mercredi 28 mars 2007

Interview de René Koering à l'occasion de sa mise en scène de la "Veuve Rusée" de Wolf Ferrari à Nice

Pourquoi et comment avez-vous fait cohabiter en vous le créateur et le responsable de grands organismes ?

Que faire quand on commence une carrière de compositeur à l’âge de vingt ans ? Un sondage à l’époque prouvait qu’une seule personne dans la musique savante pouvait en vivre : Olivier Messiaen, les autres montraient des situations aléatoires, même Pierre Boulez ne vivait pas de sa seule composition. Les droits d’auteurs ne suffisaient pas, une commande demandait un à deux ans de travail pour l’équivalent de six mille euros, le compositeur était garant de mourir de faim. Deux solutions se proposaient à l’époque pour vivre : soit devenir chef d’orchestre, soit faire une carrière dans les émissions de radio. Je suis alors rentré à France Musique très jeune pour gagner mon pain. En 1980, Pierre Vozlinsky m’a demandé de devenir directeur de France Musique, en 1985 je fondais le festival de Radio France, je cherchais une ville qui pouvait l’accueillir et ce fut Montpellier où j’habite maintenant. Comment j’ai pu concilier les deux ? Pour vous faire comprendre, je retourne en arrière. Mon premier travail était copiste : calligraphie lisible et esthétique. Je recopiais le matériel d’orchestre et y passais quatre à cinq heures chaque nuit. Je me suis donc fait à un gros travail ! J’y ai beaucoup appris sur ce que faisaient les autres de bon, de moins bon ; puis la confiance qu’on me fit aboutit à des propositions de travail de nègre, compléter telle ou telle orchestration. Dès lors ce métier de copiste devenait pénible, je l’ai quitté pour la radio tout en le recommandant toujours : on y gagne bien sa vie. Aussi à votre question sur la manière de faire cohabiter la composition avec un travail de responsabilité, je réponds par la nécessité et l’habitude.

Comment en êtes-vous venu à la mise en scène ?

J’ai beaucoup travaillé avec Bruno Maderna et j’ai fréquenté nombre de metteurs en scènes talentueux des années soixante et soixante-dix, j’appris beaucoup. Comme directeur de festival à Montpellier, je souffrais régulièrement de ce que certains metteurs en scène dépassaient le budget qui m’était possible de leur allouer, quand bien même je savais, par mon acquis, qu’il leur était possible de ne pas le faire. Ce fut donc là aussi une nécessité qui me poussa vers une carrière si attrayante par ailleurs. La seule chose que je ne fais pas est de mettre en scène mes propres œuvres. J’en fis une fois l’expérience qui eut ce constat : on tourne en rond, s’enferme en soi, réalise l’utilité du regard des autres.

Qu’est-ce qui vous a amené à cet opéra léger repris à Nice ?

J’ai un certain goût pour la comédie. Déjà Zemlisky proposait une comédie florentine, certes assez grinçante ( ?) mais toute empreinte de la tradition. L’âge d’or du théâtre vénitien me fascine et en particulier Goldoni dont la pièce est le livret ici. J’avais fait le disque de cette œuvre avec Marco Guidarini, ce fut un grand succès ; je décidais de la porter à la scène, le chef, par les hasards des programmations, en fut un autre : à charge d’une revanche matérialisée par la présente reprise à Nice.

Vous avez donc trouvé en Goldoni de quoi vous amuser…`

Goldoni est comme Molière, sublime. Sa finesse psychologique, ses situations scéniques… il est une manne pour tout amateur de théâtre. Cette rencontre avec la musique de Wolf Ferrari est une merveille : moitié munichois, moitié vénitien, en ce début de XX ème siècle, il était seul à posséder encore cette légèreté vénitienne qu’exprime le texte. Quoi de plus agréable à mettre en scène ? Voilà une comédie de mœurs au sujet piquant : une dame riche voulant se remarier subit les assiduités de quatre prétendants ; en contrepoint sa camériste française repousse Arlequin, tout en étant très attirée. Amour récalcitrant et couple contradictoire, source de comique. Quant aux quatre prétendants, ils sont déjà, à l’époque de Goldoni, les caricatures actuelles : l’espagnol est arrogant, le français futile, ne s’intéressant qu’à la coiffure, l’anglais distingué mais vrai petit voyou, l’italien séducteur, évidement celui qu’elle va épouser : de tout temps on aimait dire en Italie que l'italien est naturellement supérieur en tout point aux autres ! Je me suis amusé à reproduire ces caractères, je me moque des traits de nos pays, j’y fais vivre le peuple de Venise d’hier et d’aujourd’hui : des nones y côtoient des playmates et ces hommes-statues de la rue qui sont nos saltimbanques modernes. Les décors sont eux-mêmes modernes, avec en fond une grande toile de Francis Bacon. Vous comprenez que je me suis amusé du monde contemporain … Je finirais volontiers par une petite maxime : dès lors que vous voulez amuser les autres, si vous ne vous amusez pas vous même, votre travail rate.

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