jeudi 20 novembre 2008

La flûte enchantée à la salle Grimaldi de Monaco


Merveilleux spectacle

C'est un consensus : tout est si raffiné dans la mise en scène, tout est si bienvenu, jamais plaqué sur l'oeuvre mais la soulignant, qu'on doit reconnaître en cette production de Jean-Louis Grinda un des spectacles les plus réussis et personnels. On est loin de la beauté froide de la Jenufa l'an passé qui passait à côté du message de l'oeuvre.

Excellent entendement de l'oeuvre par le metteur en scène

C'est féérique (décors de Rudy Sabounghi) ! C'est tendre aussi : pensons aux couples qui dansent d'un côté et de l'autre quand l'homme au foyer se fait servir la soupe mais la laisse pour embrasser celle qu'il aime, scènette qui souligne le texte chanté par les amoureux. Pensons à la manière dont Grinda souligne l'attention dans l'air magnifique du ténor en introduisant des pingouins, jeu comique mais combien efficace pour guider le public à un moment où l'action est intérieure. Le metteur en scène évite de souligner le côté franc-maçon de l'oeuvre et lui rend sa légèreté mais il garde pour autant l'égyptianisme rêveur. Grinda transmet un message sur le réchauffement de la planète, mais ses scientifiques sortent du monde de Jules Vernes. Papageno veut des petits papagenos et des papagenas (c'était écrit comme cela dans le sous-titrage) et l'on voit des embryons... c'est admirablement fait. `

On sait que dans cet opéra, la gentille du début, la Reine de la Nuit, qui souffre parce que sa fille est enlevée par le méchant, Sarastro, eh bien : elle n'est pas si gentille ! Et le méchant contrairement aux apparences, n'est pas si méchant et ses épreuves sont là pour que le couple du jeune héros et de la jeune héroïne Tamino et Pamina (la fille de la Reine de la Nuit) se méritent l'un l'autre.

Or Grinda dans le début de sa mise en scène utilise l'ouverture comme un prologue : les trois enfants (les messagers dans l'opéra) s'endorment et vont assister à l'histoire. Leur papa donne des cadeaux (C'est Sarastro !) : un appareil photo, un ordinateur qui jouera le rôle des clochettes magiques de Papageno, et la flûte qui jouera le rôle de celle, enchantée, de Tamino. Arrive la méchante nounou, pas affectueuse pour un sous (C'est la Reine de la Nuit). Grinda dans son commentaire a compris combien cet opéra est psychanalytique dans l'oeuvre de Mozart. Qui ne sait que Mozart a perdu sa mère tout jeune et que son père (immense pédagogue) a endossé les deux rôles ? D'où la défiance des femmes chez Mozart, sa peur puis son affection sans bornes pour son père. Il n'y a pas que Dom Giovanni (la statue du commandeur foudroye Dom Giovanni) qui parle de ce thème paternel : il est évident que Sarastro est le père de Mozart qui assume aussi l'amour maternel et que la Reine de la Nuit est son ressentiment pour l'abandon maternel.

Plateau étonnant

Quant au plateau il était merveilleux lui aussi. Le ténor Tamino (Matthias Klink) mozartien à souhait, clair et valeureux ; la soprano Pamina (Hélène Le Corre) émouvante, Papageno (Lionel Lhote) si comique, même Monostatos (Loïc Felix) si souvent sacrifié (chapeau à l'allusion à Orange Mécanique pour le costume de Jean-Pierre Capeyron)... Les trois enfants étaient plus que remarquables, le choeur superbement nuancé. Le chef Philippe Auguin, dès les premières notes, emporte l'adhésion : quel musicien ! Chez lui, les brefs coups d'arche du baroque, l'esprit de Mozart en chaque note...

Sarastro est la voix de basse la plus étrange jamais entendue : Bjarni Thor Kristinsson. Au moins trois registres de voix, ce n'est pas une qualité. Le timbre est nasal surtout dans l'aigu, c'est un défaut. Mais l'étrangeté colle au personnage comme dans un dessin animé, c'est une voix à caractère. Le registre grave est cependant somptueux et devrait inciter un compositeur contemporain à écrire un rôle dans cet ambitus si limité et difficile, juste pour ce chanteur, l'effet serait impressionnant.

Mais la Reine de la Nuit, Aline Kutan, l'emporte sur tout le plateau. Une voix de vraie femme et pas de jeune fille ! combien dramatique pour l'expression du rôle mais fulgurante et délicate pour les mythiques aigus ! L'absolue voix adaptée au rôle. Mais aussi tout simplement, une grande musicienne. Rarement récitatifs de la Reine de la nuit, pas même en enregistrement, sont chantés avec autant d'entendement du texte. Brava !

La petite renarde rusée de Janacek à l'opéra Bastille

Un orchestre délicat

Tant de critiques auront ailleurs dit l'excellence du plateau, du décor que tel ne sera pas notre propos. Il est à remarquer que la netteté et l'âpreté de l'orchestre de Janacek, surtout lorsqu'il est si léger ne s'adapte pas à un gros volume théâtral. Au lieu d'être le si sublime commentaire du texte qu'il se doit, il devient décoratif, bourgeois car tout est dans le détail chez Janacek. On pourrait même aller jusqu'à affirmer que les grands et beaux orchestres sont trop capiteux pour transmettre les couleurs le Janacek, couleurs acidulées. 

Un anti-conte de fée tragi-comique

Nous avons fait en 2005 à propos d'un petit spectacle amateur un commentaire poussé de l'oeuvre. Nous affirmons qu'aussi riche et talentueuse soit la mise en scène présente, elle n'atteint pas le coup de génie de Gregory Cauvin dans le petit village de Gattière où l'on a entendu pour la première fois l'ouvrage, coup de génie qui vient de ce que ce jeune metteur en scène a su adapter l'esprit d'Almodovar à celui de Janacek, ce qui est très senti pour les raisons qui vont suivre.

La petite renarde rusée est un anti-conte de fée. Certes il y a des sources profondes dans le roman de Renard qui en font un authentique fabliaux (au moyen-âge le sens commun était déjà désabusé) mais il n'en demeure pas moins qu'un conte de fée ne doit jamais expliquer les problèmes qu'il traite et qu'il doit toujours les résoudre, c'est la règle de Betelheim (Psychanalyse des contes de fées). Or ici tout est dit clairement et sans ménagement. La petite renarde rusée, petite lolita, est une métaphore d'une tentation humaine, face à elle un garde champêtre entrant dans la vieillesse, un curé entré en religion par déception des femmes, un instituteur brisé par le manque de confiance et un braconnier qui passe outre en la tuant et en faisant un manchon pour celle qu'il épousera (justement celle qu'aimait l'instituteur malheureux). Tout est désillusionné, la scène d'amour du renard et de la renarde est ironique face aux sentiments humains, l'instituteur déclare son amour à un tournesol comme il est ivre, le garde-champêtre regrette le temps où sa femme et lui étaient jeunes et amoureux. Non seulement la renarde meurt de façon prosaïque, mais sa fille lui succède dans le fantasme du garde-champêtre : on ne voit pas là de quoi résoudre des problèmes mais de quoi seulement les poser et les souligner. Voilà bien tout l'esprit tragico-comique d'Almodovar. Aussi le spectacle doit être très comique pour être très tragique : il n'y a pas de place pour l'esthétique de contes de fée à la Ravel. Tout le décor de la Bastille, sublime, attendrit bien-sûr, mais semble un gâchis puisque l'opéra est adressé aux adultes et non aux enfants. Heureusement nos yeux d'enfants se plaisent toujours à la beautédu rideau de scène, des poules, des tournesols et de la chenille faisant danser son cerf-volant et tant de jolies lumières en cette super-production.

La phrase de la petite grenouille

Le coup de génie de Janacek, c'est la petite grenouille qu'attrape le garde-champêtre plutôt que la renarde à la fin. Janacek a défendu farouchement cette fin contre Brown son traducteur germanique. Combien il avait raison et combien cela est manifeste aujourd'hui ! La grenouille dit "c'est pas moi, c'est grand père, il m'a beaucoup parlé de vous !". Il faut absolument ce pied-de-nez pour la fin, il faut que cela soit incompréhensible, cela est une porte ouverte sur le théâtre moderne, sur l'absurde, cela contribue à la désillusion, à dédrammatiser le moment le plus tragique. En même temps en comprend que le grand père froid et vert, c'est Janacek lui-même, c'est la vieillesse et c'est lui qui a beaucoup parlé dans l'opéra. Le garde-Champêtre attrape comme un enfant dans sa jeunesse un animal-jouet mais en même temps il attrape la vieillesse en la grenouille. Le livret de l'oeuvre est aussi fascinant et génial que la musique. 

samedi 15 novembre 2008

déroutant concert du Maître Yakov Kreizberg, star proclamée de Monaco

La métaphore de la fleur

Maître Janovsky avait élevé l'orchestre a un niveau technique sonore si élevé que tout amateur voulant jouir ailleurs d'une pareille soie violonistique doit désormais prendre les transports et aller à Milan, Paris ou Aix l'été : cette année le Berliner y a exhiber sa supériorité absolue. Mais dans la région, Monte-Carlo brille à la première place. 

Lors de l'année de transition où la place de chef était vacante, dans ces mêmes colonnes, inquiet de ce que l'orchestre vivotait seul et surtout avide d'utiliser la magnifique métaphore d'Elsa Morante, nous avions écrit que l'orchestre était une "fleur malade d'ombre". Le soleil est arrivé et comme la campagne d'affichage représente une fleur cette année justement, le Maître Kreizberg a repris (évidemment c'est une rencontre fortuite) l'idée en déclarant : "un orchestre est une fleur qui a besoin d'être arrosée et je me réjouie de lui apporter cette rosée".

Voici donc le premier concert que j'entends sous sa baguette. Déroutant. 

Concerto pour violoncelle N°1 de Chostakovitch par Daniel Müller-Schott
déjà joué par Nathalia Gutman et Marek Janowsky lors du concert Dutilleux en 2006 : comparaison

La main de Daniel Müller-Schott est trés légère, subtile, raffinée, précise, technique. Cela paraît étonnant pour un fleuron de l'école russe (censée représenter une puissance romantique presque violente) mais cela fait de lui le jumeau de Lugansky, pianiste. On peut dire donc que la jeune génération russe est très française dans son style tout en gardant la force technique et harmonique de l'ancienne génération. Daniel Müller-Schott y met toute sa capacité narative, ses sentiments. Force est de constater qu'il n'a pas la puissance de Nathalia Gutman dans cette oeuvre. Oui, Chostakovitch ne demande pas de la beauté sonore, de la perfection technique, il demande d'arracher les cris de la mort du violoncelle, de montrer la laideur brute du monde soviétique et comme Victor Hugo il fait de cet oeil hideux une lumière sublime. La cadence pour être réalisée impeccablement sacrifie forcément en vitesse et c'est si dommage ! Bien au contraire, pour qu'elle atteigne son but il faut avaler des notes, hâter des temps, il faut de l'imperfection. Yakov Kresiberg montre une capacité d'adaptation flagrante (eu égard à la septième de Beethoven tonitruante qui suivra), il est dans le même ton, l'orchestre est diaphane, délicat là où Janowsky était criard. Or l'obstination de l'oeuvre est criarde et le thème doit faire mal aux oreilles renforcé par le piccolo même. Janowsky et Gutman avaient raison :lL'ombre de Staline marche sur les âmes, voilà le message, toute sensibilité chopinisante étant a bannir.  Quel bis nous donne Daniel Müller-Schott ? Une esthétique habanera de Ravel ! On ne peut manifester plus grand contre-sens avec autant d'art et de talent - de perfection, insistons sur ce point.

Yakov Kreisberg impose sa personnalité dans une septième de Beethoven tonitruante.

On avait compris, lors de la conférence de presse, que c'est le chef des jeunes, des engagements humanitaires, de la fougue, il veut arracher l'adhésion du public, il est enthousiasmé. Quoi de mieux qu'une "Apothéose de la Danse". Or voilà le point déroutant! Voulant tant démontrer la Victoire de cette oeuvre on croirait entendre la "Victoire de Wellington" qui fut crée à l'époque en même temps que cette Symphonie et qui en était le pendant pompier (Beethoven la renia même de sa propre plume). C'est certes un aspect de Beethoven : lui-même suivant le tempérament de ses années de vie, doublait ou ralentissait les tempi de ses oeuvres, il donna des indications contradictoires dans ce sens et l'on accepte ce soir un allegretto allegrissime ! Et même on retient son souffle sans même respirer entre les mouvements ! Mais la stupeur nous saisit quand on va de pianissimi en fortissimi par degrés si rapides qu'il n'y a plus de place pour continuer encore le crescendo et l'on est même à se demander si Kreisberg ne détruirait pas à ce rythme les couleurs merveilleuses données à l'orchestre par Janowsky... stop à la critique ! c'est aller trop vite en jugement, il s'agit d'une interprétation en or décapé,  voire un coup de pub peut-être. Il faut entendre bien plus pour pouvoir juger un chef capable d'oser pareille extrémité, il n'y a donc pas ici une critique du jeu de Kreisberg mais une interrogation, une intrigue ! 

dimanche 2 novembre 2008

Concert de l'ensemble Voxabulaire à C'est pas Classique

Comment se fait-il que personne n'ai jamais pris la peine de se pencher sur cet ensemble qui vivote sur la Côte-d'Azur tant bien que mal ? Certainement sa discrétion, son adminstration trop amateur faute de moyens, son manque d'activisme publicitaire, d'agressivité promotionnelle et surtout le peu d'attrait que son fondateur, Paolo Riccucci, a pour l'entregent azuréen qui prévaut tant pour la réussite ici.

Paolo Riccucci, directeur artistique de Voxabulaire

Qui est Paolo Riccucci ? Personnellement je l'ai entendu pour la première fois il y a 15 ans chanter du Monteverdi avec un tel sentiment de la langue, une rythmique si personnelle et si proche de l'Italien, comme toute Sprezzatura se doit d'être, que j'y ai vu un très grand musicien. Jusqu'ici il n'a pas percé, sans doute par des défauts dans les aigus de sa voix dont justement la qualité est d'être douce et claire ce qui rend ces défauts d'autant plus perceptibles. Mais plusieurs années de fréquentations de chanteurs reconnus, un passage chez Diapason et d'autres revues critiques musicales réputées m'ont fait réaliser que mon jugement est ferme et que ces défauts ne sont pas tant si importants eu égard à la plastique de son impact sur l'auditeur. Les chanteurs disent qu'ils sont nus et que leur chant est le reflet de l'âme. L'impression que donne Paolo Riccucci est d'un ange ténor et cela l'emporte sur l'analyse critique. Après tout, ce que l'on permet comme défaut à des musiciens qui ont eu une carrière, on ne le permet pas à ceux qui ne l'ont pas eu, mais il s'en faut de beaucoup que ces derniers aient la science et le goût de ce Paolo Riccucci ! Et surtout, au sujet de carrière, ne parlons pas d'Arianna Savall, fille de Savall, entendue récemment au prix Prince Pierre de Monaco et dont la technique vocale et la diction n'ont pas progressé depuis le concert de Tours il y a cinq ans dans un luxe de musiques rarissimes et un orchestre de violes pour une voix de débutante ! Mais à elle, d'emblée, le certificat d'interprète raffinée et les excuses pour les défauts vocaux.

Voxabulaire, un laboratoire de musique vocale ancienne et contemporaine.

Dans cet ensemble se sont réunis pour chanter la musique ancienne les meilleurs éléments des professionnels de Nice et ses environs. Y chantent ceux de l'opéra de Monte-Carlo, ceux de Nice, les supplémentaires d'Avignon, des jeunes perles nouvellement sorties des conservatoires de Menton, d'Aix et même de Paris. Depuis cinq ans ils travaillent, ils ont monté des oratorios de Carissimi, les Vêpres de Monteverdi, les Dames de Ferrare de Luzzasco Luzzaschi, les motets de Stefano Rossetti da Nizza (les premiers à le faire vraiment !) et créé un grand nombre de compositeurs contemporains. Et le niveau ?

A C'est pas Classique : niveau diapason ! pour des chanteurs inconnus ! Alors que dans d'autres salles le même jour des chanteurs connus étaient bien loin de cette perfection... L'emendemus in melius de Carissimi à trois voix, dont Liesel Jürgens (nous vous avons déjà parlé de sa voix à propos de Mendelssohn à l'Opéra) arrachait des larmes en foisonnant de nuances ! Christina Greco, simple choriste titulaire de l'opéra de Nice a chanté un lamento de Barbara Strozzi dans une perfection de déclamation de style d'intonation qui ferait pâlir les stars d'enregistrement, en particulier celle qui s'y ait adonné dans un disque chez Ligia digital... Thierry Di Meo, lui aussi choriste de l'opéra de Nice, a chanté un Dowland avec la parfaite diction et surtout toute la spiritualité qu'on y attend. On les avait entendu il y a 5 ans. Que de progrès accomplis ! Tout ceci grâce à Paolo Riccucci. Un jeune, Gabriel Jublin, contre-ténor remarquable, avait la particularité de donner à son interprétation une fraîcheur adolescente qui colle avec son physique : certes dans son second air à double croches, c'est encore techniquement frais, mais n'est-ce pas parce que Voxabulaire est une école, une formidable école, un outil indispensable à Nice et sa région ? Mais que tarde-t-on à s'en apercevoir ? Le public lui ne s'y est pas trompé, 400 personnes se pressaient à la porte de la salle dont la capacité ne dépassait pas les 100. Nul n'est prophète en son pays.

Concert de Fabrice Di Falco à C'est pas Classique

Étant situé à la tourne de page de l'organiste, je ne peux que donner un avis original sur ce qui s'est produit. La salle moderne est très sèche, le public très nombreux marmonne, le violoncelle s'accorde dans le bruit, il ne peut entendre les fondamentales très rares des tuyaux de l'orgue portatif, un Deblicke, luxe de ce genre d'instrument mais trop petit pour la salle Athéna de l'Acropolis. La chaleur monte, le métal des tuyaux s'allonge aussi, les notes sont toutes plus aiguës, entre deux tons. Fabrice Di Falco arrive, il a travaillé dans le style, changé toute sa technique vocale, il fait des finesses mais il est mal à l'aise par rapport à ses repaires corporaux, surgissent deux airs de tradition lyrique, Ombra mai fu de Haendel et le pastiche Ave Maria du Pseudo-Caccini. Des failles techniques s'ouvrent alors, la justesse est perdue, les anciennes habitudes reviennent y compris le vrai diapason de l'oeuvre, un quart de ton plus bas que l'orgue dont il lui est impossible d'entendre la trame harmonique dans cette acoustique terrible. Autant dire que c'est un miracle que le public n'ait pas entendu ce virage dangereux. Fabrice Di Falco reprend sa maîtrise dans le Stabat Mater de Vivaldi : on voit qu'il a assimilé tous les effets baroques qu'il s'y est fixé.

Est-ce une déception par rapport au miracle attendu de cette "entrée dans le baroque" ? Non, on apprend là que la parfaite maîtrise dans Britten de Fabrice Di Falco vient de ce qu'il fait partie des chanteurs "corporaux" et non "mentaux", il a besoin de temps pour asseoir cette solidité si admirée à l'Opéra de Nice. L'article précédant mettait l'accent sur la particularité de cette voix passionnante et sur l'originalité de son parcours, celui-ci invite les organisateurs de concert à miser sur Di Falco pour faire naître une nouvelle star du baroque, mais elle n'est pas encore éclose.

Quant au danseur samouraï, Samuel Aldrich, pour le Stabat Mater, faut-il faire un débat ? C'est un professionnel très doué d'une part, d'autre part cela participe à ce que l'on appelle "inculturation" à savoir : donner à la liturgie une universalité. C'est enfin très grand public et la gratuité du geste se justifie dans l'approbation des récepteurs. On peut donc dire que Fabrice le sopraniste, Samuel le samouraï et Huguette, la très vénérable claveciniste forment un groupe à part et chatoyant !

Un mot âpre sur l'Ave Maria du Pseudo-Caccini. Caccini n'a jamais écrit de musique religieuse et c'est un choix que l'Histoire doit respecter. Comment même s'imaginer, hors d'un contexte de litanies très particulier (une courte phrase répétitive comme entrée de fugue dans un tissu instrumental, du type de la sonata dans les Vêpres de Monteverdi), qu'un auteur de l'époque s'amuse à musiquer seulement "Ave Maria" en oubliant tout le reste des paroles ? Il faut rendre cette oeuvre à son propre registre, la chanson des années 1970 avec ses septièmes harmoniques et ses phrases larmoyantes ! L'auteur en est le russe Vladimir Vasilov et l'on trouve son histoire sur Wikipedia, il avait à se cacher pour cause de rideau de fer. Tout chanteur sérieux doit bannir cette oeuvre d'un concert sérieux. On plaint mais on admire aussi Huguette Gremy-Chauliac de s'être retrouvée dans la situation d'y mettre de belles ornementations de son invention pour enrichir le continuo de cette oeuvre banale.

La conclusion reste que Fabrice Di Falco, l'un des plus originaux talents de son temps et des chanteurs les mieux dotés vocalement, doit faire dix fois plus d'efforts de rigueur, d'hyper technicité pour s'imposer là où il devrait déjà briller et ce, parce qu'il doit aussi lutter contre sa propre inclination pour une musique et des effets trop démagogiques.