vendredi 28 juillet 2006

Festival Pablo Casals : Concert Mozart et l’Espagne, avec l’ONCA, orchestre d’Andorre.


Pour fêter l’année Mozart (né 120  ans avant Pablo Casals !), après le feu d’artifice du concert d’ouverture (26 juillet : Brigitte Engerer au piano et i Solisti di Perugia), Michel Lethiec, Directeur Artistique du Festival, choisit affectivement d’unir le divin compositeur autrichien à l’Espagne d’une part, d’une autre à son propre instrument, la clarinette. Michel Lethiec interprète en compagnie de l’Orchestre National de Chambre d’Andorre (ONCA) le concerto pour clarinette en la majeur K 622 ; s’ajoute une messe « Alma redemptoris mater » d’un  compositeur de la même époque, Anselm Viola (1738-1789), attaché au monastère de Montserrat (Catalogne) influencé par Vienne. Une preuve évidente que le style de Mozart dit « viennois » est une stylisation de la manière du grand opéra napolitain, bien présent en Espagne. Toute la magie du concert naît de l’alliance de cette révélation musicale à la chaleur du pays.

Tout n’est que cœur catalan. Qui n’aurait jamais entendu parler del’abbaye de Saint-Michel de Cuxa à qui la révolution et le XIX ème siècle furent fatals ? Lieu mythique qui, dans l’état de ruine, inspira Pablo Casals pour fonder l’un des plus vieux festivals de France (55 ème édition) ? Une tour s’est effondrée, le cloître aux chapiteaux de lions dévoreurs n’est plus que la moitié de lui-même, mais la langue espagnole des musiciens (ils se préparent à répéter) y fait toujours résonner une hautaine paix. L’abbatiale, toute nue et abrasée à l’intérieur, mais avec des arcades mi-byzantines, mi-arabes, semble pleine de la gravité des prêtres qui y ont tantôt célébré un office silencieux. On croirait que le temps n’a dévêtu ce sanctuaire magique de tout luxe décoratif que pour le restituer à son but primordial : mystique. C’est pourquoi, à Cuxa, la musique ne peut jamais se colorer d’autre reflet et le public y vient par milliers parce qu’il revit inconsciemment ce sentiment au travers des concerts laïcs.

Un concerto de Mozart, dédicacé. Expert en tout ce qui fait une école de clarinette – n’est-il pas le professeur du CNSM de Paris et du CNR de Nice en sus d’une éclatante discographie et d’un rayonnement d’interprète mondial ? – agilité, clarté, musicalité, force et douceur, Michel Lethiec n’a pas choisi de montrer la bravoure de son « sotto voce » (filet de voix pianissimo) juste pour l’artifice mais pour la profondeur de l’œuvre écrite dans la maturité, peu de mois avant la mort du compositeur. Et c’est en effet une quintessence à la fois de la rhétorique baroque héritée et du nouveau style galant bâti par ses contemporains. Tout de la joie à l’indicible (mouvement lent) est taillé dans du marbre. Qualité que Mozart n’aura partagée qu’avec Corelli avant lui et qui fait de lui le créateur d’un nouveau classicisme. Dans la répétition, lors du fameux mouvement lent, au moment du conduit qui mène à la reprise du célèbre thème, Michel Lethiec descend dans un silence apte à forger un piédestal au retour de la mélodie. Plein d’humour il s’arrête juste là, se réservant pour le concert… mais l’effet est d’autant plus fort sur les chanteurs du Chœur Leider Càmera (qui chanteront très professionnellement la messe sous la direction de Joseph Vila i Casañas) : ils lui font un public improvisé et l’ovationne en avant scène. Pour les autres mouvements, Michel Lethiec danse, se tourne vers telle et telle partie des pupitres, dialogue. C’est un joyeux tempérament, telle est la force des musiciens qui savent utiliser leur nature dans l’art. 

Mais au concert, Michel Lethiec retient avec peine ces larmes en jouant. Mozart le vainc : il ne se trompe pas sur cette musique qui exprime « autre chose », il sait habiter cette simplicité du sublime. L’admiration du public exprimée, le bis du mouvement immortel est nécessaire en plein milieu du concert : Michel Lethiec, revêtu de ce double statut de Directeur Artistique du Festival et clarinettiste, le dédit au père de Gérard Claret qui fut un grand ami de Pablo Casals. Gérard Claret joue à sa droite, premier violon et chef de l’Orchestre National de Chambre d’Andorre. Les pleurs ne cherchent plus se cacher : c’est pour nous la seconde fois que l’on voit un interprète profondément ému par ce qu’il sert (cf. Agnès Melon, festival Pietre Sonore).

Une messe magnifique éditée par le Père Daniel Codina, Prieur de l’Abbaye Saint-Michel de Cuxa
Pourquoi l’écueil de la confrontation d’une œuvre mineure d’un inconnu avec un chef-d’œuvre n’échoue pas ce soir ? Avant tout grâce à l’extrême qualité de l’écriture d’Anselm Viola, plus haydnien que mozartien ; aussi grâce à une interprétation nette, vive et classique du Chœur Leider Cámera. L’intérêt est toujours relevé par une alternance des effectifs (quatuor soliste et masse chorale) entre le grand motet à la française et les oratorios viennois. Somme toute, une messe comme celle-ci d’un petit compositeur vaut mieux qu’un médiocre essai d’un grand compositeur (cf. la messe de Gloria de Puccini). 

Anselm Viola entra à dix ans dans la prestigieuse Ecole Chorale de Montserrat, toujours en activité aujourd’hui, unique école religieuse qui ait survécu depuis le XIII ème siècle et qui possède un site sur le net  www.escolania.cat. L’abbaye bénédictine du festival lui est religieusement liée.  Anselm Viola fait ses études musicales à Madrid uniquement pour revenir servir son monastère, une trentaine d’année, comme maître de chapelle jusqu’à sa mort. De lui, peu d’œuvres subsistent, autant religieuses que profanes (un concerto, un  villancico).

Naples, Venise, Dresde, Paris, Londres, Vienne, Madrid et Montserrat.On nous a parlé d’un grand attachement du monastère à Haydn et à Vienne. C’est pourtant bien dans la création d’un style international par le biais de la musique de l’Opéra qu’il faut chercher les parentés. Farinelli à la cour de Madrid, comme éminence grise, a imposé en Espagne les styles des Giacomelli et Hasse (que reprennent les auteurs comme Soler et notre Viola) en montant des saisons lyriques, faites des reprises des grandes œuvres métastasiennes jouées au Hollywood de l’époque : le théâtre « Grisostomo » de Venise ; scène sur laquelle il avait triomphé dans sa jeunesse. 


Or dans la messe de Viola, les gigantesques ritournelles introductives des sections, pleines de rythmes lombards, de soupirs, sont galantes à la manière des Jomelli, l’un des derniers grands napolitains. Les duos, avec leurs suaves frottements harmoniques, sont des témoignages d’une étude approfondie du « Stabat Mater » de Pergolesi. Les grandes masses fuguées sont autant proches des grands Requiems, comme celui de Campra, joués au « Concert Spirituel » à Paris à cette époque où, dans toutes les capitales, on commence à mélanger le meilleur de la France au meilleur de l’Italie. Bientôt Graun, Hasse (oratorio de Saint Augustin), Telemann, Haendel, récupèrent cet héritage et forgent un nouveau style. Si Haydn plus tard, entre baroque et romantisme, possède dans son écriture des ressemblances avec cette messe d’un inconnu catalan, c’est que lui aussi reflète les mêmes mélanges, à plus forte raison lorsque l’on songe qu’enfant, il suivait le cercueil de Vivaldi à Vienne et que vieillard, il écoutait, en tant que dédicataire et professeur, les premières sonates de Beethoven.
 
Quant à Mozart, déjà placé par son propre père dans ces mêmes courants, il eut la révélation de son style en découvrant les œuvres de Johann-Christian Bach. Or ce Bach-là, adolescent quand son protestant de père meurt, avait têté au berceau le lait des grands représentants du style galant comme Telemann et Hasse. C’étaient des familiers à la table de Johann Sebastian Bach : « allons écouter, disait le père, la chansonnette de Hasse à l’opéra de Dresde ». Il fit bien vite le voyage en Italie, devint un napolitain et, comme Haendel, finit sa vie à Londres, cité vaincue à la cause italienne. Que Mozart le viennois, fit du style de Johann-Christian Bach de l’or, relève d’un de ces miracles injustes (comme Chopin par rapport à Field) mais salutaires à l’humanité. Il n’en demeure pas moins que l’ « Opéra » fut l’auteur du « style viennois » à Montserrat comme à Londres.     

Festival Pablo Casals, le 28 juillet 2006. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Concerto pour clarinette en la majeur K 622.
Anselm Viola (1738-1798): Messe "Alma redemptoris mater". Michel Lethiec, clarinette. Orchestre National de Chambre d'Andorre.Gérad Claret, direction. Choeur Lieder Camera.Josep Vila i Casanas, direction.Elena Copons, soprano. Marisa Roca, mezzo. Francesc Garrigosa i Massana, ténor. Francesc Javier Comorera Tramuns, baryton.  

 

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