Dans ces "jeux" il y a le geste, l'art concret, l'initiation pédagogique, du donner à comprendre aux enfants, mais non pas du donner à entendre à l'auditeur. Cela peut sembler excessif comme jugement, car il y a bien un travail d'écoute sur la résonnance, sur l'appréhension du temps, mais ce travail reste d'éveil pour un jeune exécutant auditeur de soi-même et non pour un public. Tout concert consacré aux "jeux" de Kurtag est voué à l'échec car il sort du but pédagogique de l'oeuvre sans atteindre aucun but expressif, d'ailleurs non recherché par l'auteur. Ne dites pas qu'un concert ne doit pas être expressif, il l'est toujours si du moins il montre de la beauté ou de la construction intellectuelle riche et dirigée du commencement à la fin, de la variété, des moments d'attente, des moments de surprise, s'il joue sur l'attention de l'auditeur, habite son temps psychologique. Mais s'il est monocorde, répétitif, pédagogique en un mot, est-ce un concert ?
Or cette oeuvre n'a comme seule qualité que son excellence pédagogique. A un moment donné de l'histoire mondiale du corpus didactique pianistique, sur les pas des portes ouvertes par Bartok, Kurtag y obtient le droit à élever en oeuvre d'art le geste aléatoire le plus banal, exactement de la même façon qu'un peintre concret reconnu a le droit d'élever en art les rythmes minima d'angles répétés de façons aléatoires ou de gestes de la vie quotidienne. C'est la position historique d'être un pionnier qui donne ce droit, toute personne faisant le même geste après lui sera blâmé de redite, à moins qu'elle est fait preuve officielle auparavant d'un cursus artistique accompli, difficile et allant vers la simplification, vers la mise en exergue du banal. C'est la carrière d'un artiste qui justifie l'intrusion de la banalité dans son oeuvre mais la banalité ne montre pas d'explication en elle-même sans le support de la carrière, la banalité n'est pas signifiante.
Kurtag mérite parce qu'il est un des premiers à élever en art ce petit geste de plaquer, par exemple, des closters dans le même mouvement que le début du concerto de Tchaïkovsky. Tous les petits qui font cela d'eux-même pour s'amuser ne sont pas des Kurtag, parce que leur jeu n'est pas inscrit sur le papier et restitué publiquement dans l'histoire de l'humanité, leur banalité n'est pas signifiante. C'est la même situation que lorsque Duchamps décide le premier à transcender un cabinet de toilette en oeuvre d'art. Ce seul cabinet mérite sa place de totem symbolique dans l'histoire humaine et pas un autre, sa banalité aussi ne serait pas signifiante. Pourtant Kurtag n'est pas le seul à avoir joué sur l'aléatoire à cette époque et son sens du théâtre n'aura jamais la subtilité d'un Bussotti qui reste musique même dans le pur rythme du jeu de scène. C'est dans cette comparaison qu'on trouve la meilleure preuve que les "jeux" ne sont pas pour le concert.
C'est pourquoi lorsque les petits élèves de Martine Joste aux Lilas se sont appliquer à jouer leurs découvertes kurtagiennes, l'ennui est vite venu, comme si ce concert ne faisait du bien qu'aux enfants interprètes, en situation de concertiste, en situation de "jeux", comme si le concert était lui-même qu'une pédagogie, mais certainement une souffrance pour le public - et l'on a jugé personnellement qu'il n'y avait que deux pièces et demi de musique, au sens que l'auteur s'y est penché sur une construction aboutissant à une beauté soit formelle, soit émotive. Il est dommage que des réputés pièces de pianos de Kurtag écrites antérieurement aux "jeux" , dit-on, bien plus musicales, rien n'ait été donné : car la mise en situation historique aurait relevé l'opinion des spectateurs, tant tout spectateurs a besoin de repères pour comprendre où il a mit les pieds. Voilà donc comment, hélas, ce jour là, la banalité des "jeux" de Kurtag n'arrivait pas à être signifiante !
L'équilibre du concert n'a pas été restauré par la présence d'une onde martenot magnifiquement jouée puisque le public se réfugie dans les magnifiques harmonies de Messiaen pour mieux repoussé le Gloubi-boulga de Kurtag. Il s'agissait de la version presque originale du mouvement lent du concerto de la fin des temps. Messiaen avait écrit l'oeuvre pour une onde martenot soliste accompagnée d'un quatuor d'ondes pour le plein air; il la réadapte dans le quattuor pour piano et violoncelle soliste; on donne un intermédiaire au concert en remplaçant le violoncelle par l'onde soliste originale. Martenot, violoncelliste voulait un instrument plus puissant que le violoncelle, il adapte les ondes radiophoniques en un instrument dont une main fait l'onde et l'autre le vibrato du violoncelle, l'instrument reste ainsi monodique. Après cet instrument si sensible des années vingt, on a inventé les synthétiseurs, toujours froids et congelés, sans espoir jamais de leur donner de la sensualité. La seule solution pour le synthétiseur, c'est Martenot qui la trouvé bien avant le succès des sons synthétiques, solution qui limite forcément l'instrument à imiter la voix humaine et à perdre sa dimension polyphonique. Au concert l'instrument saturait d'harmonique la salle trop petite pour lui.
Il y avait encore une oeuvre nouvelle pour onde Martenot accompagnée d'un piano 16 ème de ton. La pièce, toute en contre-point, habile et belle, manifeste qu'en langage musical la diminution de l'intervalle est vectrice d'angoisse, de détresse, ce qui renforce le sens de la tierce mineure comme frustration de la résonnance harmonique de la tierce majeure dans l'harmonie classique et aussi la puissance lamentative des modes enharmoniques de la Grèce antique. Là, on ne peut blâmer le programmateur de l'incompréhension du public mais le féliciter de le mettre ne confrontation à l'inconnu et d'apprendre à l'écouter.
Au final c'était un concert difficile, pénible aux oreilles mais qui donnait à méditer beaucoup sur l'histoire de la musique et sur la manière de la présenter. Un concert d'importance, une initiative irremplaçable, même si en ressortant on aurait préféré rester chez soi, il faut attendre longtemps pour en avoir le bénéfice. Mais aujourd'hui, il est important dans mon vécu de spectateur. Potion qui a du bien agir sur d'autres aussi ce jour là.
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