Lundi 10 juillet, concert d'ouverture des Soirées Romantiques du domaine du Rayol, sous les accents du pianiste Dominique Merlet.
Le Rayol est un lieu enchanteur qui se prête aux concerts de musique classique. Domaine idyllique et même utopique : on y est accueilli dans une nature riche et apaisante. La musique, quoique tourmentée, s'élève doucement rapprochant les coeurs, berçant les âmes. Tout y est calme, réconfortant, en face des îles d’Hyères.
Un jardin est une allégorie de la musique.
Venir jusqu'au Rayol, c'est d'abord se délecter d'un lieu dont le miracle est végétal. Kelly Ingargiola, attachée de presse, chargée de mission (concerts) nous accueille avec l’hospitalité varoise et nous dirige dans le jardin, elle nous explique que la propriété est un domaine de l’Etat et fait partie des sites préservés, rattaché au Conservatoire du Littoral. Lisa Bertrand, chargée du suivi scientifique (accueil, pédagogie, communication), tombe d’accord avec nous sur la comparaison avec les jardins Handbury de Vintimille : un grand escalier traverse des immenses jardins pour descendre jusqu’à la mer, une villa joliment décrépite, année trente, est le caisson de résonance du piano. Pour une fois, c’est l’artiste qui bénéficie du panorama sur la mer coupée d’îles enchantées. Kelly nous a quitté ; en marchant, Lisa nous parle des graines méditerranéennes « sensibles au renouveau des incendies, elles ne germent que grillées à la poile » ; notre guide nous montre dans le vallon humide et abrupte, transformé en jardin Néo-Zélandais, des fougères arborescentes qui sont des plantes fossiles ; elle raconte un projet de livre pour enfant sur la préhistoire des plantes : « les enfants retiennent déjà tous les noms des dinosaures... ».
La jeune femme passionnée par son sujet, narre encore la vie du cycas, si vite stressé qu’il passe à l’état de femelle et se fait rare en mâle ! Elle donne la définition de l’arbre, mais aucune caractéristique de l’arbre ne se suffit à elle même, le figuier est une liane mais fait un tronc, le palmier est une herbe... l’arbre est l'union de plusieurs individus, son patrimoine génétique n’est pas le même d’une branche à l’autre. Et l’on s’interroge sur le miracle de la vie, au bord d’une fontaine ombragée, non loin d’un géant boursouflé par son écorce de liège. L’on passe dans les bambouseraies sur le tapis mort des feuilles laissées là pour que le visiteur participe et ne soit pas que spectateur.
De retour de la mer et sa posidonie, un jus de pomme gingembre et un gâteau subtil confirme que l’art du jardin est ici aussi aristocratique et soigneux que celui des châteaux de la Loire : son ordre, sa fragilité, sa fugacité (un rien peu détruire des années de labeur) sont autant de définitions de la musique.
La musique est une réponse à la Nature. Edith Walter, directrice artistique, continue de nous immerger dans cet autre monde en présentant le concert par les paroles même de Chopin et George Sand sur l’île de Majorque où furent composés les 24 préludes de la première partie, ou encore celles de Schumann sur Chopin. Puis, ce sont les vers de Lamartine qui illuminent la « Bénédiction de Dieu dans la solitude » extraite des « Harmonies poétiques et religieuses » que Liszt osa mettre en image sonore dans le filtre du piano et qui parle de la gratitude de l’homme pour la lumière du matin.
Dominique Merlet, en ouvrant le jeu, semble ajouter lui aussi à la simplicité de la Nature : il enchaîne les préludestels les feuilles de l'album schumannien. Il laisse surgir un toucher nu, à peine orné de décalages précieux de la basse et du chant à la manière des clavecinistes. Son jeu parle au coeur. La virtuosité effective ne se jette pas au visage de l’auditeur mais sert l’expression, l’architecture de multiples plans sonores, à peine organistique et soutenue par une pédale très (trop ?) active, emporte l’auditeur dans un voyage... à Majorque peut-être. Quand aux Préludes, ils sont, dans les tonalités diésées, parfois d’inspiration fugitive, tandis que d’autres livrent des chefs-d’oeuvre immortels. Au milieu de l’ouvrage, Chopin, par deux fois, cède à la tentation du long nocturne et s’échappe du cadre qu’il s’est imposé. Ce n’est que dans les rares occasions d’entendre tout le cycle, comme ce soir, que l’ouvrage prend tout son sens, d’hésitations et d’emportements liés à l’amour pour George Sand, malgré la maladie poitrinaire qui débute, autant de moments spécifiques qui « vous charment l’oreille et vous navrent le cœur ».
Un oiseau prophète s’envole dans la nuit. Liszt ce soir, semblait remercier, à n’en pas douter le cadre pour sa beauté, en tout cas l’inspiration du compositeur venait d’une nature comparable au domaine du Rayol. Qu'il est bon d'entendre ici la douceur de la bénédiction et ses immenses crescendos, le rêve d’amour et ses palpitations, les épiques obsessions de la fantaisie et fugue sur Bach, mais aussi – sans signes de fatigue après le B.A.C.H. ! - en face de la lune rousse sur la mer, trois bis tendres comme l’Oiseau Prophète de Schumann qui chantait peut-être du haut d'un eucalyptus, celui qui depuis de nombreuses années dépose sa barbe d’écorce sur le sol, jalousement préservée, grâce à quelques "Eusébius", ces rêveurs à l'âme Schumanienne qui sont les amoureux du beau naturel.
Nul doute que le site du Rayol se prête idéalement à la musique. Et l'on se félicite que les conservateurs ait accepté d'accueillir les grands romantiques, Liszt, Chopin, Schumann, sous les arcs végétaux d'un domaine paradisiaque.
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