Quels sont, pour votre vie créatrice, en partant de l’enfance, vos trois premiers souvenirs ?
Lorsque j’étais tout petit et que j’avais un frère âgé de six ans de plus que moi, j’ai vécu très fortement la sensation qu’il était la toute première incarnation de l’amour vrai. Il m’entourait en effet d’un amour absolument intégral : total. Lors d’une fête de la ville de Florence très courue par les enfants, « la festa del grillo (du grillon) », nous nous rendions au parc de la ville où se vendaient des petites cages pour les enfants, chacune contenant un grillon. Et la rumeur populaire voulait que les grillons mâles chantassent et les femelles point. Mon frère obtint son grillon et moi le mien naturellement. Là dessus, ce fut une crise épouvantable de ma part, car je ne tolérais pas que les deux grillons ne fussent ma pleine et seule possession ! Ce furent des larmes jusqu’au moment où mon frère, avec toute la tendresse que je lui savais, s’est sacrifié pour me le donner. Cela me caractérise fortement et symbolise le fait que je ne serais pas apaisé si je ne possédais pas la littérature, la peinture, la musique, la danse, le théâtre … Inconsciemment, tout cela était déjà dans mon âme à cet âge innocent.
Le souvenir suivant se rapporte à ma fuite de l’Italie. Elle advint…. pas bien longtemps après : une dizaine d’années, à mon adolescence. Je pris un train de nuit pour la France. Il m’amenait à Marseille, ville sur laquelle on avait les plus épouvantables rumeurs : on la figurait comme une sorte de Sodome et Gomorrhe et donc, adolescent, j’y allais dans l’espoir que cela soit vrai car j’avais envie de m’amuser ! Bien au contraire, je trouvais une ville absolument marchande et stupide. Heureusement que quelque aixois vint me chercher et je pus fortuitement assister à l’un des premiers spectacles du Festival d’Aix dans la cour du palais de l’Archevêché.
Par la suite - puisque la fantaisie de mes souvenirs s’est fixée aujourd’hui dans ce mélange des arts, paysages et voyages – je me retrouvais, encore tout jeune, à New York pour la création mondiale d’une très courte oeuvre de musique de chambre au Carnegie Recital Hall. La salle est célèbre car chaque fauteuil porte, inscrit, le nom de celui qui l’a offert, Chaplin, Disney, Rockefeller… Ma composition fut bissée immédiatement, je dirais (modestement) à cause de sa brièveté mais on pourrait penser aussi pour un réel grand succès. J’ai dû moi-même diriger ce bis. Mais la vraie cause de cet engouement était Bernstein ! Au fond de la salle, il criait à tue-tête : « bis ! bis ! bis ! ». On peut comprendre que le public n’avait pas le courage de démentir une claque d’autorité comme celle de Bernstein.
Quels sont vos trois souvenirs les plus récents ?
Des Etats-Unis encore, (cela me vient par association d’idées) une nomination est advenue dans l’âge mûr. J’étais promu chevalier de l’ordre de Mickey Mouse. Ordre un peu spécial car cette nomination dure une vie entière, il n’y a pas d’autre chevalier ou commandeur, chaque fois qu’un commandeur de cet ordre disparaît, on nomme son successeur. Celui qui me précédait, monté au ciel : Jean Cocteau ! C’est en démonstration de cette distinction que souvent j’arbore une veste Mickey Mouse acquise à l’aéroport de Londres.
Toujours dans une date récente, à l’occasion d’une exposition-concert qui a eu lieu au musée d’Orsay à Paris, on créait une œuvre musicale tout en exposant mon travail de peintre à côté des impressionnistes et plus précisément Van Gogh. Ma peinture, fraîche car faite pour l’occasion, est restée dans ce voisinage trois jours. Elle est rentrée chez moi toute pleine de ses souvenirs.
Enfin pour finir je reviens à une impression forte mais cette fois-ci toute récente, elle servira de pendant, je l’espère, à celle que j’ai donnée de mon enfance au début de votre interview : actuellement installé dans la ville de Milan, au dernier étage d’un modeste gratte-ciel, j’observe un paysage d’une chaîne de montagne qui dépasse la Suisse et qui semble cacher Londres, Paris et Berlin. En passant par mon imagination au-dessus de ces crêtes, le son de ces grandes villes européennes rejoint ici, à Milan, une synthèse que je me plais à reconnaître telle que le Bussotti Opera Ballet (BOB), depuis longtemps, oeuvre à la concrétiser.
En ter de l’interview : Aspect autobiographique de l’œuvre « Silvano Sylvano » qui sera interprétée à la salle du Triton en Avril à Paris.
« Silvano Sylvano » trouve son origine également en France. C’était au moment de mes premiers concerts et expositions de partitions graphiques en France. Un quotidien, le Nice Matin, publia quelques articles de Paul Juif. Ce journal avait imprimé mon prénom sous forme d’hybride francisé - quelqu’un dans la rédaction ayant sans doute pensé que cela s’écrivait avec l’ « y » que l’on trouve dans la forme « Sylvain », bien qu’en italien c’est « Silvano ». Cela a donné « Sylvano ». J’en ai souri et je ripostai immédiatement à Monsieur Juif. Lui, avec quelque amicale rhétorique de me répondre : « à votre place je garderais cette variation qui est un très beau symbole typographique d’un homme aux bras ouverts ». J’adoptai donc comme définitive cette graphie dans mon prénom. Récemment dans la rédaction d’une oeuvre à la fois musicale , picturale , littéraire et théâtrale, j’employai ce titre « Silvano Sylvano » pour signaler de façon légère qu’il s’agit d’une sorte d’autobiographie au style extrêmement mobile, varié, promettant des développements futurs. L’oeuvre a été créée avec une version minimale au sens que l’auteur se trouvait tout seul au piano dans une salle comble à Florence. La salle était peut-être comble du fait que tonnait un orage terrible : les gens de passage se réfugiaient dans le théâtre où ils ne s’attendaient pas à’écouter la naissance de cette musique encore neuve et flexible. Successivement l’oeuvre à été présentée dans de nombreux endroits, à la Zarzuela de Madrid notamment, en tant que lever de rideau, avant la création espagnole de la « Passion selon Sade », dans une mise en scène de Rocco Quaglia . Rocco, puisqu’il a dansé plusieurs rôles écrits pour lui, est devenu nouvellement le metteur en scène le plus compétent pour le corpus bussottien. « Silvano Sylvano » sera en France pour la première fois à la salle du Triton à Paris encore une fois interprété par l’auteur. Je désire souligner derechef sa malléabilité : d’un effectif pas très grand mais peuplée de plusieurs formes d’expressions musicales, théâtrales, picturales, elle constitue un work in progress.
Lorsque j’étais tout petit et que j’avais un frère âgé de six ans de plus que moi, j’ai vécu très fortement la sensation qu’il était la toute première incarnation de l’amour vrai. Il m’entourait en effet d’un amour absolument intégral : total. Lors d’une fête de la ville de Florence très courue par les enfants, « la festa del grillo (du grillon) », nous nous rendions au parc de la ville où se vendaient des petites cages pour les enfants, chacune contenant un grillon. Et la rumeur populaire voulait que les grillons mâles chantassent et les femelles point. Mon frère obtint son grillon et moi le mien naturellement. Là dessus, ce fut une crise épouvantable de ma part, car je ne tolérais pas que les deux grillons ne fussent ma pleine et seule possession ! Ce furent des larmes jusqu’au moment où mon frère, avec toute la tendresse que je lui savais, s’est sacrifié pour me le donner. Cela me caractérise fortement et symbolise le fait que je ne serais pas apaisé si je ne possédais pas la littérature, la peinture, la musique, la danse, le théâtre … Inconsciemment, tout cela était déjà dans mon âme à cet âge innocent.
Le souvenir suivant se rapporte à ma fuite de l’Italie. Elle advint…. pas bien longtemps après : une dizaine d’années, à mon adolescence. Je pris un train de nuit pour la France. Il m’amenait à Marseille, ville sur laquelle on avait les plus épouvantables rumeurs : on la figurait comme une sorte de Sodome et Gomorrhe et donc, adolescent, j’y allais dans l’espoir que cela soit vrai car j’avais envie de m’amuser ! Bien au contraire, je trouvais une ville absolument marchande et stupide. Heureusement que quelque aixois vint me chercher et je pus fortuitement assister à l’un des premiers spectacles du Festival d’Aix dans la cour du palais de l’Archevêché.
Par la suite - puisque la fantaisie de mes souvenirs s’est fixée aujourd’hui dans ce mélange des arts, paysages et voyages – je me retrouvais, encore tout jeune, à New York pour la création mondiale d’une très courte oeuvre de musique de chambre au Carnegie Recital Hall. La salle est célèbre car chaque fauteuil porte, inscrit, le nom de celui qui l’a offert, Chaplin, Disney, Rockefeller… Ma composition fut bissée immédiatement, je dirais (modestement) à cause de sa brièveté mais on pourrait penser aussi pour un réel grand succès. J’ai dû moi-même diriger ce bis. Mais la vraie cause de cet engouement était Bernstein ! Au fond de la salle, il criait à tue-tête : « bis ! bis ! bis ! ». On peut comprendre que le public n’avait pas le courage de démentir une claque d’autorité comme celle de Bernstein.
Quels sont vos trois souvenirs les plus récents ?
Des Etats-Unis encore, (cela me vient par association d’idées) une nomination est advenue dans l’âge mûr. J’étais promu chevalier de l’ordre de Mickey Mouse. Ordre un peu spécial car cette nomination dure une vie entière, il n’y a pas d’autre chevalier ou commandeur, chaque fois qu’un commandeur de cet ordre disparaît, on nomme son successeur. Celui qui me précédait, monté au ciel : Jean Cocteau ! C’est en démonstration de cette distinction que souvent j’arbore une veste Mickey Mouse acquise à l’aéroport de Londres.
Toujours dans une date récente, à l’occasion d’une exposition-concert qui a eu lieu au musée d’Orsay à Paris, on créait une œuvre musicale tout en exposant mon travail de peintre à côté des impressionnistes et plus précisément Van Gogh. Ma peinture, fraîche car faite pour l’occasion, est restée dans ce voisinage trois jours. Elle est rentrée chez moi toute pleine de ses souvenirs.
Enfin pour finir je reviens à une impression forte mais cette fois-ci toute récente, elle servira de pendant, je l’espère, à celle que j’ai donnée de mon enfance au début de votre interview : actuellement installé dans la ville de Milan, au dernier étage d’un modeste gratte-ciel, j’observe un paysage d’une chaîne de montagne qui dépasse la Suisse et qui semble cacher Londres, Paris et Berlin. En passant par mon imagination au-dessus de ces crêtes, le son de ces grandes villes européennes rejoint ici, à Milan, une synthèse que je me plais à reconnaître telle que le Bussotti Opera Ballet (BOB), depuis longtemps, oeuvre à la concrétiser.
En ter de l’interview : Aspect autobiographique de l’œuvre « Silvano Sylvano » qui sera interprétée à la salle du Triton en Avril à Paris.
« Silvano Sylvano » trouve son origine également en France. C’était au moment de mes premiers concerts et expositions de partitions graphiques en France. Un quotidien, le Nice Matin, publia quelques articles de Paul Juif. Ce journal avait imprimé mon prénom sous forme d’hybride francisé - quelqu’un dans la rédaction ayant sans doute pensé que cela s’écrivait avec l’ « y » que l’on trouve dans la forme « Sylvain », bien qu’en italien c’est « Silvano ». Cela a donné « Sylvano ». J’en ai souri et je ripostai immédiatement à Monsieur Juif. Lui, avec quelque amicale rhétorique de me répondre : « à votre place je garderais cette variation qui est un très beau symbole typographique d’un homme aux bras ouverts ». J’adoptai donc comme définitive cette graphie dans mon prénom. Récemment dans la rédaction d’une oeuvre à la fois musicale , picturale , littéraire et théâtrale, j’employai ce titre « Silvano Sylvano » pour signaler de façon légère qu’il s’agit d’une sorte d’autobiographie au style extrêmement mobile, varié, promettant des développements futurs. L’oeuvre a été créée avec une version minimale au sens que l’auteur se trouvait tout seul au piano dans une salle comble à Florence. La salle était peut-être comble du fait que tonnait un orage terrible : les gens de passage se réfugiaient dans le théâtre où ils ne s’attendaient pas à’écouter la naissance de cette musique encore neuve et flexible. Successivement l’oeuvre à été présentée dans de nombreux endroits, à la Zarzuela de Madrid notamment, en tant que lever de rideau, avant la création espagnole de la « Passion selon Sade », dans une mise en scène de Rocco Quaglia . Rocco, puisqu’il a dansé plusieurs rôles écrits pour lui, est devenu nouvellement le metteur en scène le plus compétent pour le corpus bussottien. « Silvano Sylvano » sera en France pour la première fois à la salle du Triton à Paris encore une fois interprété par l’auteur. Je désire souligner derechef sa malléabilité : d’un effectif pas très grand mais peuplée de plusieurs formes d’expressions musicales, théâtrales, picturales, elle constitue un work in progress.
Voir encore Sylvano Bussotti by Luigi Esposito
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