Mallarmé jalousait Wagner et reprochait au musicien de lui voler son art. De même, ressentant profondément dès son enfance qu’une ville d’art, Florence, l’a engendré, Bussotti a vite choisi de mettre tous les arts dans le meilleur pot, celui de la musique. Car c’est un véritable amour physique que le musicien entretien avec son matériau, son appétit dévorateur transforme tout en musique : le dessin et la peinture ont-ils des rythmes qu’il en fait l’élément moteur de son œuvre et leur vole leur part musicale pour la mettre au service de l’oreille reine.Certes oeuvre d’art à mettre en exposition, la page bussottienne avec son impulsion graphique est, avant tout, autant dans l’espace et le temps du son qui se développe que celui de l’œil qui la regarde. C’est ce qui en fait la force et la fascination. Il en est de même pour ce que Bussotti appelle le Théâtre Musical (« Selon Sade »). Les victimes vampirisées par la musique y sont cette fois-ci non plus seulement le graphisme de la partition, mais les éléments de la représentation, parole et corps humain lui-même : « le geste par rapport au son, le son par rapport à l’instrument et au musicien, le musicien par rapport à sa place sur la scène à, ce qu’il a fait et ce qu’il va faire et les changements d’éclairage, le déplacement des décors, etc. », l’œuvre n’est « ni théâtre, ni opéra, ni concert. ». Même pensée à propos du prélude « Solo » : « ce n’est pas encore du théâtre, de la musique, de la littérature, ou une conférence, une pantomime, du cinéma ou une peinture vivante, un tableau de l’opéra ou du ballet. Ce n’est pas tout cela, pas encore. Mais cela le deviendra. ». Maurice Fleuret qui a fait une analyse très fine de l’œuvre de Bussotti, résume le syncrétisme bussottien : « Bussotti entend cultiver la musique en étroite liaison avec les arts du signe, de la couleur, de la lumière, du geste et de la parole – de l’écriture comme de l’action en somme. » Ainsi en étant musicien, Bussotti est-il tout naturellement aussi poète, plasticien, auteur de films, metteur en scène, décorateur…
A la manière de Thyeste, son discours musical vous assimile tout entier en faisant appel à tous les sens et jusqu’au corps. Ogre, Bussotti l’est, tel Wagner, mais dans une italianité pure inscrite dans l’idéal de l’humanisme renaissant. L’écoute de ses œuvres vous saisit et le geste théâtral est dans chaque phrase. Citons encore Maurice Fleuret : « Tout dans le détail est animé d’un souffle frémissant, d’une vibration intime et pathétique, au point qu’on croirait une musique d’états d’âme. Le compositeur y parvient par le biais d’une écriture tout à fait personnelle qui unit le graphisme le plus imagé à la notation post-weberienne la plus précise et la plus raffinée. ». L’œuvre d’une fantaisie extrême et d’une profondeur qui contraste avec l’esthétisme froid de tant de compositeurs actuels, vous engloutit définitivement lorsque vous y êtes entré, car il ne s’agit pas de pièces différentes, mais d’une seule et même faite d’un système complexe de symboles, né de la précédente, faisant corps avec la suivante et se renouvelant bientôt en réinterprétant, amplifiant des œuvres du passé. Passez une porte et vous êtes déjà dans la maison toute entière. Souvent d’une petite page (Foglio d’album) naissent des monstres de monumentalité, tout déborde enfin dans une générosité extrême et la feuille ne suffira jamais pour satisfaire l’art qui coule de la main du compositeur comme la peinture coule sur les toiles d’un Picasso insatiable de création. « Qu’on le veuille ou non, dit encore Maurice Fleuret, on est contraint au recul, jusqu’à embrasser la totalité du paysage bussottien dans son évolution perpétuelle ».
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