les souffrances de Marie berçant son enfant dont elle voit les futurs clous, oubliez-en les détails qui vous sont désormais une seconde nature.
Faites des phrases plus longues ! Osez crier de douleur sur le "Dum pendebat" !
Concordance esthétique des interprètes
Alors qu'il se tenait jusqu'ici dans un même raffinement du détail, tout d'un coup, Jorge Alberto Guerrero, le violoncelliste, ose octavier dans le grave l'ostinato de cette berceuse pour souligner un moment déchirant : l'effet de violence ne répondait pas à la voix trop esthétique de Lia Serafini, au contraire il était en contradiction. C'est peut-être ce passage qui pourrait permettre à cette magnifique interprète de jauger l'espace qu'elle a encore à franchir pour s'adresser à chaque mère douloureuse qui est en son public.
Bravo Lorenzo !
Lorenzo Cavasanti est élégantisse comme à son habitude. Il reste dans l'oreille du concert cette quadrupe anacrouse d'une note finale. Comme elle était déclamative à souhait, emphatique dans le plus subtil raffinement, une révérance ! Lorenzo Cavasanti : aimable, aristocratique, corellien.
Paola la Magnifique
Quant à Paola Erdas, son pazzamezzo antico, ou plutôt une antique basse de foglia, était tout simplement un espace de vie prodigieux. Vraiment pourquoi le critique Philippe Ramin lui reproche de ne pas faire les respirations de phrases ? C'est totalement faux ! Les français sont-ils capable de comprendre une esthétique du clavecin totalement différente que leur école ? Entendre Paola Erdas, c'est toujours un choc intense, ah que dire ! un condensé d'intensité ! Il y a toujours une mâle gravité (c'est le sang sarde !), une profondeur des basses, un sens de la tension qui porte le public vers des régions pathétiques. On ne peut dire qu'admiration.
Homogénéïté ?
Il faut peut-être conclure que Paola Erdas oscille entre deux aspects de sa personnalité musicale. Un soin esthétique extrême et raffiné qu'elle met dans le choix du noble Lorenzo Cavasanti, de Jorge Alberto Guerrerro et l'ambivalente Lia Serafini. Et puis une lave émotionnelle qu'elle possède de toute évidence elle-même et qui pointe aussi chez ses amis, que l'on désire tant voir jaillir chez Lia Serafini, que l'on entend chez Guerrerro dans ses solos. On souhaite au groupe d'y trouver un équilibre à l'image de celui qu'a déjà Paola Erdas dans son jeu personnel.

lundi 9 mars 2009

Les modèles d'Ecoles : des assistants d'enseignement

Sur la chute de l'emploi, considérations de fond


Il ne s'agit pas là de faire un article empli d'élégantes références sur le peintre et son modèle : Raphaël, ou plus prêt de nous feu Dina, qui offrit les statues de Maillol du Jardin des Tuileries. Non, il s'agit de souligner les dangers qui menacent une profession et, au delà d'elle, un savoir-faire artistique qui une fois réellement perdu mettrait plusieurs générations pour réapparaître décemment. Car comme ce fut le cas pour l'art du clavecin, on peut prophétiser que l'Académie, une fois abîmée (heureusement cela n'est pas encore le cas !) se dérobera longtemps à la reconquête des générations. Si cela advient, notre art sera jugé plus tard en deçà techniquement (et non pas dans sa sensibilité, bien entendu) comme l'est celui du haut moyen âge, postérieur aux invasions barbares, triste temps qui perdit jusqu'aux techniques de l'agriculture...

On reste dubitatifs à entendre dire, en gros, par l'actuel prix Prince Pierre de Sculpture que le modelage sur modèle est dépassé. Dubitatifs, comme beaucoup sont restés dubitatifs sur la prétendu vétusté du quadri-millénaire B.A.BA et le remède miracle de la "Gestalt Theorie" (méthode globale) pour l'apprentissage de la lecture. On sait qu'on en est revenu ! Le modèle et le modelage sont tout autant quadri-millénaires ! Dans l'opinion de ce sculpteur, on voit que le monde artistique prétend tourner la page sur un enseignement prétendu vétuste. Enseignement que représente, sur Paris, un plus ancien détenteur du même prix Prince Pierre, dernier maillon d'une chaîne illustre : le professeur Jean-François Duffau, compagnon de route de César, parti à la retraite des Beaux-Arts, il y a deux ans. Pourtant en modelage, durant l'Académie d'Eté, uniquement pour ce maître, une vingtaine d'élèves se sont déplacées de Grèce, Corée, Liban, Angleterre, etc., de toutes les régions de la France. C'était la potence, le couteau, le fil à plomb, l'analyse de la morphologie, le calcul des aplombs sur un modèle debout. On se demande si autant de gens se déplaceraient pour des cours plus théoriques, voire philosophiques sur l'expression ou l'esthétique...
Est-ce à dire que les modèles vont disparaître ? L'art évoluerait-il vers un désaprentissage de nos bases culturelles ? Lui substituerait-on des figures moins exigeantes ? la fantaisie serait plus libre mais paradoxalement l'oeil sans brides ni leçons ? Est-il possible que la place du modèle s'avérerait de plus en plus limitée dans une école publique qui affirme pourtant porter son flambeau : les Beaux-Arts de Paris ? Ce n'est pas son discours actuel, d'aprés la trés courrue exposition du professeur Philippe Comar "Figures du corps : une leçon d'anatomie à l'école des Beaux-arts". Malgré tout, si jamais une chute de l'intérêt pour les modèles au sein de cette grande école advenait, il en serait fatalement de même ailleurs. Quand bien même cela se produirait, il faudrait rester confiant : il est évident qu'on aura toujours besoin de passer par l'étude de nu : l'école Mélies à Orly spécialisée dans l'animation en trois dimensions reprend à son compte le grand maître Duffau et des adolescents profitent du magnifique héritage qui leur échoie. On voit par là que le Public diminue sa part et le Privée maintient plus longtemps la rigueur de l'apprentissage académique. Alors ? La pente semble fatale ? le travail des modèles de plus en plus précaire ?

Eternité du métier de modèle

On pourra accuser cette opinion d'être un peu passéïste, mais elle ne veut pointer au contraire que l'éternelle utilité du métier, le bien fondé de l'étude de nu et les dangers de remettre en question cet enseignement. On suppose aussi que de nouvelles formes d'art, comme l'étude en trois dimensions, appelleront toujours ce corps de métier et en définitive lui assurent un avenir certain.



Sur la fatale multiplicité des employeurs

Mais cette évolution suppose tout ce qui suit :

Le modèle, s'il veut vivre de ce métier est amené à multiplier les employeurs. Il n'y a plus que 4 contractuels aux Beaux de Paris, il est fini le temps où deux modèles posaient ensemble dans chaque atelier, la seule tradition toujours vive et la présence de trois modèles dans l'amphithéâtre de morphologie pour les étudiants dessinant à la craie sur tableau. Il en appert que les vacataires cherchent d'autres employeurs.

Le modèle, s'il veut vivre de ce métier, doit multiplier les longs trajets, avoir une amplitude horaire journalière éreintante, parfois de 12 heures, bloquer son agenda des mois à l'avance pour quelques rares poses, souvent étalées sur de longues périodes, rester disponible pour fidéliser les employeurs et donc ne peux que difficilement cumuler d'autres métiers en même temps. Il n'aura pas non plus loisir de poser des congés payés.


Voilà la triste réalité. Cependant certains diront que raréfication de l'emploi dans le public, dispersion dans le privé, tout cela n'est pas grave si les modèles sont nombreux, jeunes et font ce métier comme petit job. Après tout ce n'est pas un métier qui exige beaucoup de savoir ! GRAVE ERREUR !!! C'est là que s'infiltrent les préjugés, les mauvaises appréciations qui contribuent à la dégradation de la profession. Ils convient de les traiter. Car il est évident qu'être modèle (et d'en vivre) dans les écoles et ateliers de haut niveau, c'est très loin d'être un petit job.


Le modèle est-il un domestique ?


En effet la question peut se poser. Dit-on : le modèle n'a pas besoin d'avoir fait des études, pas besoin de connaissances, il doit seulement rester dans la position qu'on lui demande. Dit-on : c'est un serviteur, voire un objet donné à voir. Pire encore : le professeur impose la pose, le modèle obéi. NON, NON & NON à ces idées préconçues !!! Il faut répondre NON évidemment à cette question de la domesticité ! Et pourquoi donc ?

La gestion du corps

D'abord pour le vécu de la contrainte physique. Un témoignage pris sur internet :

"Eh bien moi je suis un modèle masculin chevronné, ce qui m'autorise, je pense, à donner un avis bien plus autorisé que celui donné par quelques-uns ici. Poser n'est pas du tout un sport, mais c'est généralement une activité très physique, voire une petite performance. Surtout lorsque la pose comporte des points de pression sur lesquels pèse le poids du corps ou une partie de celui-ci. Un bon modèle doit bien connaître son schéma corporel afin de savoir, dès le départ, combien de temps il pourra "tenir" une pose précise en fonction de sa difficulté et comment l'adapter éventuellement pour diminuer les pressions sur des points précis. Si l'artiste ou le professeur (dans une classe) exige une pose bien précise, un bon modèle peut lui suggérer une légère variante, moins difficile. Et si celle-ci n'est pas acceptée, alors le modèle doit préciser qu'il lui faudra plusieurs "breaks". Entre ceux-ci, il doit prendre des points de repère rigoureux pour, à chaque fois, reprendre exactement la pose. Pendant celle-ci, ces repères l'aident aussi à maintenir la pose de manière correcte en effectuant périodiquement des corrections car le corps a toujours une tendance à s'affaisser. Voilà la stricte réalité. Quant à ceux qui pensent que poser est facile, qu'ils essayent donc de garder une position pendant seulement dix minutes et ils pourront alors juger en réelle connaissance de cause !"

La connaissance de l'art


On devine à la suite de ces observations que le modèle assimilera aussi ce qui est nécessaire pour l'apprentissage des dessinateurs, les déhanchés, les torsions... Bientôt il entendra les professeurs parler de Pontormo, Caravage, Ingres... On lui montrera comment reprendre la tradition de ses ancêtres, suivant les dessins de Proudhon, les sculptures de Michelange, les mouvements Du Bernin, la spontanéïté de Pigalle, les grâces de Carpeaux. Ils ou elles sauront d'instinct évoquer la Vénus d'Arles, de Cnide, l'odalisque, la Maia desnuda, l'Apollon saurocthone, le satyre verseur, le Dyonisos Sarbonapale de Praxytèle, le discobole et cet athlète en écorché dans la salle de morphologie des Beaux-arts. Pour les cours les plus difficiles, le modèle saura se renverser pour donner à voir les différents plans en raccourcis comme Saint Paul dans le tableau du Caravage. Bientôt le professeur parlera de malléoles, d'acromion qui tombera sur l'aplomb, de trocanter, de manubrium, de ceinture scapulaire, de grand rond, de dentelés... S'il écoute et même s'il n'écoute pas, le modèle expérimenté assimile et se positionne naturellement en vue de faire profiter les élèves de tous ces acquis. Il ne peut plus être l'objet inerte sans volonté, il sait.

Préjugé du niveau social, caduc depuis bien longtemps


Tout ceci implique que le préjugé de domesticité, fondée sur une idée, déjà vieille d'un siècle, de recrutement social dans les basses classes, n'était déjà pas valable au XIXème. En effet, le modèle d'Ingre, celui de Manet dans le déjeuner sur l'herbe est cultivé ! Adviendrait-il que les modèles de ce temps aient été d'une éducation très limité au départ de leur travail, ils ne le restaient guère longtemps dans la fréquentation des peintres. Tout modèle apprend l'art et l'esprit artistique au cours de son labeur.


Haut niveau culturel des modèles actuels

Ceci explique qu'aujourd'hui les modèles proviennent plus généralement du milieu des artistes : peintres, sculpteurs, acteurs, danseurs, chanteurs, musiciens, etc. Mais aussi des gens sur-diplômés qui n'ont pu par sensibilité vivre la vie sociale actuelle : diplômé du CAPES théorique, recalés lors du stage d'enseignement pratique en collège par exemple, informaticien en quête d'humanité dans sa vie... Ce sont des gens déjà préparés à écouter, recevoir eux aussi l'enseignement des professeurs de dessin. Emprunts de culture, ils ont l'esprit ouvert.

Le modèle est-il un artiste ?


On voudrait lui refuser ce statut : nous affirmons que c'est impossible.


Le modèle est "passivement" un artiste


L'artiste produit de l'art. On ne reviendra pas sur les étymologies, chacun peut ouvrir son dictionnaire, ajoutez y aussi le mot "poésie" qui en grec participe à la même idée... Le modèle produit de l'art ne serait-ce que par le prolongement de la main du dessinateur, du sculpteur. Il est passivement mais effectivement artiste. Ce qu'il donne à voir en soi est déjà de l'art et non pas une nudité crue. On ne devrait même pas ici définir le vécu du modèle sur sa nudité et la fonctionnalité de celle-ci, si ce n'est pour faire tomber les idées préconçus des ignares : le même modèle témoignant sur internet dit : "Un dernier mot pour ceux qui fantasment : je montre mon sexe à d'autres gens de la manière la plus naturelle qui soit parce que je suis venu au monde nu et que c'est par tradition ou nécessité climatique que j'ai été vêtu. Ça ne me dérange donc pas qu'on le regarde ou qu'on le détaille de la même manière que mon visage car, pour moi, mon corps est tout entier comme un visage ou un paysage, sans partie honteuse ou scandaleuse. Ceux d'entre vous qui prennent pour scandaleuses des parties qu'ils devraient considérer comme sacrées sont vraiment à plaindre." Si un homme parle avec tant de chasteté, que dirait une femme avec plus de poésie encore !


Le modèle est "activement" un artiste


Mais il est aussi artiste pour d'autres raisons : celle de l' "aura" et la participation active à l'art qu'apporte le modèle par sa personnalité. Par son dialogue, parfois sa gentillesse, certainement le mythe qui se crée autour de son estrade, par son savoir, il contribue à diriger le regard. Il influe sur l'oeuvre. Il n'est pas exclue qu'il crée lui même dans sa pose, non seulement quand on lui laisse l'imitative d'évoquer sa culture corporelle - ce qui est le plus fréquent dans la complicité professeur-modèle - mais aussi dans une véritable performance,comme cette modèle de la Villa Thiole de Nice, célèbre pour avoir posé jusqu'à la retraite, qui parfois dans une lenteur incroyable, créait une histoire dans sa tête. Son corps lui-même, chargé de tout son dur vécu, était prisé pour son expressionnisme. Aussi doit-on conférer au modèle expérimenté le statut de performeur, et au delà, celui d'artiste. Reconnaîtrait-on que son action artistique est moindre, modeste, aussi petite soit-elle, elle existe, elle est vitale pour l'art, elle est fondamentale donc, elle est primordiale.
Le statut social du modèle doit changer : on le considère vacataire administratif !


Aux Beaux-arts de Paris, et selon les validations du Ministère de la Culture après la grève de 99, le modèle est placé dans les grilles des vacations administratives. Il serait parmi les mieux considérés, disent les partisans de cette grille administrative. Au plus bas, les sténos dactylos, aides archivistes se situent à un taux un peu en dessous de 9 euros brut. Au milieu : tout un panel de missionnés aux travaux et remises de documents, programmateurs informatiens aux interventions ponctuelles, de chargés d'études. Dans le haut du panier : les modèles à 13 euros brut de base avec congés payés (un peu moins de 11 euros net). Il semblerait que la Villa Arson propose un salaire plus convenable à 15 euros brut, cependant il s'en faut de beaucoup que le modèle pose toute les semaines la journée prévue, l'académie n'étant pas une des priorités de cette école d'art contemporain. 15 euros brut ! Cela reste en deça des revendications de CoMBA (Collectif des modèles des Beaux-Arts) qui sont de 27 euros brut de l'heure de vacation.


Nous insistons avec CoMBA: le métier de modèle n'est pas une fonction administrative.


Autant le considérer vacataire du corps enseignant !


Personne ne dirait qu'on ne pourrait s'appuyer sur la grille de l'enseignement cours d'adultes, pour évaluer le métier de modèle. Et pourtant cela ne serait pas inopportun ! Aux Beaux-Arts, un assistant du professeur conférencier, dit maître de conférence, gagne, hors congés payés, un peu moins de 52 euros brut et son chef de travaux, qui pourrait être assimilable à un assistant moindre (ce pourrait être le modèle !!!!) est payé à un peu moins de 26 euros brut. Et pourtant si on mettait le modèle dans cette grille avec son salaire actuel, ne serait-il pas alors au plus bas de l'échelle avec ses 13 euros brut comprenant les congés payés ?

Tout le monde crierait au scandale de placer le modèle justement là où il devrait être ! Plusieurs parleraient même de mauvaise foi ! Tandis que jusqu'ici personne ne s'étonne que ce métier soit évalué comme le haut du panier de la grille administrative ! Où est la mauvaise foi ? Si l'on entre dans le raisonnement qu'il est possible de placer le modèle dans la grille des administratifs, rien n'empêcherait de aussi placer les modèles dans la grille des enseignants...

Le modèle est un assistant de l'enseignant

Certes, beaucoup ne souhaitent pas mettre en parallèle l'enseignant avec le modèle... ils sont encore plus nombreux ceux qui ne voudraient plus mettre en parallèle le modèle avec un emploi administratif. Or, si le modèle n'est pas enseignant, il est bien son principal assistant : même si le nom de "chef de travaux pratique" ne conviendrait pas à sa réalité, le modèle est le mieux positionné pour s'intégrer dans une dénomination proche et mériter un salaire identique. L'école de la ville de Savigny propose un contrat à un peu plus de 21 euros brut et appelle les modèles "assistants d'enseignement artistique vacataire pour l'école municipale". Voilà bien un statut pour les modèles : assistant d'enseignement artistique; une grille : celle de l'enseignement; un salaire : 27 euros brut.


Urgence de définir le statut du modèle

C'est évident que le Ministère de la Culture devrait entendre tous ces arguments et comprendre qu'est venu le temps de définir très exactement ce travail de modèle : combien il vaut au regard de la précarité, de la multiplicité des employeurs et des transports. Cette redéfinition ne peut qu'aboutir à une reconnaissance qui passe par une priorité à fixer une rémunération décente par rapport à un travail participant à la formation des élèves, un travail de performeur, un travail d'assistant, un travail avec une réelle dimension artistique : fixer un statut à ce métier.


Pourquoi l'école des Beaux-arts devrait être la locomotive de cette reconnaissance


Oui ! c'est dans tout le domaine de l'emploi public que cette réévaluation du métier devrait se faire. Dans toutes les municipalités - saluons le travail de revendication des modèles de la Ville de Paris ! Dans toutes les écoles nationales ! Au sein même du Ministère de la Culture, qui devrait prendre à bras le corps la reconnaissance de ce métier pour que l'art en France ne court pas le risque de se détériorer !

Mais vu son prestige, et quoiqu'elle ne pourra bouger qu'avec l'ensemble des structures du Ministère de la Culture, l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris est la mieux placée pour stopper la dévaluation de ce métier (paradoxalement jamais évalué !). Voyons les faits : il y d'un côté la plus grande école de France qui cesse d'avoir deux modèles par atelier, qui n'embauche plus le modèle sur trois semaines pour le modelage, et bientôt peut-être diminuera-t-elle encore le nombre d'heures des poses ? Et de l'autre, à la plus petite échelle, il y a une petite école comme Belleville qui supprime la rémunération du modèle, estimant qu'il suffit qu'il soit payé au cornet (à la quête du bon vouloir). L'urgence est qu'au plus haut l'exemple soit fort !!


La réputation de la France dans l'école des Beaux-Arts de Paris

CoMBA estime que c'est l'intérêt de cette école prestigieuse de bien rémunérer ses modèles. L'ensemble du corps professoral n'a-t-il pas signé la pétition pour le doublement du tarif horaire ? Par exemple, parmi tous, le professeur Philippe Comar : lui qui au quotidien connaît ses modèles, lui qui montre le métier dans une superbe exposition, s'il se prononce ainsi très ouvertement, si un enseignant de sa qualité s'émeut, c'est qu'il y a nécessité ! Que l'enseignement d'Académie soit autant porté par le professeur que par le modèle, cela ne se résume-t-il pas tout simplement par cet adage d'enseignant : "le modèle fait quatre vingt pour cent du cours" ? Si l'on demande au corps enseignant son opinion, on obtiendrait une grille toute autre que l'actuelle dite administrative...
Une structure internationalement connue pour laquelle les élèves viennent, comme on l'a dit plus haut de Grèce, du Canada, du Liban de la Corée, attirés par la qualité estampillé Beaux-arts, une telle structure doit montrer ce que ses élèves viennent chercher : ils attendent l'excellence ! Si l'on considère que donner un enseignement de qualité suscite la venue aux Beaux-arts des modèles de qualité, il faut être fier aux yeux de l'extérieur de son recrutement en y mettant la valorisation qu'il faut. Qualité d' embauche ? Oui ! Qualité de l'école ? Oui ! Par logique : des modèles de qualité ne peuvent que revendiquer qu'être modèle est un métier qui a des droits ! Le privé paie plus : doivent-ils être pénalisés les modèles qui veulent gagner leur vie en travaillant dans le public ? On ne peut pas considérer de la même valeur un modèle débutant et un modèle expérimenté, c'est injuste ! C'est en définitive la trés haute qualité même de ces modèles qui leur donne cette autorité revendicative et qui devrait pousser l'école à endosser le fanion de la valorisation, de la reconnaissance ! Une évidence que les Beaux-arts doivent s'emparer de ce sujet et le fasse avancer !

La situation des modèles partout en France est désormais une insulte à l'art

Il ne faut pas penser non plus que les modèles des Beaux-arts de Paris, en soulignant l'insuffisance de leur rémunération, en revendiquant un statut, en se plaignant jusqu'aux conditions d'hygienne trés spartiates, ont voulu faire une mauvaise presse à cette merveilleuse école. C'est la presse elle-même qui s'est emparée du sujet (ainsi que celui de la supression du cornet à la ville de Paris) pour l'évidente injustice où se trouvent ces modestes artistes. Pour la presse qui voit facilement dans les employeurs (tous les employeurs confondus) des méchants et dans les employés des victimes, il y a une insulte faites à des gens qui donnent d'eux-même pour de futurs artistes, pour des amateurs éclairés qui payent souvent fort cher. Si la presse pense ainsi, il y a aussi de forte chance que ces élèves artistes aux Beaux-arts, et ces adultes qui achètent leurs cours, en l'absence éventuelle d'action de cette structure pour les modèles, pourraient eux-aussi se sentir lésés et parler d'une insulte envers leur propre travail. Et de même le corps professoral y verrait une réduction de sa bonne condition de travail. L'école elle-même, sans s'en aperçevoir tout d'abord, pourrait y recueillir une insulte à sa propre réputation et enfin le Ministère de la Culture lui-aussi, s'il passait à côté de cette occasion, quand on lui pointe aujourd'hui du doigt l'injustice, serait sujet à l'insulte facile de ces intellectuels qui, de par le monde, critiquent les attitudes des Etats.

Comme une tâche d'huile qu'on ôterait de toute urgence au pressing...

C'est pourquoi on voudrait dire vivement ici à tout responsable d'Ecole et de Ministère : voyez que ce terme d'"insulte" est un concept envahissant : ce n'est pas les modèles qui l'utilisent, oh non ! ils sont trop préoccupés par celui d'"injustice" ! Mais le regard des élèves et des gens qui paient l'école, des professeurs, des amateurs, des intellectuels, du grand public... Tous seraient succeptibles d'utiliser ce concept, et plus encore les médias : l'insulte, s'il y a lieu, est avant tout pour l'image de marque de l'école des Beaux-Arts elle-même, Du Ministère de la Culture lui-même. Pour l'éviter, tous devraient se montrer digne dans la défense de ce premier maillon de l'art ! Tous devraient s'activer à effacer l'injustice.