vendredi 15 octobre 2010

L’éducation de Wilhelm Friedemann Bach

Bach était un enseignant sévère pratiquant à la fois des tests d’aptitude et un apprentissage pratique. Son fils cadet, Carl Philipp Emmanuel relate les premières rencontres avec les jeunes compositeurs : « il faisait immédiatement commencer ses élèves avec des œuvres de lui n’ayant rien de facile ; quant aux idées originales, il en exigeait dès le début, et à ceux qui en étaient dépourvus, il conseillait de renoncer définitivement à la composition. Ni avec ses enfants ni avec d’autres élèves, il ne commençait l’étude de la composition sans avoir vu des œuvres d’eux témoignant selon lui d’un talent certain ».

Johann Christian, son frère cadet, raconte aussi de quel objet il était la vigilance : « j’improvisais au clavecin de manière tout à fait mécanique et je m’arrêtai sur une quarte-et-sixte. Mon père était au lit et je croyais qu’il dormait, mais il sauta de son lit, me donna une gifle et je résolus ma quarte-et-sixte. »

Wilhelm Friedemann, fils aîné (né en 1710), jouait l’Allemande en La majeur de François Couperin à deux clavecins, avec son papa. Le 22 janvier 1720, pour honorer les dix ans de ce dernier, Bach rédige un Klavierbüchlein für Wilhelm Friedemann Bach, « petit livre de clavier pour W.F. Bach ». Cet ouvrage pédagogique fondamental s’avéra être essentiel dans l’Histoire de l’Humanité si maltraitée par l’histoire de l’exégèse du Kantor, car il faut attendre la Neue Bach Gesellschaft pour voir apparaître les pièces non expurgées par le souci d’authenticité. Elles seront éditées intégralement par Bärenreiter en1978. Enfin, nous pouvons les considérer autrement qu’un ramassis de petites pièces inabouties ou inachevées.

Ce cahier d’écolier sera tenu par Johann Sebastian et Wilhelm Friedemann jusqu’en 1725-26. Il restera en possession du dédicataire jusqu’en 1746. Sa structure est faite de véritables séquences pédagogiques. C’est une main géniale qui contient l’apprenant dans un premier temps pour le lâcher progressivement et définitivement afin de l’offrir à sa propre créativité !

Suivront les six sonates pour orgue, transmises par un autographe de Bach et une copie que se partagent les mains d’Anna Magdalena et de Wilhelm Friedemann. En 1802, dans sa biographie, Forkel nous apprend que Bach les écrivit exprès pour son fils aîné Wilhelm Friedemann. « C’est en les étudiant que Friedemann se préparait à devenir le grand organiste que je connus par la suite. » L’enfant a alors 12 ans lorsque Bach arrive à Leipzig, en 1723. La mise en forme de ces sonates daterait alors de cette période.

On peut penser que Bach réutilisa tout un matériel de musique de chambre préexistant. On peut aussi penser que ce fut un travail qu’il exécuta directement en enseignant à son fils la pratique de deux claviers et d’un pédalier (notamment sur un de ses trois clavecins pédalier à la maison. Une telle méthode pourrait expliquer ce en quoi Wilhelm Friedemann s’attribua la transcription d’un concerto de Vivaldi. Il est possible qu’il l’ait faite sous la direction de son père.

Dans l’année 1726, alors que son fils a quinze ans et demi, Bach fait donner une série de six cantates avec orgue. La progression en difficulté jusqu’à la septième cantate rend l’orgue virtuose. Il y a alors tout lieu de penser que ce fut en vue de l’épreuve publique pour son fils.

Le 25 mars 1729, à Cöthen, Wilhelm Friedemann participe à l’exécution de la musique funèbre composée par Johann Sébastian en mémoire du prince Leopold, son ancien employeur. En 1730, délégué par son père, il donne des leçons de clavecin au jeune Christoph Nichelmann, ce dernier se chargeant de la théorie et du chant. Pendant ce temps le jeune Carl Philipp Emannuel copie de nombreuses cantates.

Le Café Zimmermann

Wilhelm Friedemann entre à l’université en 1729, il se perfectionne au violon auprès de Johann Gottlieb Graun et joue également aux concerts du collegium musicum ainsi qu’au café Zimmermann dont son père venait de reprendre la direction. Nombre de villes développèrent un Collegium Musicum. Musiciens professionnels et amateurs-étudiants de haut niveau qui s’y réunissaient pour travailler et pour offrir un divertissement aux publics curieux et mélomanes. Ils jouaient sur les terrasses de café pour populariser ce que les grandes cours entendaient en privé : ouvertures, concertos, musique de chambre, arie, cantates profanes.

Suivant le témoignage de Forkel, Bach composa les concertos pour trois clavecins pour ses trois fils avec Maria Barbara, Wielhelm Freidemann (1710-1784), Carl Philipp Emannuel (1714-1788) et Johann Gottfried Bernard (1715-1739) : on peut penser même qu’il rendit hommage aux goûts de chacun d’eux dans les différentes parties de clavecin. Johann Gottfried Bernard, le puîné du premier mariage devait être un interprète très jeune et de première force, il mourra à Iéna alors qu’il cherchait à quitter la carrière de musicien pour celle d’avocat.

Ces années de félicité se ressentiront dans la quête tragique de Wilhelm Friedemann pour trouver son propre style sans renier la profondeur de son père. Le résultat dont témoigne en particulier l’œuvre de clavier, est à la fois torturé et frissonnant.

Cédric Costantino pour presencemusicale.com




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