jeudi 27 juillet 2006

Petite répétition et bref entretien avec J-P. Brosse


Paris, début juillet 2006. Deux grands musiciens, le ténor Hervé Lamy et le claveciniste-organiste Jean-Patrice Brosse, jouent la complicité dans un programme conçu autour de la figure mariale. Envoyé spécial pour classiquenews.com, Cédric Costantino assiste à la répétition à Paris, interroge les artistes sur leur récital, programmé le 26 juillet au festival de l'Escarène.

Répétition. Plongez vous, devant la Seine, dans le décor feutré d’une maison parisienne du XVII ème siècle, clavecins et orgue de salon. Là, Hervé Lamy, alias « Orfeo », tout azimut,  chante « Beata Viscera » de Pérotin, scintillante et vive sculpture sonore gothique, accompagnée à la quinte sur l’orgue par Jean-Patrice Brosse. C’est dit-il en ouverture d’un concert qui va balayer plusieurs siècles et parcourir la France et l’Italie ; voilà qui montre, qu’au Moyen-âge, avant l’arrivée de l’Humanisme, la beauté musicale était un reflet de la beauté de Dieu, alors qu’au temps de Monteverdi la musique acceptait des éléments de douleur musicale (laideur pour les réfractaires à cette révolution) comme l’expression de l’homme qui parle à Dieu. Ainsi l’auditeur sera préparé aux pièces montéverdiennes et baroques. 

Puis Jean-Patrice Brosse se met à jouer seul : un magnifique « prélude sur chacun ton d’Attaingnant » (éditeur parisien au temps de François Ier). A Paris, sur le son étouffé de l’orgue de chambre, le jeu fin du musicien attend le moment pour déployer des splendeurs religieuses sur l’orgue Grinda de l’Escarène véritable petite merveille et rare témoignage de l’art de la facture française au XVIII ème siècle en Ligurie (Côte-Azur en France) pays de transition. Le prélude passionne par toutes les amorces des futurs genres organistiques mais aussi, curieusement des préludes non mesurés de luth et de clavecin. Tout est toujours plus profondément ancien et ancré dans des traditions oubliées. 

Puis ce ne sont que des merveilles comme les joyeux ballets de Picchi et divers virtuoses. Un jeu vocale ouvre la section XVII ème siècle italien du concert : le « Ricercare » de Frescobaldi à quatre voix manuelles et une cinquième chantée (Frescobaldi était ténor), non écrite sur la partition mais à trouver comme un jeu d’esprit : à l’interprète de choisir les possibilités de contrepoint. Cela amuse Hervé Lamy qui refuse d’être interviewé en prétendant qu’ « il est connu que les ténors n’ont qu’un neurone et qu’il faut laisser parler les gens qui savent, c’est à dire les instrumentistes ».

Bref entretien avec Jean-Patrice Brosse à mi parcours de la répétition.

Comment vous vous êtes rencontrés ?

Au Chœur grégorien de Paris, au Val de Grâce. Hervé est soliste de ce chœur. Dans cette formation nous avons enregistré pas mal d’œuvres ensemble comme les messes de Couperin. Pour ce concert, c’est une prospection de mon association du « Siècle des lumières » qui en a fait l’heureuse fortune. Roger Baraya y a répondu pour le festival de musique ancienne de l’Escarène, il s’est montré satisfait du programme qui va du Moyen-âge (très présent dans sa programmation) jusqu’au milieu du XVIII ème siècle (répertoire très adapté à l’orgue) avec dans notre partie française : Balbastre et le très beau « Salve Regina » de Campra

Hervé Lamy précise : il y a aussi le XVII ème avec  deux petites pièces de Charpentier pour la vierge et le « In lectulo meo » de Henri Dumont sur un texte du Cantique des Cantiques qui représente les noces symboliques de la Vierge. J’aime ce motet poignant, entre la musique italienne et française, avec des effets d’écho. Et puis la grande partie consacrée à Monteverdi, juste après la partie Moyen-âge et avant la partie française. Je chante un autre texte du cantique des Cantiques le « Nigra sum » du Vespro, puis le « Salve o Regina », et cette pièce que je m’accapare honteusement, mais tellement belle qu’il faut s’en donner le droit : « il pianto della Madonna ». Ce lamento reprend celui d’Ariane délaissée par Thésée dans l’opéra aujourd’hui perdu, mais avec des paroles de la Madone au pied de la Croix : « O Teseo » devient « Mi Iesu ».


Jean-Patrice Brosse, vous vous êtes spécialisé, en entendant vos nombreux enregistrements, dans le répertoire XVIII ème siècle, mais à vous entendre jouer Attaingnant, c’est un plaisir pour vous les sources du clavier ?

Mais j’ai commencé par ce répertoire, autrefois j’étais claveciniste et organiste pour l’Ensemble Polyphonique de Charles Ravier à la Radio. L’Ars Antiqua fut mon pain de jeunesse. Très jeune je naviguais dans Monteverdi et le courant de la vie m’a fait abandonner ce répertoire pour les Lumières. C’est étrange parce que la Renaissance est fondamentale et c’est presque ce que je préfère le plus au monde : ce Picchi est jubilatoire…


Comment votre association est-elle née?

C’est la passion pour la recherche. Pour approfondir pour éditer des fac-similés, récupérer des fonds, la structure de l’association s’est imposée. Les partitions chez Fuzeau, les disques chez Verany sur le XVIII ème siècle et le livre sur le Clavecin des Lumières sont financés par l’association.


La recherche est votre grande passion ?

Oui plus que le grand répertoire, c’est le répertoire à découvrir qui m’attire. Même pour les livres que je recherche, les éditions anciennes m’intéressent. Par exemple j’ai trouvé un écrit de 500 pages rien que sur la vie de la grande Demoiselle. Je me suis régalé avec les manuscrits de Balbastre inédits et dont j’ai fait juste maintenant un enregistrement qui est au montage. Je me suis amusé avec les « amusements du Parnasses » de Corrette qui sont en réalité plus nombreux que le livre I (le livre VIII n’a jamais était retrouvé) et restent encore peu accessibles.


Et dans le XVIII ème siècle des Lumières, quel est votre compositeur favori ?

Celui toujours que je travaille, c’est changeant ! Duphly, Armand-Louis Couperin – merveilleux, d’un raffinement extraordinaire : il y a chez lui une fantaisie, et pour la main un geste souple et délié, une allure incroyable, très aristocratique. Son oncle lui a fait beaucoup d’ombre comme il en a fait à son propre oncle, Louis l’ancien. Simon c’est très joli ! Il y a les femmes, charmantes et délicieuses, comme  la femme de l’architecte Victor Louis (grand théâtre de Bordeaux) qui édita une quantité énorme de sonates en 1780, dernières expressions du clavecin.


Et Marie-Antoinette ?

Charmante et délicieuse aussi surtout son air « Si parfois de votre village » que j’ai fait tout récemment avec Marie-Christine Barreau

Nous avons profité, ajoute Hervé Lamy, des possibilités limitées de l’orgue XVIII ème de l’Escarène (somptueux au demeurant) pour délaisser l’habituel répertoire des suites de Magnificat en alternance (grégorien et orgue) et découper plutôt une magnifique chaconne de Louis Couperin en sol mineur. C’est un jeu et la qualité de la musique se prête à proposer au public une alternance en miniature. Cela permet à Hervé Lamy de chanter entre les belles phrases abruptes et graves du premier des Couperin, un grégorien sombre et ornementé. Souplesse, finesse et spiritualité sont sa réputation dans ce répertoire qu’il affectionne. A ces qualités il ajoute plus loin dans le « Pianto della Madonna », la véhémence qui prend son auditeur par la main et le sens de la théâtralité dans la langue latine. Chacun sait d’ailleurs que ce mélange de spiritualité et de virilité vocale, fait tout son charme qui rappelle les cornets symbolisant la guerre et la terre chez Monteverdi, les violons symbolisant l’amour et le ciel. Hervé Lamy ajoute dans sa voix encore ce plus, la poésie, qui dans l’Orfeo, après les cornets et les violons, insuffisants pour attendrir l’Enfer, est symbolisée par la harpe, spirituelle au-delà de l’indicible.

Poignant Dufay. Nous avons gardé pour la fin de la répétition le clou du programme. Une consolation de Dufay (le rapport est symbolique avec Marie dans le programme), le texte poétique est certainement écrit par le compositeur et, nous dit Hervé Lamy, « j’ai tenu à apprendre les trois strophes parce qu’à la fin l’auteur offre « trois chapiaux ». 

Voici le texte intégral de ces trois chapiaux :

I.
Mon chier amy, qu'avés vous empensé
De rettenir en vous merancolie,
Se Dieux vous a un bon amy osté
Et dessevré de vostre compagnie?
Ne mettés pas en abandon la vie;
Priés pour luy, laissiés ce dueil aler;
Car une fois nous fault ce pas passer.

II.
Vous savés bien, contre la volunté
De Jhesucrist, ne la verge Marie,
Nuls hom ne puet, tant soit hault eslevé
De science ne de noble lignie.
Tous convenra fenir, je vous affie;
Il n'i a nul qui en puist eschaper,
Car une fois nous fault [ce pas passer.]

III.
Pour tant vous pri, soiés reconforté
Et recepvés en gré, je vous supplie,
Ces trois chapiaux en don de charitté;
Autre nouvel ne truis en no partie,
Puor remettre vo cuer en chiere lei.
Ne pensés plus a celui recouvrer:
Car une fois [nous fault ce pas passer.]

Envoi
Amis, la mort ne poons eschever;
Car [une fois nous fault ce pas passer.]

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