Un chef d'oeuvre de l'humanité
L'oeuvre de Mendelssohn commencée à l'âge de 17 ans est très émouvante à entendre car elle fait partie des monuments de l'humanité : en elle la sève de Beethoven devenu miel dans le prisme spontané de l'enfance, en elle le futur des couleurs orchestrales de Mahler lui-même. Chaque phrase est inscrite dans notre mémoire collective à l'image de ce thème pastoral plein de tendresse aux violons qui toujours, in extremis, par surprise, vient nous caresser : (en mi majeur : mi ré do si la sol fa sol la sol, si mi, si mi...) il est l'image musicale parfaite du retour des elfes et de la nuit à la fin de l'oeuvre de Shakespeare.
Un chorégraphe doué mais une chorégraphie en devenir
C'est au chorégraphe Gaël Domenger qu'a été confié de faire en danse le pendant de l'opéra de Britten dans la saison de Nice. Ce jeune homme est versé en connaissances philosophiques et met en valeur les forces telluriques et célestes présentes dans l'oeuvre de Shakespeare : "célébrations de la végétation","signe de Maïa, déesse latine de la fécondité", "rencontre de la mythologie gréco-latine et des légendes celtiques et scandinaves"... Cet intellectualisme se traduit par une redoutable gestique - c'est son style - faite de désarticulation, de bras devenant jambes et à laquelle on peut reprocher de ne pas entrer dans le texte lui même de Shakespeare, se contentant d'en faire un commentaire thématique.
Il y eu de très beaux moments cependant, notamment les quatre couples se retrouvant sous la musique du mouvement lent de la symphonie de Schumann, "notturno", ou encore le duo sensuel de Tytania et de Bottom, l'âne. D'autres moments ne nous sont pas parvenus en leur totalité par l'absence d'un des danseurs accidenté : ce qui réduisit le trio comique des acteurs athéniens en duo. Cela fut dommageable pour la "danse Bergamasque", mythique moment de la pièce de Shakespeare, qui inspira à Mendelssohn une musique géniale et pour laquelle on attendait une chorégraphie hors norme. Enfin la rigueur statique choisie pour la célèbre marche nuptiale nous a paru à contre sens des développements fluides des couplets de l'orchestre.
Belle intuition de mêler la symphonie du "Printemps" de Schumann à l'oeuvre de Mendelssohn
Là où le chorégraphe a fait le plus personnellement montre de sa sensibilité : son utilisation de la symphonie dite du "Printemps" de Robert Schumann. Dispersée tout le long de la représentation pour chorégraphier ce qui était parties théâtrales parlées dans l'oeuvre de Mendelssohn, cette symphonie à une puissante dialectique narrative toute appropriée au sujet : elle oppose de grands thèmes martiaux (telluriques) à des passages plus souples (célestes) et permet des rencontres heureuses entre l'orchestre (dirigé de façon claire par Fabrizio Ventura) et l'entrée des couples, notamment quand les cuivres sonnent sur les pas de Theseus (excellent José Ramirez) et Hippolyta.
Des décors prolongeant la magie du "songe" de Britten
L'Opéra de Nice a choisi de réutiliser des décors anciens pour ce spectacle. Il n'y a pas de signature pour ce choix, mais l'on peut penser que Paul-Emile Fourny y a mis son affection toute particulière et le souvenir du travail qu'il a fait avec l'opéra de Britten. Même fond noir ouvert pour exprimer l'échappatoire de la nuit : ici les murs bruts du fond de scène. Même symbolisme moderne : ici des cordes, pendant dans l'enclos d'un cadre blanc suspendu, représentent la forêt (de notre inconscient), parfois lianes, parfois arbres quand à la fin elles sont descendues pour rejoindre le sol. Même symbolisme des couleurs pour les vêtements des couples permettant de comprendre les quiproquos entre les jeunes amoureux, Demetrius, Helena, Lysander, Ermia. On pourrait pousser plus loin en disant que le hasard a fait que l'Obéron, de loin le meilleur danseur du spectacle, Jamaal le Var Phinazee, a été choisi noir pour rappeler que Fabrice Di Falco, métisse, fut celui de l'opéra, et que la blancheur de Magali Journe, peau laiteuse, blonde vénitienne et dont la fluidité des jambes est louable, rappelle la Tytania de l'opéra, Mélanie Boisvert. Le sentiment de prolonger la nuit magique de Britten par l'enchantement de Mendelssohn était total.
Une soprano épousant la féerie de la musique de Mendelssohn
Mais la révélation de la soirée n'est pas chorégraphique ni orchestrale mais vocale, elle s'appelle Liesel Jürgens, soprano. Il y a en effet dans la partition de Mendelssohn deux superbes lieds avec choeur et deux solistes (l'un au moment où Puck prend la fleur enchantée dans le jardin, l'autre conclusif citant le célèbre final de Shakespeare). Les parties solistes furent confiées aux artistes du choeur de Nice. Tandis que la première soliste s'acquittait de sa tâche avec un vibrato bellinien, la seconde, Liesel Jürgens, optant pour une émission de voix plus droite et subtile, montra une souplesse, une musicalité, une perfection des aigus (si charmants dans cette partition) qui sont d'un grand interprète. Toute qualité qu'on lui a trouvé dans ces prestations au festival Manca pour la musique contemporaine et dans la saison de l'ensemble Voxabulaire pour la musique ancienne. C'est à se demander pourquoi une telle voix n'a pas acquis la renommée de son mérite ?
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