Le temps à hélas manqué pour écrire cette chronique, il faut cependant dire qu'entendre Jenufa c'est une des plus extraordinaire expérience artistique d'une vie. Janacek est un immense génie, sa force thématique, musicale, rythmique est incroyable. Il est l'égal de Puccini en maîtrise de la dramaturgie, il est le maître des émotions du spectateur et cela même plusieurs années avant Puccini. D'ailleurs Jenufa dans ses éléments motiviques, surtout pour les attentes, notamment au début du deuxième acte, annonce directement la "fanciulla" de Puccini, jusqu'aux couleurs de l'orchestre.
Du souvenir des deux spectacles, il faut dire qu'avec un plateau moins bon, une mère vocalement fatiguée, un mari criard, peu de moyens scéniques, Toulon est cependant allé directement au fond de l'oeuvre, au coeur de l'expression. Le chef, sans concession et intense, le choix de l'orchestration originale y sont pour beaucoup. Mais les deux personnages que sont Jenufa et la sacristine, sa mère, furent interprétées comme par les plus grandes actrices de théâtre, d'ailleurs il nous a semblé que Jenufa pleurait lors des applaudissements : on peut se douter que le personnage soit fragilisant au point qu'un bon acteur n'en sorte pas lui même ému. Le décor était peut être restreint mais toujours bien venu et l'emprisonnement dans la maison couverte d'icônes répétitives avec seulement une table, était la manière la plus juste d'exprimer la misère de ses gens et d'aller à l'essence du drame, à l'unité d'action, de lieu, à la force primale et populaire de toute grande tragédie à laquelle a droit plus que toute autre l'histoire de Jenufa.
Avec l'orchestre de luxe qui se devait de jouer la version réorchestrée richement, une beauté de son et de jeu propre aux intrumentistes de Monte-carlo, un plateau d'une beauté vocale incroyable, des costumes de couleurs si calculés que chaque scène formait un tableau de maître, la production monégasque n'a pas égalé celle de Toulon. Le chef ici aussi était déterminant, sa dynamique étant si molle (la faute à l'orchestration non Janacekienne ?). La gestique scénique était avant tout fautive à l'opposé même de ce que la psychologie des personnages exprimait, il faut condamner ces manies de faire l'attirance et la répulsion sans significations réelles, comme un tic de théâtre préconçu. Certes, certains gestes de ce théâtre de Nau, comme une Jenufa traumatisée faisant frémir son visage sous la main à la manière des aliénés d'hôpitaux, ne sont pas sans effet, mais le résultat est une difficulté des chanteurs à s'investir. D'ailleurs de la générale à la dernière, les chanteurs se sont lâchés, ont abandonné certaines contraintes et c'était beaucoup mieux au point qu'à la fin le vrai drame est réapparu de lui-même.
On ne peut s'empêcher de faire ce bon mot, certainement excessif : à Toulon c'était un piano de gamme moyenne joué par un grand artiste inspiré, à Monaco c'était un bösendorfer joué par un artiste plus contraint.
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