vendredi 19 janvier 2007

François Salque à Prades II

Interview après une répétition d’une pièce de Guillaume Connesson pour clarinette et violoncelle
Michel Lethiec, directeur du festival, conduisant la voiture d’un village au lycée, converse. Il explique que le festival est basé sur l’amitié et le partage, tel l’a bâti Pablo Casals, tel l’ont ressenti ses successeurs. Ainsi chaque quatuor invité se mélange avec les autres, les couples musicaux se forment, différents chaque jour. Tout le monde réside sur place bien à l’avance pour préparer les œuvres, et les répétitions ont lieu dans les mêmes lieux que les cours aux élèves. De même le thème du festival reflète cet esprit. Mozart cette année, mais un Mozart prétexte : « Mozart et l’humour » permet de faire entendre Scott Joplin, Astor Piazzolla et Guillaume Connesson, le 7 août dans un concert dédié aux « jeux ». On arrive dans la salle de la répétition, où attend François Salque. A deux, ils rient sur leurs instruments. L’œuvre, « Disco toccata », d’inspiration américaine, confirme notre sentiment de violence dans l’inspiration du compositeur, qualité contemporaine, en sus de la perfection formelle (lire notre interview du compositeur).

Ainsi François Salque excelle aussi dans l’humour froid, le jeu contemporain, comme il était tout dévoué au bel canto tantôt, et romantique ailleurs. Ne demandez pas si la beauté de son jeu vient du son, de la rondeur, de l’instrument ou de tout autre particularité comme une palette infinie : c’est tout à la fois. C’est la liberté de tout faire.

Comment avez-vous choisi le violoncelle pour instrument ?
Je fus forcé par ma mère. L’influence des parents est importante dans la vie d'un musicien , ma mère a fait preuve de curiosité, et c’est tout cela qui naturellement m’a amené au violoncelle à huit ans. J’aimais les sons graves et la position naturelle de l’instrument : on fait corps avec lui.

Quels furent les professeurs qui vous ont marqué ?
J’ai eu beaucoup de professeurs, j’ai profité d’un éventail assez large. J’ai été marqué par Yanos Starker et évidemment Tortelier, parmi tant d’autres musiciens. Car ceux avec qui on joue, nous apprennent chaque fois tout autant qu’un professeur. J’ai ainsi appris beaucoup des concertistes. J’ai souvent essayé d'être polyvalent et tout explorer. C’est important de pouvoir s’adapter. J'ai toujours aimé la musique de chambre, pendant cinq ans, j’ai fait partie du quatuor Ysaye.

Dans votre jeu, on perçoit une grande vocalité, nous dirions aussi que votre violoncelle est comme la voix d’un chanteur : est-ce que votre pensée musicale est liée aux mots, à la parole ?
Je ne relierai pas les couleurs du violoncelle à la musique vocale. Mon attitude est plutôt de relier les arts entre eux. Non pas que je sois un connaisseur passionné dans tous les autres arts, mais j’aime les connections, ma manière d’expliquer est faite de ces connections, des associations d’idées, des associations des sens : le tactile, le visuel, l’auditif. Pour moi c’est naturel. Cela donne des sensations qui peuvent être attirantes, parlantes pour expliquer un jeu de l’instrument. Je fais donc une association avec la parole plus que le chant : j’essaie de mettre des consonnes et des voyelles, j’ai dans l’idée de vouloir faire sentir ce genre de différence. Mais je vais plus loin encore. Connaissez vous la synesthésie ? C’est un phénomène très intéressant. Beaucoup de musiciens, de compositeurs, associent une couleur à une hauteur de son. C’est le même phénomène pour les chiffres. La synesthésie n’est pas la même d’une personne à l’autre, mais le principe d’association reste constant, c'est même selon certains neurologues, un phénomène inévitable dans l'imbroglio des connexions du cerveau. Pour moi, le son correspond à une voyelle et la voyelle à une couleur. C’est un mélange de sensations innées ou connections neurologiques et d’éducation. Pour moi do est un « o » et de couleur bleue, et dans ré j’entends un « r » et vois la couleur verte. J’aime dans l’interprétation créer des mondes, des ponts artificiels entre son et art, trouver des mouvements.

Dans votre leçon d’hier, vous avez parlé du lien corporel avec l’instrument, puis mis en garde votre élève de s’identifier avec le sentiment exprimé, est-ce une double attitude ?
C’est parce que vous mélangez deux moments différents de l’interprétation. La danse est pour moi une entité concrète du jeu, le rythme et la pulsation sont des manières de vivre la musique dans le corps ; d’autre part, comme je l’ai dit, j’ai choisi le violoncelle pour le contact avec l’instrument. Parfois, cependant, quand on cherche une émotion contenue, il faut qu’elle soit regardée plutôt que vécue : on essaie de suggérer le sentiment, plutôt que de le montrer, on doit travailler cette distanciation. Pleurer en jouant n’est pas synonyme de communication. On peut ne pas pleurer et amener l’information à faire pleurer quelqu’un d’autre. Suggestion ou démonstration. Il y a plusieurs manières de vivre cette expressivité : c’est, vous le savez, le paradoxe du comédien chez Diderot. Etre le personnage ? Ne pas l’être ? Certains acteurs, s’ils s’identifient trop, n’arrivent plus à jouer et à être excellents. D’autres ont besoin de cela pour se transcender. Le public n’est pas toujours au courant du choix de chacun, il acclame pourtant de grands acteurs dans les deux cas de figure. Nous autres musiciens, nous devons travailler les deux attitudes et jouer sur les deux tableaux : vivre parfois dans l’émotion, parfois être spectateurs et médium de cette émotion.

Quels compositeurs vous touchent plus particulièrement ?
Ce ne sont pas les mêmes en tant que mélomane et en tant qu’interprète. Certains musiciens, parce qu’ils éprouvent plus de plaisir à écouter tel compositeur, se fient plus dans leurs interprétations à la capacité expressive immédiate du texte et en oublient la conception et certaines qualités cachées. Mais on fait parfois preuve de plus de capacités pour les compositions qui nous paraissent plus ingrates ou abstraites. Il faut parfois moins aimer pour arriver à convaincre l’auditeur ou même se convaincre soi-même. Je me sens proche du répertoire du début du siècle – en tant qu’interprète. Mes goûts de mélomane penchent vers la musique romantique. Instrumentalement, j'ai probablement plus d'aisance dans la musique d’aujourd’hui.

Quelles sont les dates de votre carrière et les enregistrements de votre discographie qui vous tiennent à cœur ?
Ma réponse sera encore fluide : serais-je capable de vous donner des dates précises ? Tout s’est fait naturellement. Je me suis retrouvé professionnel depuis l’enfance, la musique a été pour moi une évidence, pas une vocation. Quand on se retrouve au CNSM à 14 ans, parmi un choix limité d’élèves, on est déjà, malgré soi, un professionnel. Progressivement, les auditions firent la place aux concerts, et de fil en aiguille, je me retrouve à 16 ans à mon premier récital - précédé de combien d’autres expériences ? Pour les disques, je peux plus facilement vous répondre : je tiens affectivement à une grande œuvre pour violoncelle seul, « Voja cello », de Krystof Maratka, enregistrée chez Lyrinx. Je tiens également à l'intégrale de la musique de chambre de Poulenc, où je partage l’interprétation avec d’autres musiciens, chez BMG.

Crédit photographique
François Salque © R. Roig

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