Place de Madame Butterfly dans l’œuvre de Puccini
Opéra créé en 1904 à la Scala de Milan sans succès, vite remanié, Madame Butterfly, fut considéré comme une redite des œuvres précédentes, avant de connaître un éclatant succès, trois mois après la création milanaise. Cette volte-face a des raisons plus profondes qu'il n'y paraît. Dans une époque où la psychanalyse sous-tend les plus fortes fresques lyriques : Pelléas de Debussy (1902) ou Salomé de Richard Strauss (1905), Madame Butterfly, par son intrigue larmoyante, n’est pas à interpréter comme une complaisance sentimentale, avec exotisme musical japonais, mais comme une étape dans l’approche de la femme, minutieusement bâtie quoique inconsciemment, dans l’esprit de Puccini.
Quand il écrit l’opéra, le compositeur est impliqué dans le suicide d’une jeune servante provoqué par les accusations d’infidélité de sa femme. Sadisme érotique et amour passionnel pour le sexe féminin, accablent de multiples coups, un fragile papillon, Madame Butterfly, placé sur la route de la femme idéale qu’a recherchée Puccini, toute sa vie dans sa création.
Place de la femme dans l’œuvre de Puccini
Déjà dans La Bohème (1896), Mimi incarne la pureté sacrifiée sur l’autel de la tuberculose. Mais elle n’est pas innocente, elle rappelle avec tendresse avant de mourir qu’elle avait malicieusement compris que celui qu’elle aime, avait fait semblant de ne pas trouver la clé pour toucher sa main. Mimi est l’amour intelligent, bienveillant mais fragile et vite brisé. Tosca (1900) aux prises avec le sadique Scarpia, joue le destin de l'amant torturé, autour d’une table et d’un verre de vin, brisée par les hurlements de la torture, trahissant l’idéal de son bien-aimé pour le sauver, elle sera pourtant bernée par Scarpia, celui qu’elle croit tromper, et retrouve mort, celui qu’elle aime, avant de se précipiter dans le vide. Tosca est l’amour instinctif. Butterfly va plus loin.
Portrait de Cio-Cio-San
Elle est l’amour innocent, candide et crédule. Elle est d’emblée trompée par l’officier de marine américain Pinkerton (rien ne le rachète dans l’opéra). Il est peut-être le prototype du ténor puccinien !
Il avait été averti par le gouverneur de ne pas s’amuser à simuler le mariage avec le petit papillon (Butterfly) de Nagasaki, une geisha de 15 ans, Cio-Cio-San. Mais, avec son hymne américain, camouflé dans l’orchestre, il s’en amuse, en abuse, et disparaît en la laissant dans l’attente pendant trois années. Son bateau arrive au printemps (Acte II). Butterfly attendra encore, une nuit entière dans une page symphonique qui, au théâtre de plein air, de Torre del Lago, à deux pas de la maison de Puccini, a toujours bercé les oies sauvages du lac : elles viennent, s’approchent, et le premier coup furieux de l’orchestre les fait fuir. Ainsi disparaît l’espoir de Cio-Cio-San, et son amour de jeunesse. « Non sono più quella ? », je ne suis pas celle d’avant ? s’interroge-t-elle avec angoisse.
Pendant trois ans, elle n’avait pas voulu comprendre, les paroles embarrassées du gouverneur qui savait que son mari avait épousé une américaine, et qu’il n’osait le lui dire.
Maintenant le lâche Pinkerton ose chanter un instant le passé érotique de son aventure japonaise tout en revenant prendre le fruit de cet amour pour lui donner l’éducation de la soi-disante vraie civilisation, - puissant engagement anticolonialiste de Puccini à ce sujet.
Par sacrifice maternel, Butterfly lui donne l’enfant de ses propres mains, avant de s’ouvrir le ventre. Elle est l’amour infantile assassiné.
Suite et fin de la métamorphose du papillon.
Mais Butterfly n’est qu’une étape pour passer à la femme véritable. La Fanciulla del West (1910), Mimi, en est le premier prototype. Elle jouera son bandit d’amoureux autour d’une autre table (comme Tosca), mais ici, aux cartes, contre un autre homme libidineux, le Shérif.
Mais fair-play, cet ombre de Scarpia accepte de perdre. Et l’autre garde la vie sauve. Elle est l’amour fort, A la fois, Tosca et Mimi, ensemble. Elle assume et elle calcule : elle ne pouvait perdre, car elle trichait.
Après, l’anecdotique Suore Angelica (Il Trittico, 1918), autre mère brisée mais davantage mère qu’épouse, c’est Liu qui dans l’esprit de Puccini, aboutit à l’incarnation de la vraie femme dans son ultime opéra Turandot (1921). Dévoué à son amour tacite pour le Prince Calaf, en expirant, elle montre la voie de la féminité à la princesse Turandot, vierge cruelle, mais prototype du passage initiatique de l’état de l'adolescente au statut de l’épouse. Mais hélas, Puccini meurt avant la métamorphose de cet autre papillon.
illustrations
Hokusai, japonaise (dr)
Torre del lago, le lac et la tour (dr)
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