jeudi 12 octobre 2006

Monaco. Grimaldi Forum : Concert Gustav Mahler.


Monaco, Forum Grimaldi, 30 septembre 2006. Pour les 150 ans de Monaco, un début plus que brillant à la « Marek Janowski » : une 2ème Symphonie de Mahler avec l’orchestre au complet et le Rundfunkchor de Berlin, plusieurs fois habituer du forum Grimaldi.Quand une interprétation est si magistralement pensée, menée, que chaque impulsion artistique est issue de l’architecture d’un cerveau redoutable (redoutable pour les chefs jaloux), la critique ne peut qu’avoir peur : que dire quand tout est parfait, fort et intense ? Son enthousiasme !

Peu de chefs savent mener la narration de Mahler. Beaucoup d’orchestres craquent, couinent sous le poids des cuivres. Ici la lecture est impeccable et c’est sur Mahler que les réflexions surgissent :, encore une fois preuve que Marek Janowski réfléchit et fait réfléchir sur ce qu’il interprète. L’essence première de ce compositeur, que nous montre Janowski, est sa force épique, Malheur parle, tel un aède, il raconte une épopée qui lutte pour acquérir la lumière : certes, tous les commentaires de l’œuvre le disent, mais notre chef le fait ressentir pour chaque auditeur. 

Mahler prend du temps pour parler, il est comme Balzac (ou plutôt Zola) : Le trivial, le banal, le folklore trouvent leur place dans un message narratif sublime au-dessus  des considérations esthétiques, ils sont même des moyens pour atteindre le sublime, celui qui parle de l’expérience de la vie tout simplement (lire notre présentation de la deuxième Symphonie de Mahler). C’est là un héritage de Beethoven et de Wagner, c’est une leçon que retiendra Chostakovitch, et cela est dur, sans concession, comme la prose d’un Céline. Mahler est à la fois populaire, proche de son auditoire, et pourtant le fond de sa pensée est si abstrait, si complexe que toute première lecture est déroutante, paraît décousue, un labyrinthe. C’est pourquoi le public est généralement très averti voire initié. Bruckner dans son grand hermétisme ne comporte pas cette difficulté, on ne le comprend pas toujours, mais on le ressent. Mahler, plus mondain, nous donne l’impression qu’on le comprenne, mais l’essentiel reste voilé. Janowski, avec sa force prophétique, tient le fil d’Ariane, initie quiconque. 

Mahler dans cette symphonie propose des thèmes d’envolées et d’espoirs (qui peut oublier les fanfares de trompettes en coulisse ?), bâtis sur un format post-wagnérien. Ses harmonies mouvantes pleines de retards suaves, -qu’il partage avec Richard Strauss - comme dans le second mouvement paisible ( ces harpes !), annoncent la pâte mélodique qui lui donnera sa renommée mondiale auprès  de la masse et dont abusera toute une armée de compositeurs américains après la guerre pour faire couler les larmes. Mais ils ne seront que de pâles larmes : comment imiter le frisson du message de l’Ange (attendu depuis plus d’une heure d’orchestre), marmoréennement chanté par la mezzo-soprano Iris Vermillion : timbre splendide, profond, sonore, technique souveraine et sans détours pour imposer ses volontés expressives. Ce frisson de paix sera amplifié par vingt nouvelles minutes terrifiantes d’orchestre avant que le chœur , la mezzo-soprano et la soprano Ruth Ziesack dans un texte édifiant arrachent la foi et la volonté à la lutte de l’orchestre.

Mahler a le génie de trouver des sons nouveaux, des spatialisations extraordinaires, cinglantes, modernes. Ils sont nombreux les passages de cette symphonie que Chostakovitch va plagier presque notes pour notes, registre pour registre : et pourtant chez Chostakovitch l’effet est plus direct, le discours plus concis, l’élève semble dans sa leçon de dire un message dépasser le maître en matière d’impact sur l’auditoire.

C’est une question de goût mais aussi d’habitude : il faudrait écouter en concert au moins trois fois cette symphonie de presque deux heures, puis y retourner encore et encore, pour comprendre tout ce qu’elle a donné à la musique du XX ème siècle : son message personnel à l’humanité et la force d’un compositeur qui, comme l’on fait Beethoven, Hugo, Dostoïevsky… s’élève au niveau d’un engagement philosophique à travers l’art. Inoubliable concert qui fut marque aussi le lancement de la saison événementiel des 150 ans de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.
   
Monaco. Grimaldi Forum, le 30 septembre 2006. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°2 "Résurrection"Iris Vermillion, soprano. Ruth Ziesak, mezzo. Rundfunkchor Berlin.Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Marek Janowski, direction.

 

Monaco. Grimaldi Forum : Concert Gustav Mahler.


Monaco, Forum Grimaldi, 30 septembre 2006. Pour les 150 ans de Monaco, un début plus que brillant à la « Marek Janowski » : une 2ème Symphonie de Mahler avec l’orchestre au complet et le Rundfunkchor de Berlin, plusieurs fois habituer du forum Grimaldi.Quand une interprétation est si magistralement pensée, menée, que chaque impulsion artistique est issue de l’architecture d’un cerveau redoutable (redoutable pour les chefs jaloux), la critique ne peut qu’avoir peur : que dire quand tout est parfait, fort et intense ? Son enthousiasme !

Peu de chefs savent mener la narration de Mahler. Beaucoup d’orchestres craquent, couinent sous le poids des cuivres. Ici la lecture est impeccable et c’est sur Mahler que les réflexions surgissent :, encore une fois preuve que Marek Janowski réfléchit et fait réfléchir sur ce qu’il interprète. L’essence première de ce compositeur, que nous montre Janowski, est sa force épique, Malheur parle, tel un aède, il raconte une épopée qui lutte pour acquérir la lumière : certes, tous les commentaires de l’œuvre le disent, mais notre chef le fait ressentir pour chaque auditeur. 

Mahler prend du temps pour parler, il est comme Balzac (ou plutôt Zola) : Le trivial, le banal, le folklore trouvent leur place dans un message narratif sublime au-dessus  des considérations esthétiques, ils sont même des moyens pour atteindre le sublime, celui qui parle de l’expérience de la vie tout simplement (lire notre présentation de la deuxième Symphonie de Mahler). C’est là un héritage de Beethoven et de Wagner, c’est une leçon que retiendra Chostakovitch, et cela est dur, sans concession, comme la prose d’un Céline. Mahler est à la fois populaire, proche de son auditoire, et pourtant le fond de sa pensée est si abstrait, si complexe que toute première lecture est déroutante, paraît décousue, un labyrinthe. C’est pourquoi le public est généralement très averti voire initié. Bruckner dans son grand hermétisme ne comporte pas cette difficulté, on ne le comprend pas toujours, mais on le ressent. Mahler, plus mondain, nous donne l’impression qu’on le comprenne, mais l’essentiel reste voilé. Janowski, avec sa force prophétique, tient le fil d’Ariane, initie quiconque. 

Mahler dans cette symphonie propose des thèmes d’envolées et d’espoirs (qui peut oublier les fanfares de trompettes en coulisse ?), bâtis sur un format post-wagnérien. Ses harmonies mouvantes pleines de retards suaves, -qu’il partage avec Richard Strauss - comme dans le second mouvement paisible ( ces harpes !), annoncent la pâte mélodique qui lui donnera sa renommée mondiale auprès  de la masse et dont abusera toute une armée de compositeurs américains après la guerre pour faire couler les larmes. Mais ils ne seront que de pâles larmes : comment imiter le frisson du message de l’Ange (attendu depuis plus d’une heure d’orchestre), marmoréennement chanté par la mezzo-soprano Iris Vermillion : timbre splendide, profond, sonore, technique souveraine et sans détours pour imposer ses volontés expressives. Ce frisson de paix sera amplifié par vingt nouvelles minutes terrifiantes d’orchestre avant que le chœur , la mezzo-soprano et la soprano Ruth Ziesack dans un texte édifiant arrachent la foi et la volonté à la lutte de l’orchestre.

Mahler a le génie de trouver des sons nouveaux, des spatialisations extraordinaires, cinglantes, modernes. Ils sont nombreux les passages de cette symphonie que Chostakovitch va plagier presque notes pour notes, registre pour registre : et pourtant chez Chostakovitch l’effet est plus direct, le discours plus concis, l’élève semble dans sa leçon de dire un message dépasser le maître en matière d’impact sur l’auditoire.

C’est une question de goût mais aussi d’habitude : il faudrait écouter en concert au moins trois fois cette symphonie de presque deux heures, puis y retourner encore et encore, pour comprendre tout ce qu’elle a donné à la musique du XX ème siècle : son message personnel à l’humanité et la force d’un compositeur qui, comme l’on fait Beethoven, Hugo, Dostoïevsky… s’élève au niveau d’un engagement philosophique à travers l’art. Inoubliable concert qui fut marque aussi le lancement de la saison événementiel des 150 ans de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.
   
Monaco. Grimaldi Forum, le 30 septembre 2006. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°2 "Résurrection"Iris Vermillion, soprano. Ruth Ziesak, mezzo. Rundfunkchor Berlin.Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Marek Janowski, direction.

 

lundi 9 octobre 2006

Concert au Zoo de Saint-Jean Cap Ferrat


Concert au Zoo de Saint-Jean-Cap-Ferrat pour les enfants ; « pour charmer nos cinq sens laissons la parole au Maître Saint-Saëns » dit la comédienne Sabine Venaruzzo qui interprète le texte de Francis Blanche, tandis que les musiciens sous leurs masques d’animaux, rivalisent d’interprétation théâtrale. 

Ce Zoo enchanteur est un rêve d’enfant mais aussi une douleur
. Cinq sens …. avec l’odorat déjà plongé dans un autre monde au Zoo ; avec le goût, celui des plats incroyables servis à la fin du concert, sous l'aile généreuse, autoritaire et artiste, de la directrice du Zoo ; avec l’ouïe, par les révoltes régulières des perroquets et des lémuriens qui répondent à la musique ; avec la vue sur ce jardin foisonnant, ancien lac du roi des Belges, transformé en enclos pour zèbres, loutres, chèvres et flamants roses ; avec le toucher enfin, grâce à la fascination des mains des instrumentistes et l’envie qu’ont toujours les petits de toucher les animaux. 

Mais les animaux sont lassés des paparazzi, les tigres derrière leur vitre, hautainement, méprisent l’humain qui les prive d’espaces à parcourir ; les loutres dorment collées les unes aux autres ; l’ours plonge son postérieur et sa tête dans l’eau pour supporter la chaleur. Malgré l’humanité de la patronne, son amour pour les nouveaux nés de son zoo (l’année dernière une tigresse sauvée par un sevrage au biberon, cette année deux zèbres), les efforts pour préserver les espèces, malgré le rêve et la tendresse, il fait peine de voir une prison dorée. Heureusement quelques inséparables ont fait une belle colonie au Cap-Ferrat et à Beaulieu-sur-mer, les ibis, tout en revenant chez eux au parc, aiment visiter la colline entière dans une semi liberté. La nature prend le dessus et « Jurassic Park » nous guète au détour d’une forêt, nous qui voulons brimer la planète Terre.

Quel sens de l’humour ! Devant plusieurs enfants émerveillés, dont une petite, habillée en fée puisque c’est le carnaval, notre actrice Sabine, dans une robe « arte », force l’indiscipline des parents et nous parle du jardin enchanté. C’est autant  le monde de « Casimir » de notre enfance télévisuelle que celui de Saint-Saëns : c’est l’ « Île aux enfants ». Reconnaissons que notre pays a une belle tradition dans la littérature musicale pour l’enfance, il n’y a guère que les russes (Pierre et le Loup, L’histoire du soldat, donnés l’année passée ici même) et Janacek (la petite Renarde rusée) qui rivalisent, encore que leur œuvres parfois ont une double lecture philosophique. Sans compter le côté parodique et satyrique bien français de ce « Carnaval des Animaux », qui échappe aux enfants, mais qui rappelle aux initiés, historiens, musiciens ou simplement amateurs, les luttes artistiques de l’époque (Saint-Saëns lui-même s’est représenté dans les fossiles). Autant de clés à décrypter sous l'apparente bonhommie du texte et de la musique, qui donnent un sel incomparable à cette partition jouée à l'heure du goûter. Pour les enfants, on a omis la pièce « les pianistes » (il faut deux pianos) qui se moque des interprètes, épinglés comme bêtes de cirque.

Francis Blanche, dans son texte accompagnant l’œuvre, ne recule devant aucun lieu commun pour faire rire. Sa parole serait-elle un peu vieillotte pour les enfants d’aujourd’hui ? Ne nous avançons pas trop, nous autres adultes, trouvons certainement plus compliqué ce que les enfants plus intelligents que nous comprennent quand ils sont captés par le visage illuminé de l’actrice. 

Une œuvre merveilleuse portée par des bêtes de scène.
 Ce carnaval des animaux, qu’il est fané sur le papier, dans les transcriptions pour piano seul, qu’il donne l’apparence des pacotilles usées ! Mais qu’il est vivant dès que les interprètes font surgir ses petits trésors, donnés d’abord en concert privé pour Liszt et que Saint-Saëns hésitait à livrer à la publication. Chef-d’œuvre de la musique française, ce rêve liquide des poissons dans l’aquarium imité par le piano et les cordes rêveuses ; perle, la douce mélodie du Cygne ; merveilles, la bonne humeur des fossiles et l’embonpoint des éléphants (dessiné par le basson), et la mélancolie du coucou et le duel entre le violon et l’alto qui imitent l’âne (animal que l’on craint toujours un peu) , et les tortues qui dansent lentement le « french cancan » d’Offenbach « sur le rythme de Jean-Sébastien Bach » …  Tout cela est joué par des jeunes interprètes qui ne se prennent pas au sérieux, qui s’amusent à bondir derrière le comptoir du bar du Zoo pour se présenter aux enfants. Nos musiciens semblent issus de "l’Enfant et les sortilèges" de Ravel. Tout le monde s'entend à dominer avec bonne humeur, l’acoustique difficile, couverte par les cris des animaux. 

Mais parlons des animaux : Pascal Oddon, le violon ou iguanodon, joue à l’âne avec son masque de singe. Il transmet une part de son caractère quotidien qui est d’un grand comique. Son jeu est souple et taquin. Anne-Aurore Anstett, tantôt lugubre, du son grave de son alto plane sur nos têtes comme un ptérodactyle ou bien galope comme un hémiole : « un hémiole est un cheval, des hémioles sont des chevaux (…), ils ont leur placent dans notre carnaval comme dans tous les carnavaux » - « Oh ! » hurlent tous les musiciens devant la faute de grammaire si attendue… Patrick Langot, le violoncelle, avec son masque de Zèbre (c’est son vrai caractère !) serait-il un plésiosaure qui nage profondément dans les océans de l’ère tertiaire (les fossiles en effet sont venus respirer au Zoo « l’air quaternaire ») ? Non c’est un cygne très émouvant ! « Sur les lacs profonds et calmes, le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes » : c’est là notre commentaire pour cette interprétation en citant un poème de Sully Prud’homme, aussi sublime que la musique de Saint-Saëns. Laurent Bienvenu à la clarinette, est un coucou mélancolique et tout le monde se cache derrière ses mains pour montrer furtivement le visage à chaque « coucou ». Cécile Cottin à la flûte, allonge hors de l’eau le long cou de l’Elasmosaure qui veut dévorer le ptérodayctile au-dessus de sa tête. Naturellement, elle jubile comme un oiseau (quelle beauté cette pièce « volière » qui imite le froissement des ailes avec les cordes et le chant des becs avec les vents !). Guillaume Deshayes est un « pikachou », pardon, c’est une erreur : un coq, tandis que les cordes lui répondent par une extraordinaire imitation des poules. Jessica Rouault, le basson est un brontosaure solide, un éléphant joyeux. Il s’en faut de peu qu’elle provoque le même carambolage de brontosaures que celui du film « King-Kong » : heureusement, sa virtuosité est sans faille ! Romain David est un poisson vif et délicat mais certainement pas un « claviosaure », suivant l’allusion de Francis Blanche à la dimension satyrique de la musique de Saint-Saëns.

Tout cela est illustré version manga (le hautboïste s’était échappé de ces illustrations dans notre commentaire) par l’assoc’piquante (http://www.lassocpiquante.com), jeune collectif de dessinateurs et de plasticiens dont les techniques fraîches et pimentées, offraient aux enfants, les collages astucieux pour les masques de cette ménagerie humaine et animale. Il s’agit d'illustratrices dont plusieurs parlent le langage des sourds et des muets. Le Zoo, séduit par le « Pierre et le Loup » donné l’année passé dans le cadre du même festival, multiplie désormais les activités alliant musique, peinture, gastronomie, comme à Pâques les œufs et à Halloween les citrouilles, sans compter les conteurs pour enfants qui sont légions,  en région Paca. 

Tout est beau, tout est charmant, tout est féerique, « c’est l’île aux enfants, que c’est un paradis ! ». Vivement l’année prochaine.

Festival de musique de chambre de Beaulieu-sur-mer Saint-Jean-Cap-Ferrat, le 9 août 2006. Camille Saint-Saëns (1835-1921) :Le carnaval des animaux.