mercredi 4 mai 2011

Microscopique essai sur les touchers des trois claviers : piano, clavecin et orgue

Piano, clavecin et orgue sont si expressifs tout trois, mais non de la même manière, et aujourd'hui c'est grande joie de savoir débrouiller enfin leurs particularités. Dans les instruments à claviers, deux principes fondamentaux s'équilibrent différemment, le frapper et le lâcher, ou si l'on veut l'attaque de la note et son opposé : l'interstice, l'espace après la note.



LE PIANO ET SA RESONNANCE

Commençons par le piano, si proche de nous, car le voudrions-nous où pas, nous sommes nés avec lui et baignons dans son héritage. Tout le monde convient, qu'instrument percussif, il privilégie l'attaque, le frappé, qui peut aller de la violence à la tendresse. Pour autant, le lâcher - les professionnels le savent - n'est pas négligeable et reste d'une grande subtilité. Tout le monde a dans l'oreille les notes perlées de Glenn Gould : c'est une extrêmité manifeste.


Au piano, le rôle de l'étouffoir reste important, mais cependant le son de la note est si brillant et fait tant résonner les notes sympathiques d'à côté, que le piano a généralisé le legato absolu dans la suavité qu'il y a de faire suivre vite les notes perlées roulants à peine les unes sur les autres. Plus encore, la pédale forte, qui lève les étouffoirs pour laisser sonner toutes les cordes sympathiques ensemble, accentue l'aspect grande harpe du piano, puis l'on nettoie les harmonies en faisant tomber les étouffoirs, d'un coup, quand on lâche la pédale, comme si la main délicate d'une harpiste faisait taire tout cet affolement, vermeil de couleur. Et tout cela amoidrie d'autant plus et pour ainsi dire a posteriori la valeur du lâcher de la note dans le piano.





LE CLAVECIN EST UNE CONSTELLATION HARMONIQUE

Le clavecin est un instrument terriblement expressif qui passe pour inerte aux yeux de certains. Mais c'est parce que, instrument à cordes pincées, chez lui plus que chez quiconque, le lâcher est bien plus important que le frapper. Ce n'est pas que le frapper n'a pas d'importance. Quelqu'un qui a de gros muscles et qui tape sur le clavecin fait entendre le bois et donne l'impression désagréable que l'on reçoit des coups de marteaux ; d'un côté plus positif, un toucher léger, mais moyennement, donne une sensation de grande profondeur, c'est ce qui fait l'inimitable beauté du jeu de Paola Erdas, par exemple, et l'impression d'austérité grave et hispanique dans son jeu, et l'on ne peut pas éviter d'admirer le jeu d'Huguette Gremy-Chauliac qui a su transformer en imitation orchestrale une pâte sonore très modelée ajustée à la carrure des oeuvres ; d'un autre coté, un toucher très léger fait toute la brillante école française actuelle, des noms me viennent à l'esprit Dirk Börner, Béatrice Martin, Yann Verrault et à l'exprême limite de la légereté, Dimitri Goldobine, fantomatique songe qui pose les temps comme des plumes à la manière du chant grégorien.

Beaucoup d'autres noms encore, tellement il y en a aujourd'hui ... Mais au clavecin le primordial c'est quand tombe l'étouffoir, ce qui fait une impression haletante, un souffle, un "haha" magnifique qui est le même que celui du coup d'archet de la viole de gambe : toute l'émotion est là, dans ce souffle. On peut même dire que dans le clavecin la première note est morte et que c'est dans l'espace entre elle et la seconde que naît l'illusion de la vie, la tension et la détente de la musique.





Le clavecin est ainsi un instrument mélodique avant tout et harmonique, toutes les musiques qui au court des années quatre-vingt ont voulu exploiter la particularité de son son uniquement comme un élément percussif ce sont trompés, il n'ont utilisé que l'inertie du clavecin. C'est le cas, aussi splendide soit-elle, de l'oeuvre de Esa-Pekka Salonen (né en 1958) : Meeting pour clavecin et clarinette en 1982. Et aujourd'hui que le clavecin est envisagé autrement, ce magnifique compositeur pourrait écrire un opus second avec cet effectif étonnant, dans une toute autre démarche, s'il le désirait. Le son du clavecin, stellaire et infiniement varié d'un instrument à l'autre, ne devient une constellation que si l'on relie les galaxies les une aux autres dans la rhétorique du discours musical, il n'est beau que dans la durée de l'oeuvre.

L'ORGUE, LE ROI DE L'ILLUSION

L'orgue : on dit de lui que c'est son inexpressivité sereine qui est expressive, musique des anges et illusion d'orchestre appaisée par l'éternité du son. Oui et non, l'orgue a cette particularité d'avoir un frapper expressif pas si loin de celui du piano et un lâcher très proche du clavecin, entre les deux exactement : c'est un instrument à vent, ne l'oublions pas ! Quand on frappe une note forte et donc en frappant très rapidement, le tuyau parle avec violence et le vent est brusque; quand on frappe le tuyau mollement, ce que l'on appelle le toucher "posé" en orgue, le vent arrive peu à peu, le son, comme dans une flûte débute plus bas et vite monte vers sa justesse exacte : voici ce qui crée une illusion de crescendo très baroque.

On dit que cet instrument est approprié aux musclors au toucher lourd, qui tapent trop sur le piano et casseraient des cordes si on ne les avaient reconvertis à l'orgue. Il faut en effet de la vivacité et de l'energie sur l'orgue pour marquer les temps, mais ne voyez vous pas, par ce qui est dit ici sur l'émission du vent plus ou moins rapide, qu'il faut aussi beaucoup de douceur, violence et tendresse, l'une est l'autre tout autant ? Quant au lâcher, l'orgue est véridiquement, précisément par son son difficile à mouvoir, le frère de la viole de gambe - Louis et François Couperin et Henry Dumont écrivaient avec les mêmes techniques d'écritures pour les deux instruments - et le chuintement du tuyau, le vide, le silence entre les notes est de façon bien plus gourmande (le clavecin est un gourmet) dégustable à l'oreille de l'auditeur, il donne comme au clavecin la vie dans la durée de l'oeuvre.

Ainsi la première note de l'orgue est vivante comme au piano, et la deuxième note est mélodique comme au clavecin, encore pus vivante ! Un claveciniste ne peut être organiste sans être quelque part pianiste, ni un pianiste sans être claveciniste n'osera toucher l'orgue. Miracle de la technicité de la main humaine et de l'illusion émotive.

Cédric Costantino




Lire l'édito de Coralie Welcomme dans presencemusicale.com












lundi 18 avril 2011

Prochain concert d'Huguette Grémy-Chauliac, 10 juin, Château d'Assas




Ce récital de clavecin est un hommage : il commémore le décès de son élève Scott Ross. Huguette Grémy-Chauliac interprètera Louis et François Couperin, Jacques Duphly et Jean Philippe Rameau...



On trouve en outre sur internet l'aria de Buxtehude Buxwv249 enregistré par notre interprète...


Et voici le lien pour connaître les dates de concert de Huguette Grémy-Chauliac : huguettegremychauliac.blogspot.com



mardi 15 février 2011

Le livre « le chant grégorien » de Dom Saulnier et le problème des cordes mères


Il est peu aisé de résumer ici un livre déjà fort condensé et succin dont le grand mérite et d’ouvrir les esprits à la clarté syncrétique des grandes lignes de l’histoire du chant médiéval liturgique. Dom Saulnier nous explique ce que furent les chants anté-grégoriens du V° et VI° siècles et quelles régions nous en laissent les vestiges, chant bénéventain, romain, milanais hispanique et gallican.

Puis il met l’accent sur la frontière majeure que fut la seconde moitié du VIII° siècle : les territoires du Pape Etienne II sont menacés par les lombards. Sous l’instigation du Roi des francs, Pépin le Bref, voulant affermir sa légitimité, s’engager à protéger les territoires pontificaux, le Pape vient en France à Saint-Denis, sacre le roi en 754. Pepin le Bref puis Charlemagne décrètent alors l’adoption de la liturgie romaine en vue de l’unité religieuse et politique.


Livres de textes et chantres sont envoyés de Rome. Suivant l’article de Philippe Bernard, « sur un aspect controversé de la réforme carolingienne (« Vieux romain » et « Grégorien », Ecclesia orans, anno VII-1990/ 2, p 163-167), un métissage se fit entre le répertoire gallican et romain qui supprima le répertoire local gallican préexistant. Dans ce chant romano-franc, le texte romain fut pris comme référence, le chant se partagea en deux : l’architecture modale et la forme furent romaines, l’ornementation gallicane. Tel est le tonaire der Saint Riquier (VIII°).


On fit propagande de ce nouveau chant comme authentiquement romain grâce à l’invention de l’écriture musicale et à l’attribution légendaire des mélodies à Grégoire le grand. Des musicologues codifièrent et étudièrent ce nouveau répertoire. C’est ainsi que nacquit le concept de chant grégorien.

Nous n’irons pas plus loin dans le résumé du topo historique passionnant qui raconte aussi la naissance de l’écriture sur le livre et celle des structures de la liturgie qui expliquent toutes les formes musicales du plain-chant médiéval, de la cantilation à l’hymne versifiée. L’histoire de l’évolution du plain-chant est lâchée par Dom Saulnier après le concile de trente et la contre réforme au moment où le plain-chant donne naissance à des genres plus modernes dans des métissages particuliers donnant naissance en Allemagne par un mariage avec la chanson à la ligne de la mélodie choral et en France surtout avec un mariage avec le motet, au plain-chant mélodique qui passionna au XVIIème et XVIIIème siècles les compositeurs royaux Dumont (dont la messe royale figure au répertoire de Solesmes), Nivers et Madin et trouva dans Lebeuf un compositeur liturgique acharné à la solde de Monseigneur de Vintimille, évêque de Paris sous Louis XV.

Cette omission de toute une partie du plain-chant aujourd’hui si prisée des interprètes musicaux n’est pas anodine, car c’est d’elle et contre elle qu’est né l’histoire de la « réforme grégorienne » et celle de la communauté qui en 1833 retrouva les lieux de Solesmes après la rupture de la révolution.

Dans sa clarté, le livre aborde la profonde question de la structure même des chants ainsi que l’explication des modalités médiévales dégagée par Dom Cardine à partir d’une analyse étymologique des sources remontant aux cordes mères, aux récitations primitives. Sur toutes les questions qui naissent de ce point majeur, nous parlerons dans un prochain article, celui-ci étant destiné à mettre l’accent sur l’importance majeure du petit livre de Dom Saulnier sur le chant grégorien. Avec ce livre, Solesmes démontre qu’elle a su être contestataire d’elle-même et fille d’elle-même, suivant la même route que tous ses contestataires actuels, tous fils de Solesmes, dussent-ils chercher à le réfuter.

Problèmes des modalités mères


Nous avions parlé d’un petit livre de l’abbaye de Solesmes : « le chant grégorien » de Dom Saulnier »., il faut lui ajouter maintenant une autre synthèse très complète, « les modes grégoriens.


Dans ces deux livres, Dom Saulnier, clarifie la place du chant dans la liturgie chrétienne. Une notion historique que nous ne devons pas oublier, est qu’il fut dès l’origine deux types de liturgies.

La première est celle des prières dans le cycle des Heures, où le chant des psaumes était accompagné de la lecture de l’écriture, deux éléments de source hébraïque. Il s’y est ajouté une poésie non scripturaire, représentée par l’hymne et les compositions ecclésiastiques, réprésentées par les litanies, bénédictions et oraisons. Mais le type de la liturgie qui en est le cœur même est l’Eucharistie ou messe.

Dès les temps apostolique, le culte synagogal du matin du sabbat fut à l’origine de la première partie de la messe qui a choisi le dimanche plutôt que le samedi comme mémorial de la Résurrection. Comme les juifs on lit les Ecritures, on chante des spaumes, on prononce des homélies et on fait des prières (Tertulien De anima IX, 4), d’où le lectionnaire pour le lecteur, le cantatoire pour le chantre et le sacramentaire pour le prêtre. Au deuxième et troisième siècle, le lecteur est chanteur et le peuple se limite à des réponses acclamations simples.

Le célébrant lui-même chante sobrement dans un récitatif syllabique sur une échelle sonore réduite avec simples ponctuations du texte. Encore une fois : des réponses simple du peuple, bientôt élaborées en des thèmes populaires pour le Kyrie, les hymnes de l’office et chants de procession. La schola Cantorum (la maîtrise de chant) s’élabore ensuite, elle chantera les formes savantes des chants processionnaux de l’introït, l’offertoire, la communion des moments sont ménagés pour les solistes ornementeurs, des professionnels.

C’est ici même qu’intervient l’élément majeur de l’analyse actuelle de Solesmes : l’histoire de la cantillation ou le chant des psaumes. L’ethos de l’acte religieux de cantillation et d’amplifier les mots par l’éclat et la portée d’une déclamation solennelle à mi chemin du chant, une stylisation du débit parlé suivant le mot de Jacques Viret, (Le Chant grégorien, L’Age d’homme, 1986). On dit cantillation et non psalmodie parce que ce type de lecture avec chant, ancêtre du chant sacré occidental, s’applique à un cantique scripturaire puis à un psaume (où l’on dit psalmodie), parce que cette méthode de chant vise tout enseignement oral pour des fidèles analphabètes.

La cantillation sur une corde principale se meut à peine dans un ambitus d’une quarte et utilise trois ornements essentiels : l’accentuation qui est traditionnellement une élévation sur la syllabe accentuée, le mot pouvant prendre une forme de courbe mélodique en arc parfait. La ponctuation primordiale pour l’intelligibilité et la respiration, dites minimes, moyenne ou majeure ; c’est l’éclosion des premiers signes musicaux qui témoignent des césures au degré grave inférieur à la corde de récitation. Le jubilus, ou mélisme est archaïque et déploie une vocalise sur la syllabe en interrompant la récitation pour chanter « au-delà des mots » : le chant s’affranchit alors des limites des syllabes (Saint Augustin, Enarationes in Psalmos 32, 1.8 et 99, 4). Le Jubilus est traditionnellement situé à l’avant dernière distinction logique du discours sur la syllabe finale.

Les cantillations les plus anciennes ont des cordes mères : un degré principal que l’on maintient soit au dessus du demi-ton ; soit au milieu de deux tons ; soit au dessous du demi-ton : on doit cette théorie à Dom Jean Claire. Après une cantillation, le chant du psaume qui suit aura un note de récitation tenue (dite tenueur) plus haute que précède, c’est ce que l’on appelle la montée des tenneurs. De même dans le psaume parfois, le refrain du peuple reste sur un teneur bas, mais la partie du soliste monte sur une teneur de trois ou quatre tons plus haut. Il en va de même pour les accents de mots qui s’élèvent de plus en plus haut.

Cependant la fin des pièces elle est attirée vers le grave. Ceci aboutira grosso modo à deux pôles de la composition, teneur et finale, qui furent ressentis comme une modalité « bipolaire » et théorisé dans le tableau de l’octoéchos, de huit modes ainsi construits. Cependant que dans un mode on peut trouver une corde mère originelle plus basse que le teneur ayant subit une montée et repéresentant le pôle haut, ou par inverse une corde mère originelle représentée par la teneur et une finale qui s’est effondrée vers le pole bas.

Ces lois sont étymologiques et découlent des tableaux comparatifs de milliers d’exemples , elles sont très profondément expliquées avec exemples, pour chacun des huit modes retenus par l’histoire médiévale, dans le livre de Dom Saulnier « Les modes grégoriens ». Cependant ces lois posent, comme en linguistique le problème des reconstitutions des schémas originaux, des « formules mères » : à quelle époque placer le type de chant originel dont parfois le modèle type nous échappe et doit être reconstitué entre crochet ? Et de même qu’en linguistique la recreation entre crochet avec des astérisques des racines trilitères de mots des langues indo-européennes dans un dictionnaire très hypothètique (le dictionnaire de Pokorny) ne répondra jamais à la question : quand a existé la langue indo-européenne et où ? dans les steppes de l’Asie centrale ? Partout à l’âge de pierre ?

De même le livre de don Saulnier ne répond pas à la question « quand a existé ou exista jamais une époque des « cordes mères pures » ? où ? Et comment ce principe si naturel, si clair et évident a pu coexister (car il coexista forcément), avec le système si complexe et si sophistiqué du monde païen dont témoignent les vestiges écrits grecs et latins et qui ne semble pas la même langue ? Il en est de même pour le système de gamme à note défective, dite « pien » et propre à tant de civilisations et de peuples, présentent dans les analyses de Dom Saulnier ? D’où vient-elle ? Quel est son âge ? Son rapport avec le système défectif grec existe-t-il ?

Toute la question de la perception auditive et de sa chronologie s’ouvre, ainsi que celle des origines d’une cantillation qui détruisit la musique de l’antiquité comme on détruisit les temples et les villes. Nous aimerions que la recherches de Solesmes donne quelques réponses dans ce difficile passage d’une reconstitution d’une source originelle incontestable et de sa réalité historique floue.


Cédric Costantino pour présencemusicale.com

samedi 15 janvier 2011

Quand, la guerre s’approchant, Chostakovitch pouvait s’exprimer : quintette opus 57


Je m’avisais de vouloir parler du Quintette opus 57 de Chostakovitch, de dire combien l’introduction solennelle était une vision russe de Johann Sebastian Bach, avec des rythmiques rachmaninoviennes, qui font même penser à la célèbre « vocalise ».

Je m’apprêtais à dire tout l’amour que l’on peut avoir pour la beauté d’une fugue débutant dans les sons harmoniques glacés, se poursuivant par le grave extrême, obscur, si typiquement « Chostakovitch » pour l’entrée au piano, et puis tout s’emballe, tout tourne à la confession douloureuse avant le retour glacé de la fugue.

J’étais au point de dire aussi combien le mouvement rapide est implacablement enthousiasmant, « comme un rouleau compresseur » ; de dire mon penchant pour le mouvement médian, une de ces méditations profondes qui font devenir « fan » ; et puis souligner l’aimable fraicheur espagnole du final, fausse gaîté. Je voulais souligner que chaque fois, quand l’émotion monte, dans chaque mouvement, une unité profonde thématique réapparaît ; je désirais souligner encore qu’au dernier mouvement tout est dans l’ultime solo du violon, solo finissant sur une figure grinçante et mécanique et qu’ainsi la réexposition sereine du scherzo qui suit semble totalement ambiguë.

Mais en fait je dis tout mal, car en lisant la monographie de Krysztof Meyer sur Chostakovitich, j’apprends que ce quintette, écrit en 1940, obtint le prix Staline et toutes les éloges, alors qu’il était loin des canons du « réalisme socialiste » et justement dans cette « abstraction » que les staliniens pouvaient qualifier de « formaliste » et qui est un « néoclassicisme ».

Dans les séances de critiques et d’autocritiques infligées aux compositeurs (séances de l’Union des Compositeurs Soviétiques), Prokofiev dut commenter l’œuvre, et si l’on débarrasse son commentaire de la partialité du temps, on s’aperçoit que l’on ne pouvait pas mieux commenter l’œuvre (et comment je pourrais prétendre commenter mieux qu’un tel confrère de Chostakovitch qui connaît vraiment l’écriture ? ): « A l’étranger, j’ai vu des gens recourir aux moyens les plus désespérés pour composer une fugue qui aie l’air plus ou moins originale. Ils n’y réussissaient que rarement. Hindemith y est parvenu, dans une certaine mesure, dans ses sonates.

Il faut rendre cette justice à Chostakovitch : l’impression générale est que sa fugue contient un nombre incroyable de choses nouvelles. » Et encore : « Dans le quatrième mouvement, on a utilisé un effet à la Hændel, - une mélodie d’une longueur interminable contre un pizzicato des basses à l’arrière-plan. Du temps de Hændel, c’était magnifique ». Chaque fois que cette basse se tait, un moment lyrique apparaît que Prokofiev qualifie « d’authentique Chostakovitch ».

S’agissant de la fin, très ambiguë, et de l’équilibre si particulier entre les cordes et un piano exploitant les registres les plus extrêmes, je dirai encore tout mal, si je n’avais pas eu la chance d’avoir interviewé la pianiste Ludmila Berlinskaia : ce sont ces magnifiques paroles qui ont motivé mon invitation à réécouter cette œuvre d’une grande puissance.

Ludmila Berlinskaia , je m’adresse à vous maintenant, comment faites vous pour arriver sur le piano à ce toucher « Chostakovitch » si particulier et reconnaissable entre tous ?


Ludmila Berlinskaïa : Ah c’est une belle question : il y a en effet un touché pour chaque compositeur et pour Chostakovitch il n’est pas exclu d’être méchant, il y a un message avant tout à faire passer, un message très fort, parfois même brutal, la sonorité ne doit pas être très gentille, elle n’est pas là pour être « sympa ». Parfois il faut faire mal aux oreilles du public et ce n’est évidemment pas comme chopin.

Cette fin particulière du quintette, pour vous, comment vous la figurez vous ?

LB : Les fins des œuvres de Chostakovitch sont toujours particulières et pas seulement dans ce quintet. C’est un moment incontournable, il y a toujours chez Chostakovitch, grand admirateur de Beethoven, un parallèle à faire avec cette idole. C’est intéressant de voir que chez Beethoven dans n’importe quel final, c’est toujours après le combat la victoire des lumières, chez Chostakovitch c’est l’opposé diamétral, la fin n’est pas vraiment heureuse c’est le moins qu’on puisse dire !


On à au contraire le sentiment d’avoir perdu quelque chose. Chostakovitch dans ce quintette joue avec la philosophie du Parti qui pense que la révolution totalement accomplie, le peuple retrouvera une autre vie dans la paix. Mais ici c’est la paix d’une victime que l’on va trouver : tous retrouveront la paix mais après la mort et tout cela est dit dans le mode majeur, c’est plus fort que de le dire dans le mode mineur. La paix après la mort.


Cédric Costantino pour presencemusicale.com


lire l'édito de Coralie Welcomme dans présencemusicale.com

samedi 1 janvier 2011

Une comparaison de Hervé et Offenbach

A l’époque on louait les trouvailles mélodiques et les folies du « compositeur toqué », l’inventeur de l’opérette, le génial Hervé. Quand vous entendrez cette musique absolument délicieuse, vous ne manquerez pas de faire la comparaison avec Offenbach, et de vous poser la question, pourquoi la postérité a retenu Offenbach, plutôt que Hervé.


Voici la réponse : Offenbach, avec une solide technique allemande de l’écriture musicale, et ce que l’on appelle le génie rare d’un étranger pour une langue d’adoption, justement parce qu’il n’était pas francophone, a trouvé des formules mélodiques neuves, incisives et parfois s’est élevé à un degré d’inspiration originale qui fait que certains morceaux d’anthologie ont éclipsés la normalité de toute une part de sa production. De même, tout ce qui était drôleries chez Hervé et chez ses librettistes (onomatopées, pseudo italianismes, pseudo germanismes et anglicismes, jusqu’aux tours mélodiques…) Offenbach l’a copié, voire plagié, rendant inutiles les premières versions d’Hervé. Mais il est vrai que dans les Contes d'Hoffmann, Offenbach s'est élevé à une hauteur élective pour la postérité et cette seule oeuvre explique le choix de l'Histoire.

Hervé quant à lui, n’était pas techniquement solide, son harmonie n’était pas soignée, autodidacte, il n’eut que quelques leçons du grand Aubert, qui gentiment voulu soutenir ainsi un jeune talent déjà éclatant et reconnu. C’est un défaut mais aussi une qualité, car très librement Hervé avait une oreille ouverte aux harmonies dans l’air du temps et aux recherches les plus originales. On entend chez lui, non seulement Gounod, mais aussi Chopin, Beethoven et Wagner. En tant que Français, son sens de la rhétorique est plus ancien, presque baroque, on entend souvent des rythmes de sarabande (comme les quatre Saisons), un souci si délicat des ornements et surtout des retards musicaux : Tout cela en fait, malgré sa solidité technique en deça d’Offenbach, un musicien raffiné dont le discours musical suit la même voie (plus modestement) de recherche qu’un Liszt et un Wagner : C’est d’ailleurs parce qu’il a reconnu en Hervé un vrai musicien dramaturge que Wagner a adoré Hervé, affirmant qu’il était le plus authentique esprit parisien tandis qu’il détestait Offenbach pour sa vulgarité musicale.


Pour rendre plus clair l’originalité unique du binôme Hervé/Offenbach, il faut recourir à une comparaison avec un binôme comique du théâtre romain antique Plaute/Térence. Plaute écrivait génialement dans le langage du peuple, celui d’un rire éclatant ; Térence écrivait plus délicatement pour les aristocrates dans le langage d’un sourire discret. Et bien, musicalement Offenbach est Plaute, tandis que, dans ses livrets plus bourgeois et édulcorés, il est Térence. Par inverse, Hervé musicalement si raffiné est Térence, tandis que par son rire brutal, pataphysicien et théâtral, il est Plaute. On ne doit donc pas s’étonner que le peuple du XX° siècle est retenu Offenbach pour sa musique, tandis que celui du XXI° redécouvre Hervé pour son théâtre tout en s’étonnant qu’on ait oublié la beauté de sa musique.


Cédric Costantino pour présencemusicale.com


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