mardi 25 juillet 2006

Saint-Maximin. Festival d’Art-Baroque-en-Provence, les 25 et 26 juillet. Hervé Niquet joue Charpentier et Campra.


A Saint-Maximin, Hervé Niquet propose deux programmes opposés, entre jansénisme et « jésuitisme » : la première soirée, austère et élitiste, est consacrée à la « Messe de Port Royal » de Marc-Antoine Charpentier, chantée par les femmes du Vlams Radio Koor. La deuxième soirée, lumineuse, présente un Marc-Antoine Charpentier plus festif et orchestré, avec le Magnificat et le Motet pour la Messe Rouge, chantés par le Concert Spirituel, ainsi que le Requiem  de Campra au propos universel. 

Le Vlaams Radio Koor nous abîme dans les profondeurs de la foi. Le célèbre chœur flamand adopte ses chefs, c’est une alchimie, Niquet fait partie des élus. Le Vlaams Radio Koor se dispose en cercle autour d’Hervé Niquet à l’orgue portatif (une splendeur, à l’oreille quasi XVII ème, de Johan Deblieck). Elles ont à leurs côtés des hautes lampes tamisées, elles sont assises telles les lectrices d’une bibliothèque. Le motet de Danielis qui débute le concert, à deux voix, chanté ainsi par le chœur féminin, est indicible. De ces moments où le seul commentaire est : « il fallait être là pour savoir ». Elles sont souples, font un même trille, professionnalisme ultime. Elles pourraient avoir chanté du grégorien depuis l’enfance … et pourtant elles n’en sont pas spécialistes, puisque la musique contemporaine est leur prédilection. Le son qu’elles produisent, la plénitude de la respiration, la longueur de la résonance, la conduite de la ligne, rappellent la perfection d’un ensemble spécialisé dans l’art médiéval, tel « Dialogos ». 
L’œuvre, « messe de Port Royal », mérite d’être davantage écoutée. 
Cette petite messe n’exigeait pas de donner autant, mais c’est pour Dieu que Charpentier dépasse la beauté commune, comme l’interprétation du Vlaams Radio Koor, nous le rappelle.
Les motets à trois voix de Bouzignac, ajoutés pour compléter le propre de la messe, mais surtout les improvisations de François Saint-Yves, en introductions, en alternances, donnent un visage complet de cette oeuvre. François Saint-Yves, assurément fut l’élève de Jacques Thomelin et Jean Buterne, deux organistes dont on a perdu les œuvres et qui furent les premiers de leur temps (1650-70, temps des maîtres de De Grigny, lyriques et contrapuntistes).

Messe sombre, mais c’est pour Port-Royal : beaucoup d’appelés et peu d’élus à l’écoute de cette tragédie épurée (une messe relate toujours le dernier repas du Christ), exactement dans l’inspiration du passé janséniste du monastère (l’œuvre est de 1687). Charpentier, pourtant futur jésuite, en traduit génialement les aspirations. C’est un Christ sur la Croix, les bras levés très haut, quasi fermés (symbole de l’acceptation de privilégiés à la Grâce de Dieu). 

Le 26 juillet. Le Concert spirituel vibre en échos aux émotions des compositeurs.
 Tout autre chose le lendemain. Le Magnificat en appelle aux humbles, le motet pour une longue offrande à la Messe rouge, avec ses fugues extraordinaires, ses trios asymétriques et théâtraux (à l’opposé de Lully) et surtout le Requiem de Campra, emportent autant le public que les interprètes, dans une émotion généreuse et universelle. Charpentier, élève du jésuite Carissimi, et finissant sa carrière dans cette corporation, en a tout le tempérament altruiste.

Ainsi les chanteurs dans le Requiem, ferment les yeux aux moments précis où le poil de l’auditeur se dresse, point exact où la réception de la beauté devient physique. Hervé Niquet y est sensuel, il y est symbolique lorsqu’il fait le geste du son qui se répand dans la basilique pour diriger la valeur temporelle du silence obtenu. Tout bat d’un même cœur : la basse soliste (un peu moins la taille) mais surtout le ténor à la française, haute-contre, sans compter la soprano remarquable, tous bien plus en forme que l’année passée, font un équilibre parfait ; le premier violon, Alice Pierrot, semble anticiper la volonté du chef par leur symbiose. Le hautboïste réalise impeccablement une partie étrange et modulante chez Campra, presque germanique : où va le compositeur ? Mais il change de tonalité ! magnifique, naturel ! Sans compter le continuo, notamment le violoncelliste,Tormod Dalen, déjà entendu à l’Hôtel de Ville de Tours il y a trois ans (il y cassa son archet, le même qu’au concert de Saint-Maximin), musicien d’une force titanesque et d’une grande beauté de phrasé. Que conclure ? Excellence et émotion. Longue rémanence de l’impact du concert dans les heures qui le suivirent.

Illustrations
Philippe de Champaigne, Ecce Homo
Philippe de Champagne, Vanité
Hervé Niquet, photographie (DR)

 

Aucun commentaire: