vendredi 19 janvier 2007

interview de Marc Monnet, directeur du Printemps des Arts et compositeur. Reccueilli l'an passé lors d'une conférence de presse.


Pourquoi n’écrivez-vous pas de la musique spectrale ?

C’est une question ou une réponse ? C’est déjà le passé, les années 1970 et 80. Je suis maintenant très loin de cette époque, je n’ai pas envie d’être sans cesse revisité par mon passé. On écrit la musique de son temps non pas par rapport à un dogme. Il n’y a plus aujourd’hui un mouvement. On peut tout de même différencier les post-tonaux qui font un certain retour en arrière et les autres. Dans les autres, il n’y a pas de ligne dominante, mais au contraire une diversité. On pourra, dans le futur, lire les diverses tendances. Aujourd’hui on n’est plus dans l’affirmation d’une idéologie, et on ne l’est plus au niveau mondial. Ce n’est pas une question simplement de musique : c’est une question qui va bien au-delà. Il n’y a plus d’idéologie, ou plutôt il n’y en a plus qu’une. Depuis le mur de Berlin, la disparition du communisme, il est évident que la seule idéologie est le capitalisme. Quelque part il est vrai que la lutte d’idée a fortement diminué. Je le regrette, la lutte d’idée demeure fondamentale. L’homme a besoin de débattre. Sur terre il n’y a pas qu’un homme, il n’y a pas qu’une idée, il y en a une multitude. C’est cela la difficulté de vivre.


Vous dites : ce n’est pas une œuvre nouvelle que l’on entend dans une création, c’est l’écho de ce qui est. Pourquoi ?

Le mot création est galvaudé et je crois que, quand je réagis comme cela, c’est pour remettre les pendules à l’heure. L’acte en soi, dit de création, est quelque chose de neutre. Je me méfie donc de l’importance que l’on donne au mot « création », et je serais de ceux qui voudraient le réserver à un autre domaine, le religieux, comme les Italiens qui ne peuvent pas dire « sono il creatore » car cela signifierait « je suis Dieu ». Effectivement on a cette référence dans « création » avec laquelle je suis très prudent. Pour moi, ce que nous avons en nous et que nous générons, c’est peut-être quelque chose certes du spirituel mais en tout cas, à mes yeux, pas de l’ordre de la croyance.


Pourquoi la musique s’écrit ?

Nous sommes dans une civilisation de l’écriture, nous avons une mémoire, quand on écrit c’est pour laisser une trace, le signe. Pas d’écriture, pas de trace, pas de possibilité d’expression. L’écriture est essentielle pour que son « temps lent » permette de modifier les choses. C’est à l’opposé de l’improvisation qui par l’extrême rapidité de l’écoulement du temps ne permet pas d’être suffisamment inventif et conscient de ce qui se passe dans l’instant. Cette spontanéité peut amener parfois quelques jolies choses mais non constructives, bien au contraire, simplement « de l’instant ». Le graphisme est magique, avoir imaginé les formes de lettres dont vous vous servez en ce moment pour renvoyer le message ! C’est extraordinaire, c’est cela, l’écrit.


Pourquoi réagir physiquement à l’écoute de celle-ci ?

Le son est une réaction physique, celle de l’organe « oreille » et de l’organe « cerveau » (car l’oreille ne marche pas sans lui). Un son, un bruit surgissent : l’oreille perçoit, le cerveau analyse, procure par des chemins complexes du plaisir ou/et du déplaisir. Le déplaisir n’est pas forcément « juste » par rapport à ce que vous percevez ! On réagit sans trop réfléchir à ce qui se passe, donc prudence dans les jugements !


Pourquoi parfois vos titres d’œuvres empruntent phonétiquement à l’enfance, comme « Bibilolo », « Berceuse du vent, des cloches et de l’ogre endormi (collectif) », « babioles », « patatras » ?

Bibilolo est un jeu du langage, j’aime beaucoup jouer sur le langage « normatif ». Bibilolo, c’est du plaisir. Quant à l’enfance, elle est une composante de la vie, comme tout le monde je suis né « gosse », personne ne peut être exclu de cette loi. L’enfance est importante dans le devenir de l’être humain.


Pourquoi un festival à Monaco ?

Ce n’est pas moi qui l’ai décidé. Le festival existait avant moi. Chaque ville aime bien manifester son image de certaines façons. Je pense qu’à Monaco le coté festif était nécessaire à un moment donné dans l’année. Donner un effet autre que les concerts habituels dans le cadre d’une institution, tel est le projet du festival. Prendre le bus pour se laisser mener à un endroit inconnu, choisir des lieux inusités, accentue beaucoup cet aspect festif que l’on ne peut pas tenir dans l’année dans des lieux traditionnels.


Pourquoi le printemps des arts se réinvente ?

Parce que toute institution meurt si elle n’est pas en renouvellement permanent. C’est une règle absolue. On voit des institutions mourir.


Pourquoi la métamorphose ?

L’idée de métamorphose est une fascination sur le public, cela peut être un voyage, une thématique, un compositeur, il n’y a pas de clé définitive. C’est à l’image de la métamorphose en peinture, si envoûtante : dans la construction musicale, il y a la métamorphose aussi. Pas de musique sans métamorphose ! Le festival pourrait s’appeler « festival des métamorphoses », mais (pour se situer toujours dans la métamorphose) on ne doit pas imposer une thématique générale, c’est trop réducteur. Tout au plus il y a un sens, une direction où va le festival. Construire cette direction me coûte parfois des regrets : des bras que je dois couper pour garder l’homogénéité de la ligne générale.


Pourquoi sommes-nous là ?

C’est la question que se posait hier soir la pièce « Boulevard du Boulevard » de Daniel Mesguich au TNN de Nice. Pourquoi ? Pourquoi j’écris, pourquoi je joue ? Pourquoi je me sers d’un langage ? C’est toute la question de l’existence, pourquoi ? Et je ne donnerai pas de réponse; pour moi il n’y a pas de réponse à la finalité du monde ! Je ne suis pas croyant. Ce qui trouble l’homme, c’est son pouvoir de réflexion par rapport à l’animal. Cela nous empoisonne la vie, c’est à partir de là que les notions de pouvoir, de propriété arrivent. C’est ce déchirement permanent de l’homme qui le pousse à agir.


Etes vous né en 1928 ?

Oui !

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