jeudi 31 juillet 2008

La villa des Collette de Cagnes entoure Renoir de ses amis

En 1908, Renoir vieillissant se sédentarise dans la maison des Collettes à Cagnes-sur-mer qu’il vient de faire construire, un mas provençal dans un superbe jardin d’oliviers pentu s’ouvrant comme un amphithéâtre sur l’horizon maritime. Il y vivra des années de rhumatisme et de convalescence jusqu’à sa mort en 1919 en compagnie de son épouse et ses trois enfants. Quand on entre dans cette maison on a l’impression de voler l’intimité de jadis, la bourgeoisie des pièces marque le signe d’une fin de vie mais aussi la chaleur familiale. L’atelier, vrai mausolée avec le fauteuil roulant et les vêtements des tableaux célèbres, émeut et attriste tout à la fois. L’exposition temporaire permet de voir dans toutes les pièces des toiles du maître où les arbres ont des peaux de pêches comme les jeunes filles qui semblent vivantes, palpables en tous leurs volumes. Mais Renoir nous apparaît choyé des autres : multitude de portraits sculptés ou peints par une foule d’artistes admirateurs de son visage si anguleux, superbe présentation temporaire des œuvres de Albert André, un ami intégré dans la famille, qui apportait toujours du soleil dans la maison et même un bilboquet pour rééduquer le bras du peintre. C’est ici que Renoir voulait se mettre à la sculpture malgré ses doigts paralysés, Richard Guino fut sa main, singularité dans l’histoire de l’art : sous les ciseaux du disciple, Pâris sort du tableau, Dédé au chapeau respire de la même maternelle tendresse... Enfin dans la chambre des deux fils sont exposées quelques œuvres très colorées de Ryuzaburo Umehara, le fidèle et attentionné disciple japonais.

jeudi 24 juillet 2008

Chagall : un peintre à la fenêtre

On aura peut être jamais vu le musée biblique Chagall de Nice empli d'une telle affluence ; tout simplement un immense succès. l'exposition est même historique car personne jusqu'ici n'a eu cette idée. Or ce thème de la fenêtre est une clé fondamentale. Chagall a toujours peint de sa fenêtre ce qu'il voyait, jamais il n'est allé se balader, il a toujours architecturé son oeil au dessus, au dessus de Vitebsk, de Paris, de Peïra Cava. Le tableau est déjà pour lui une fenêtre. Dès 1908 la fenêtre l'obsède, elle n'est pas là pour simplement éclairer, mais pour parler de poésie : toute petite et violette elle est le monde biblique du violonniste assis. Déjà en 1911, une vache passe sa tête par la fenêtre par amitié. « La naissance » est un cocon dont la fenêtre haut perchée atteint au sublime. « Lisa à la fenêtre » est baignée d'une lumière évanescente que le peintre a puisé dans les mailles même de sa toile épaisse qui sont le chemisier blanc, les briques, le soir ! La « chambre jaune » est toute happée par la porte ouverte sur un au delà. La vue de la fenêtre a Zoalchie, avec son ciel impressionniste, sa chaleur de la maison, ce regard serein du couple sur le linceul-rideau est simplement génial. « Bella et Ida » qui place l'enfant à l'entrée du chemin en point de fuite d'un paysage continental sous la lumière blanche ouvre toute une promesse de vie. Et en 1930 ces époux minuscules comme des papillons qui s'envolent par la fenêtre dans l'air rose de l'arrière pays, et en 1971 les vitraux du musée, et en 1981 la plénitude déliée de l'atelier en vert envahie d'une végétation intérieure miroir de la végétation extérieure : émotion !

jeudi 10 juillet 2008

Vallauris sept fois l'écrin des céramiques d'Art


Sept expositions dans tout le beau village (sans compter la flânerie dans les rues où l'artisanat est roi) : il vous faut une matinée entière pour découvrir l'agilité et la sensibilité des grands de la céramique européenne, quasi tous présents car la biennale a quarante ans d'existence, un jury prestigieux (Limoges, Sèvres, Paris y sont représentés...). C'est très impressionnant, instructif (contenant, design, sculpture) et surtout beau !

Au musée Magnelli, ce sont les concourants : une lionne moitié animal empaillée se dilue en grosses perles dorées, les enfants sont estomaqués ! à l'étage, deux membres du jury : humour de la danoise Gitte Jungersen, émotion du finlandais Kim Simonsson. Ses personnages autistes sont repliés sur eux dans un geste élégant. Dans la salle Eden, la Suisse est mise à l'honneur : quelle forte identité s'en dégage ! Au musée Picasso c'est les abstraites mais organiques formes de l'anglais Richard Deacon. A la maison des quartiers, c'est un séduisant hommage au Kitsch, style de Vallauris. Dans l'espace Grandjean, c'est la lauréate jeunesse de 2006, Rebecca Catterall, austère, rigoureuse, puissante. Salle Jules Agard, vous découvrirez le design. Dans la chapelle de la miséricorde, en rapport avec les toges sang de la passion du Christ du fameux retable baroque, l'américaine Bean Finneran a assemblé une foule de tiges rouges végétales jusqu'au maritime dans un immense ovale : fulgurant !

mercredi 9 juillet 2008

Thoronet : beauté & paix de la voix médiévale


Le Thoronet, abbaye romane lumineuse pleine de l'odeur du buis, est comme Epidaure un des miracles de l'accoustique humaine. Ici les moines avaient la voix amplifiée comme par un micro, c'est inoubliable. Mais elle n'est belle qu'avec la musique de son temps, c'est pourquoi entendre un concert du grand festival médiéval, c'est avoir les larmes aux yeux.

L'Italie envoie Micrologus qui chante pour Marie des cantigas accompagnés des instruments peints dans leurs enluminures. L'ensemble Gilles Binchois plonge dans la profondeur des lamentations de Jérémie chantées pour la mort du Christ. La belge Capilla Flaminca du temps de Charles Quint nous émeut dans un Requiem, Mors et Vita, vie lumineuse après la mort. Les sardes mâles, Condondu e tenore de Orosei, nous rappellent les sources de la polyphonie tout comme les Balkanes, sopranos bulgares. L'ensemble allemand Santenay chante les chansons telles qu'"en ce temps gracieux" accompagné d'organetto. Une troubadour, Anne Azema est invitée en star accompagnée de la vièle Shira Kammen. L'ensemble Singer Pur fera résonner à côte de Dufay, la beauté contemporaine de Rihm.

mercredi 2 juillet 2008

Icarus, un ensemble italien de flûtes à bec

Le son d'une horloge à flûtes
La deuxième soirée du festival de Pietre Sonore est aussi consacrée au "concerto" mais, originalement, à quatre flûtes dans la sonorité des horloges musicales pour lesquelles composérent Mozart et Beethoven. Transcrire le répertoire de violon pour la flûte et une habitude venue de l'Angleterre du XVIIème, où se conjugua l'amour irréfréné pour Corelli et la passion britanique pour cet instrument. Le professeur Torelli qui présenta le concert nous expliqua aussi que cet instrument eu sa forme parfaite et actuelle dès le moyen age et que par sa facilité de transport et d'acquisition, il fut souvent le meilleur ambassadeur des nouveautés, d'autant qu'il s'était développé en famille dans les registres de la voix humaine. Il souligne aue le plus piquant du concert et justement d'éviter le répertoire de danses pour quatre flute de la renaissance tel le Terpsychore de Pretorius, mais de choisir les concertos baroques. Il nous explique encore que dans la composition baroque ces registres de voix restent présents par tradition, que les habitudes de composition permettent souvent de réduire l'harmonie à quatre sons et qu'ainsi il est possible d'adapter au quatuor de flutes le répertoire de l'orchestre à corde. D'une autre part, les allemands Bach et Walter transcrivirent pour l'orgue, instrument de flutes, les concertos de Vivaldi, leur adaptation pour les dix doigts de la main et le pédalier permettent de retrouver souvent ces quatre voix pures. D'où la spéculation intellectuelle mais aussi physique, sportivement physique, de ce programme. Programme à quatre voix qui nous permet d'évoquer l'image de cette église suisse qui ne pouvait dans les alpages et à cause de la taille du toit avoir un orgue : on y joua durant cinq siècles le répertoire organistique à quatre flutes, soprano, alto, tenor et basse.
L'atmosphère des chanteurs a cappella
Les quatre flutistes sont vraiment parmi les meilleurs d'Italie. Dans ce programme virtuose en condition de plein air (apaisante idée de faire sonner les flutes douces dans le cloitre renaissance) avec les moustiques lombards se posant sur les partitions, ils avaient à gérer le stress des chanteurs a capella, etre parfaitement ensemble, dans le meme phrasé, ne jamais décaler une double croche (et il y en a d'ébouriffantes chez Vivaldi), un pari gagné.
Personnalité de chacun des quatre
Quant à la justesse, si ingrate pour les flûtes, elle était bien là, sauf pour quelques accords finaux (mais c'est le plus difficile d'éviter que le son tombe en final, penbsez à quatre ! c'est la nature de la flute, il faut l'accepter). Manuel Staropoli s'avère le plus apte à tenir la partie de la basse autant dans le maniement de cet instrument si résistant que pour son oreille. Lorenzo Cavasanti s'y montre aussi habile, c'est d'ailleurs un flûtiste souverain, habité d'une grace généreuse. Prisca Comploi n'a pas encore l'assurance d'intonation pour la partie de fondamentale surtout à cette terrible flûte basse, quoique plus à l'aise a la flute ténor. Comme on sent que le groupe est récent, le programme frais, le maniement de l'instrument peu usuel, cette réserve peut devenir caduc pour le futur. Cette artiste tyrolienne est tout de suite trés brillante pour le dessus qui fut d'autant impressionnant pour le concerto per flautino in do maggiore RV 443 de Vivaldi qu'il était contre toute attente partagé en deux entre elle et Stefano Bagliano, dans une sorte d'écho évoquant la sonorité de petites cloches. En partie de Soliste, notamment, Stefano Bagliano nous a offert un magnifique sicilienne issue de l'estro harmonico de Vivaldi, avec d'originaux ornements et une grande vocalité dans sa dynamique. Tres poétique aussi le mouvement lent en duo (entre Cavasanti et Staropoli) accompagné de la flute ténor (Bogliano). Vous le connaissez certainement, c'est le reve en brume vénitiene du célébre concerto en la mineur de Vivaldi retranscrit par Bach à l'orgue (trés amusant d'entendre ici les solutions de Vivaldi privilégiées, la mesure d'aprés celles de Bach)
Contre toute attente l'oeuvre la plus appropriée aux flutes fut le concerto en re maggiore écrit pour quatre violons concertant par Telemann dans un style imitatif et tournoyant, on aurait juré qu'il s'agissait de l'original.
Beaucoup de vent frais pour appaiser la chaleur de l'été
De ce concert qui laissa à tous une impression de virtuosité extreme, légère, facile, d'un souffle naturel et joyeux, le bis fut une fugue d'orgue alla breve de Bach. Dommage que les organistes du monde entier n'ont pas entendu ce que la respiration d'une flûte donne comme nuances et phrasés ! Il y aurait de quoi piller tout le répertoire d'orgue et si un éditeur avait le courage de cette fantaisie d'enregistrer tout Bach aux flûtes, ce serait un document propre à renouveller l'interprétation et le toucher des organistes.

mardi 1 juillet 2008

Le concerto Köln joue à San Simpliciano de Milan

Festival Pietre Sonore, 3° édition, promu “Festival musique baroque milan”

Progression fulgurante sous les effets de l'intelligence et de l'action perspicace de son directeur artistique, Gianluca Capuano. L'an passé l'oratorio "San Agostino" de Hasse terminant la saison de concerts de San Maurizio ouvrait celle de San Simpliciano (le deuxième festival Pietre Sonore), un visage plus grandiose avait été ainsi donné au festival. Aujourd'hui le festival s'ouvre par l'invitation d'un groupe prestigieux, le concerto Köln.

Superbe présentation du professeur Mellace

Comme l'an passé, un grand universitaire (rappellons que San Simpliciano est aussi une faculté réputée), dans la plus élégante langue italienne, présente le théme du festival, cette année le concerto : concerto, nous dit le professeur Mellace, qui est la forme par excellence du baroque. Déjà Monteverdi avait appelé ses madrigaux, concertos, et pourtant il s'agissait de voix et non encore d'instrument. Le mot possède une ambiguȉté étymologique, concerto pouvant signifier “combattre ensemble” ou au contraire “rechercher une harmonie ensemble”. C'est là un bien modeste résumé de la poésie de cette introduction sous les voutes altières de l'illustre église ambrosienne, introduction capable de nous faire sentir par avance la beauté rare des instruments anciens mis en valeur, viole d'amour, oboe d'amore, faggot.

Douceur de l'interprétation allemande

Tout d'abord c'est la première fois qu'on entend un claveciniste, Alexandre Puliaev, ornementer de belles harmonies les notes fondamentales de l'accord des violons : pour qui a de la culture, cela rappelle que les préludes sont nés de ce tatonnement initial pour rendre juste un luth, mais ici l'effet est étendu a la dimension d'un orchestre. Un toucher sensible, des idées poétiques, une netteté remarquable font le style d'Alexandre Puliaev.
Aux premières notes de l'”Arrival of the Queen of Sheeba” haendelienne, on reconnait les coups d'archets énergiques, courts, le raffinement et en mȇme temps une sérénité toute allemande. Pour certain ce sera trop sage, pour d'autre ce sera “une forteresse” (pour paraphraser le choral allemand), une force tranquille.
Dans le concerto de Telemann TWV 53:e1, l'incroyable dialogue entre la flȗte traversière (Cordula Breuer), le hautbois (Martin Stadler) et la viole d'amour (Chiharu Abe) subjugue. Dans le mouvement lent, de toute évidence Telemann cite un concerto brandebourgeois de Bach, mais avec sa fantaisie et sa souplesse personnelle, quasi française. Un génie galant que ce Telemann ! Chiharu Abe faisait corps avec son instrument et enflait ses longues tenues avec une noblesse d'élite. La viole d'amour possède des cordes sympathiques qui lui confére le brillant d'une plus riche résonnance harmonique, elle “quintois” comme un violoncelle, c'est à dire que la couleur de la quinte s'entend plus fortement. Dans l'accoustique de San Simpliciano, sa couleur était un peu voilée, ce qui a nui en rien à la dégustation.
Le fagott (Lorenzo Alpert), très virtuose, a fait sa première apparition en continuo pour les couleurs savoureuses du traditionnel menuet et gavotte final dans les concertos de Haendel (concerto grosso HWV 313), tandis que le Hautbois fait vibrer nos coeur sous une phrase mélancolique comme Haendel en a le secret. Le fagott est roi virtuose en soliste dans le concerto de Vivaldi (F VIII N°6), malheureusement sacrifié par la faiblesse dans le registre baryton de l' accoustique de l'église (comme le violoncelle perdu dans le son de la contrebasse). Il fallait tendre l'oreille, chaque attaque de note étant couverte par la résonnance de la précédente. C'est bien de défendre cet instrument difficile mais le basson français a plus de chaleur ! (ne reprenons pas une dispute qui date de l'époque et qui perdure encore dans les orchestres modernes).
Le moment de grȃce fut le concerto BWV 1055 de Bach, restitué au hautbois (parvenu jusqu?a nous au clavecin, la musicologie permet de restituer la partition premiére). Oui ! poésie légère, élégiaque, émotion contenue et perfection pour Martin Stadler.
Retour à la vivacité pour la sinfonia en la de Sammartini, déjà classique dans ses accents de phrases, dans ses notes battues à l'alto, une syntaxe qui prépare Mozart mais aussi les futurs irrestibles entrains de Rossini. Quatre premiers violons, trois seconds violons, deux altos, une contrebasse et un violoncelle, mais c'est l'effectif de l'Aria de Bach, non ! Il ne vont pas oser ce bis ! Eh bien oui, il faut alors que la dynamique les nuances en soient remarquables, on y apprend beaucoup en réécoutant ce que l'on sait par coeur sous les doigts de maȋtres, et l'on regrettera d'autant qu'ils furent trop sages pour ornementer la reprise de la première partie.
Il y a bien longtemps qu'un tel plaisir à écouter de la musique instrumentale pure du XVIII° siècle ne s'est manifesté, l'ennui poind quand l'interprétation est trop routinière... c'est d'autant plus un plaisir lorsqu'on sait que cet ensemble a "longuement roulé sa bosse" et demeure toujours aussi frais et bondissant, son secret et certainement de ne pas avoir de chef et de laisser s'exprimer les idées de chaque membre.