lundi 28 septembre 2009

De ce que les Sacrifiées de Laurent Gaudé valent cent fois mieux que les Trois femmes puissantes de Marie NDiaye

Non pas que la sensibilité manquât à ces Trois femmes puissantes mais où voit-on qu'elles fussent puissantes dans leurs immenses fragilités jusqu'à s'enfoncer même dans l'impuisance, tant autrement a-t-on l'impression que le titre est puisé de l'admiration des femmes si bellement mises en musique par Thierry Pécou, les algériennes, les Sacrifiées de Laurent Gaudé, dont les cris de douleurs sont si justes, si issus des tripes, si affamés de vivre que la certitude d'être devant un génie vous ôte toute envie d'émulation ... et pourtant, nul tapage autour de la source évidente d'inspiration de notre succés qui accapare tant l'actualité, nulle emphase sur l'écriture plus belle au demeurant : puisque la Presse nous le dit, il faut bien admirer les défauts et louer les phrases longues jusqu'à Pontoise de ces Trois femmes puissantes, louer et relouer encore et toujours auprès d'un public qui les achètera, là dans un point livre de gare, là dans une librairie intellectuelle, et laissera la première femme avant la fin, persuadé de n'avoir point été à la hauteur de cette nouvelle Umberto Eco, alias la montée en épingle Marie NDiaye - mais il faut absolument avoir le livre dans ses rayonnages - ainsi aurais-je tout de même réussi, moi qui n'ai pas le courage, la chance, les moyens d'en faire autant et aigri comme un Mattheson (et j'espère, je l'avoue, quand j'en serai arrivé à bout - je voulais dire au bout, pouvoir écrire un autre article empli d'éloge), à faire tout autant ma longuissime phrase à laquelle il ne manque que le point d'interrogation qu'exigeait le début !

mardi 15 septembre 2009

BACH & HAENDEL


Haendel est magnifique. Magnifique : c'est un geste que l'on discerne à la lecture de sa musique, une geste à la lecture de sa vie. Bach est une forêt, selon le mot de Paul Dukas : "quelque forêt sonore dont les végétations s'enchevêtrent harmonieusement", et l'on s'y enfonce comme lui même le fit dans sa vie sur son seul territoire de Thurringe mais pour pénétrer dans les conquêtes d'un humanisme pédagogique, et bâtir une somme solide à l'usage des futures générations. Comparer Haendel et Bach ? mais sur quels critères ? qu'ils furent voisins de naissance en lieu et date ? l'un se fait père d'une famille nombreuse, l'autre reste célibataire, l'un approfondit dans la routine existence et musique, l'autre tente les embûches de la carrière comme un joueur mise, l'un fut le domestique de princes puis d'une administration, l'autre jouet de la foultitude du public anglais... il n'y a là que des divergences et leur seul point commun est l'esprit d'aventure, l'un dans le monde, l'autre dans l'esprit. Devrait-on les confronter, comme les anciens firent en regrettant la rencontre désirée par Bach et déclinée par Haendel ? c'est un peu comme évoquer la rencontre de Diogène avec Alexandre le grand. Deux conquérants mais aux territoires si divers : "ôtes toi de mon soleil, dit Diogène de son tonneau". Bach aurait pu dire de même au colosse avide de terres nouvelles.
C'est une chance que l'Histoire humaine est pu dans la musique nous fournir la concomittence de deux géants si opposables, et que leur vie ait tant fait pour renforcer leurs beaux tempéraments ou bien que leurs tempéraments firent tant pour éloigner leurs destinés, car désormais chaque auditeur piochera dans sa sensibilité et dans le goût de son temps pour choisir sa préférence. Du reste le débat fut déjà épuisé dès leur siècle : pour Haendel l'élégance, le naturel, la vérité du sentiment, pour Bach l'érudition, le spirituel, la profondeur de l'âme. En voici quelques exemples.
L'élégance et le naturel...
L'adéquation du style de Haendel avec les courants galants puis classiques du XVIIIème siècle aveugla cet âge sur la valeur expressive de l'oeuvre de Bach : un critique prussien comme Johann Friedrich Reichardt, conscient de la supériorité technique de Bach peut pourtant écrire au nom du goût de la Nature dans le Musikalisches Kunstmagazin, 1782 " Si Bach avait eu le profond sens de la vérité et le sentiment expressif qui animaient Handel, il eût été beaucoup plus grand que Handel; tel qu'il est il, n'est qu'un grand savant, un grand travailleur." Quel triste écho des attaques d'un Johann Adolph Scheibe du vivant même de Bach !
Au contraire au beau milieu du XIXème siècle, quand le Romantisme aura puisé dans Bach des effets plus intérieurs et que désormais Bach est préféré à Haendel, l'anglais Samuel Butler se plaint en ses carnets : " Le vulgaire cultivé a de tout temps préféré les tours de force et la piaffe à la réticence et aux mouvements normaux, sains et gracieux d'un homme bien né et bien élevé, et Bach est regardé comme un musicien beaucoup plus profond que Haendel à cause de la complexité fréquente et plus embrouillée de ses compositions. En réalité, Handel fut assez profond pour fuir ces orgies de contrepoint auxquelles Bach avait instinctivement recours."
... contre la technique et la perfection
Voici des bélligérants noyés dans une bien curieuse incomprehension : quand les uns arguent la souplesse de Haendel, les autres rétorquent ses faiblesses, quand les uns soulignent la lourdeur de Bach, les autres exaltent sa technique. Une batailles des année 1786-1789 :
Charles Burney (qui rencontra tout jeune Haendel sur la route de Dublin) - Je suis également convaincu (...) que dans ses fugues pour orgue, si denses, magistrales, superbes, dont le thème est toujours du plus grand naturel et du plus grand agrément, il a dépassé Frescobaldi et même Johann Sebastian Bach"
Karl Philipp Emanuel Bach (qui lui avait offert le Clavier bien tempéré en 1772) - J'ai diverses raisons d'être peu satisfait de Monsieur Burney. Dans le cas de Haendel, on constate également ce qui vous arrive : quand on veut diviniser quelqu'un, on n'a généralement que des ennuis. Les comparaisons sont difficiles et ne devraient pas être faites. Cela n'était d'ailleurs pas nécessaire, il était assez grand, notamment dans ses oratorios. Mais écire au sjet du jeu de l'orgue, qu'il ait dépassé mon père, etc., etc., personne ne peut le dire en Angleterre, où l'on ne toruve que des orgues insignifiants et remarquons-le, sans pédalier. (...) Hasse, la Faustina, Quantz et d'autres encore, qui ont bine connu et qui ont entendu Haendel, disoient en l'an 1728 ou 1729, lorsque mon père se fit entendre en public à Dresde : Bach a porté à son apogée l'art de l'orgue."
Un anonyme dans l'Allgemeine Deutsche Bibliothek - Dans ses suites, Haendel copie largement la maniere fançaise d'alors et l'on n'y touve guère de variété ; dans les différentes parites de la Clavier übunf de Bach tout est original et varié. (...) Les fugues de Haendel sont bonnes, mais il oublie souvent une voix. les fugues pour clavier de Bach peuvent être transposées pour plusieurs instruments (...) aucune voix ne se termine dans le vide (...) parmi les oeures de Haendel que je connais pour orfue (et j'ajoute intentionnement ce que Monsieur Burney omet dans le cas de Bach : que j'en connais de Haendel), je ne trouve aucune oeucre ui possède les beautés que l'on célèbre dans celles de Bach.
Charles Burney, réitérant - Haendel a peut-être été le seul grand auteur de fugues qui ne fût pédant. il ne travailla que rarement des thèmes secs ou lourds; les siens étaient toujours naturels et plaisants. Au contraire de lui, Sebastien Bach, tel Michel-Ange en peinture, méprisait tellement la légèreté que son génie ne condescendait jamais jusqu'au léger et au gracieux".
Dix ans plus tard, en 1799, un ancien organiste de Lüneburg devenu professeur au Collège allemand de St-James à Londres, met tout le monde d'accord :
A.F.C. Kollmann - Haendel doit être considéré comme très grand dans les détails que j'ai indiqués plus haut (je veux dire dans le choix et l'exploitation des thèmes pour atteindre les buts qu'il s'est fixés). Car toutes ses oeuvres montrent que, quel que soit l'usage qu'il fait d'un thème, il le fait toujours avec la science la plus grande, et, qui plus est, avec une telle légèreté naturelle que ses fugues les plus profondément travaillées ne portent jamais la marque de l'absence de la plus divertissante variété. Que Sébastien Bach soit également grand et peut-être même sans rival en ces mêmes points, cela ressort bien de l'anecdote selon laquelle son fils Emannuel lui montrant un jour un thème de fugue et les variations qu'il permettrit à son avis, lui demanda si d'autres variations pouvaient en être déduites. Son père jeta alors un coup d'oeul sur le thème et le lui rendit en disant, paraît-il : "Pas une de plus". Cette brève réponse excita la curiosité de son fils, il examina lui-même le thème avec plus d'attention, mais il constata que son père avait parfaitement raison, car il lui était impossible d'en faire rien d'autre que ce que son père avait indiqué. Il va de soi cependant que cela ne s'applique que pour les variations qui font partie de l'art d'une fugue exacte.
Un approfondissement différent
Mais les plus belles paroles sur ce vain débat sont prononcée par un admirateur de Haendel à une époque où l'on ne peut se dire ennemi de Bach, en 1980
Jean-François Labie - [Pour Bach,] l'approfondissement se fait sans secousses. Jean-Sébastien ne connaît pas les grandes crises morales et physiques qui secouent Georges Frédéric. Sa métaphysique, comme sa morale, restent simples et claires. Il ne rencontrera pas nonplus questions brutales qui amèneront son compatriote et contemporain à l'extrême limite de l'interrogantion mystique dans Theodora et dans Jephta.
Et empruntant une métaphore à l'architecture, voyant dans Bach une facade ordonnacée aux détails ciselés, en Haendel une facade flamboyante où stuc et marbre ne se distingue plus dans l'élan de l'oeil :
Jean-François Labie - Il est impossible d'imposer au deux hommes les mêmes modes de jugement : il n'appartiennent pas au même univers. Au monde de l'équilibre parfait, on ne peut opposer un univers qui refuse les règles physiques de la pesanteur.
C'est là encore mettre face à face Diogène et Alexandre, mais si comme dans le film, Alexandre regarde desespéré les montagnes de l'Himalaya dans la crainte de ne pas connaître les terre successives, de même Diogène avait la même soif du sentier de l'existence. Bach & Haendel sont eux aussi du même temps, ne l'oublions pas, celui des Lumières et leur cause est peut-être semblable.