samedi 15 janvier 2011

Quand, la guerre s’approchant, Chostakovitch pouvait s’exprimer : quintette opus 57


Je m’avisais de vouloir parler du Quintette opus 57 de Chostakovitch, de dire combien l’introduction solennelle était une vision russe de Johann Sebastian Bach, avec des rythmiques rachmaninoviennes, qui font même penser à la célèbre « vocalise ».

Je m’apprêtais à dire tout l’amour que l’on peut avoir pour la beauté d’une fugue débutant dans les sons harmoniques glacés, se poursuivant par le grave extrême, obscur, si typiquement « Chostakovitch » pour l’entrée au piano, et puis tout s’emballe, tout tourne à la confession douloureuse avant le retour glacé de la fugue.

J’étais au point de dire aussi combien le mouvement rapide est implacablement enthousiasmant, « comme un rouleau compresseur » ; de dire mon penchant pour le mouvement médian, une de ces méditations profondes qui font devenir « fan » ; et puis souligner l’aimable fraicheur espagnole du final, fausse gaîté. Je voulais souligner que chaque fois, quand l’émotion monte, dans chaque mouvement, une unité profonde thématique réapparaît ; je désirais souligner encore qu’au dernier mouvement tout est dans l’ultime solo du violon, solo finissant sur une figure grinçante et mécanique et qu’ainsi la réexposition sereine du scherzo qui suit semble totalement ambiguë.

Mais en fait je dis tout mal, car en lisant la monographie de Krysztof Meyer sur Chostakovitich, j’apprends que ce quintette, écrit en 1940, obtint le prix Staline et toutes les éloges, alors qu’il était loin des canons du « réalisme socialiste » et justement dans cette « abstraction » que les staliniens pouvaient qualifier de « formaliste » et qui est un « néoclassicisme ».

Dans les séances de critiques et d’autocritiques infligées aux compositeurs (séances de l’Union des Compositeurs Soviétiques), Prokofiev dut commenter l’œuvre, et si l’on débarrasse son commentaire de la partialité du temps, on s’aperçoit que l’on ne pouvait pas mieux commenter l’œuvre (et comment je pourrais prétendre commenter mieux qu’un tel confrère de Chostakovitch qui connaît vraiment l’écriture ? ): « A l’étranger, j’ai vu des gens recourir aux moyens les plus désespérés pour composer une fugue qui aie l’air plus ou moins originale. Ils n’y réussissaient que rarement. Hindemith y est parvenu, dans une certaine mesure, dans ses sonates.

Il faut rendre cette justice à Chostakovitch : l’impression générale est que sa fugue contient un nombre incroyable de choses nouvelles. » Et encore : « Dans le quatrième mouvement, on a utilisé un effet à la Hændel, - une mélodie d’une longueur interminable contre un pizzicato des basses à l’arrière-plan. Du temps de Hændel, c’était magnifique ». Chaque fois que cette basse se tait, un moment lyrique apparaît que Prokofiev qualifie « d’authentique Chostakovitch ».

S’agissant de la fin, très ambiguë, et de l’équilibre si particulier entre les cordes et un piano exploitant les registres les plus extrêmes, je dirai encore tout mal, si je n’avais pas eu la chance d’avoir interviewé la pianiste Ludmila Berlinskaia : ce sont ces magnifiques paroles qui ont motivé mon invitation à réécouter cette œuvre d’une grande puissance.

Ludmila Berlinskaia , je m’adresse à vous maintenant, comment faites vous pour arriver sur le piano à ce toucher « Chostakovitch » si particulier et reconnaissable entre tous ?


Ludmila Berlinskaïa : Ah c’est une belle question : il y a en effet un touché pour chaque compositeur et pour Chostakovitch il n’est pas exclu d’être méchant, il y a un message avant tout à faire passer, un message très fort, parfois même brutal, la sonorité ne doit pas être très gentille, elle n’est pas là pour être « sympa ». Parfois il faut faire mal aux oreilles du public et ce n’est évidemment pas comme chopin.

Cette fin particulière du quintette, pour vous, comment vous la figurez vous ?

LB : Les fins des œuvres de Chostakovitch sont toujours particulières et pas seulement dans ce quintet. C’est un moment incontournable, il y a toujours chez Chostakovitch, grand admirateur de Beethoven, un parallèle à faire avec cette idole. C’est intéressant de voir que chez Beethoven dans n’importe quel final, c’est toujours après le combat la victoire des lumières, chez Chostakovitch c’est l’opposé diamétral, la fin n’est pas vraiment heureuse c’est le moins qu’on puisse dire !


On à au contraire le sentiment d’avoir perdu quelque chose. Chostakovitch dans ce quintette joue avec la philosophie du Parti qui pense que la révolution totalement accomplie, le peuple retrouvera une autre vie dans la paix. Mais ici c’est la paix d’une victime que l’on va trouver : tous retrouveront la paix mais après la mort et tout cela est dit dans le mode majeur, c’est plus fort que de le dire dans le mode mineur. La paix après la mort.


Cédric Costantino pour presencemusicale.com


lire l'édito de Coralie Welcomme dans présencemusicale.com

samedi 1 janvier 2011

Une comparaison de Hervé et Offenbach

A l’époque on louait les trouvailles mélodiques et les folies du « compositeur toqué », l’inventeur de l’opérette, le génial Hervé. Quand vous entendrez cette musique absolument délicieuse, vous ne manquerez pas de faire la comparaison avec Offenbach, et de vous poser la question, pourquoi la postérité a retenu Offenbach, plutôt que Hervé.


Voici la réponse : Offenbach, avec une solide technique allemande de l’écriture musicale, et ce que l’on appelle le génie rare d’un étranger pour une langue d’adoption, justement parce qu’il n’était pas francophone, a trouvé des formules mélodiques neuves, incisives et parfois s’est élevé à un degré d’inspiration originale qui fait que certains morceaux d’anthologie ont éclipsés la normalité de toute une part de sa production. De même, tout ce qui était drôleries chez Hervé et chez ses librettistes (onomatopées, pseudo italianismes, pseudo germanismes et anglicismes, jusqu’aux tours mélodiques…) Offenbach l’a copié, voire plagié, rendant inutiles les premières versions d’Hervé. Mais il est vrai que dans les Contes d'Hoffmann, Offenbach s'est élevé à une hauteur élective pour la postérité et cette seule oeuvre explique le choix de l'Histoire.

Hervé quant à lui, n’était pas techniquement solide, son harmonie n’était pas soignée, autodidacte, il n’eut que quelques leçons du grand Aubert, qui gentiment voulu soutenir ainsi un jeune talent déjà éclatant et reconnu. C’est un défaut mais aussi une qualité, car très librement Hervé avait une oreille ouverte aux harmonies dans l’air du temps et aux recherches les plus originales. On entend chez lui, non seulement Gounod, mais aussi Chopin, Beethoven et Wagner. En tant que Français, son sens de la rhétorique est plus ancien, presque baroque, on entend souvent des rythmes de sarabande (comme les quatre Saisons), un souci si délicat des ornements et surtout des retards musicaux : Tout cela en fait, malgré sa solidité technique en deça d’Offenbach, un musicien raffiné dont le discours musical suit la même voie (plus modestement) de recherche qu’un Liszt et un Wagner : C’est d’ailleurs parce qu’il a reconnu en Hervé un vrai musicien dramaturge que Wagner a adoré Hervé, affirmant qu’il était le plus authentique esprit parisien tandis qu’il détestait Offenbach pour sa vulgarité musicale.


Pour rendre plus clair l’originalité unique du binôme Hervé/Offenbach, il faut recourir à une comparaison avec un binôme comique du théâtre romain antique Plaute/Térence. Plaute écrivait génialement dans le langage du peuple, celui d’un rire éclatant ; Térence écrivait plus délicatement pour les aristocrates dans le langage d’un sourire discret. Et bien, musicalement Offenbach est Plaute, tandis que, dans ses livrets plus bourgeois et édulcorés, il est Térence. Par inverse, Hervé musicalement si raffiné est Térence, tandis que par son rire brutal, pataphysicien et théâtral, il est Plaute. On ne doit donc pas s’étonner que le peuple du XX° siècle est retenu Offenbach pour sa musique, tandis que celui du XXI° redécouvre Hervé pour son théâtre tout en s’étonnant qu’on ait oublié la beauté de sa musique.


Cédric Costantino pour présencemusicale.com


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