dimanche 2 novembre 2008

Concert de Fabrice Di Falco à C'est pas Classique

Étant situé à la tourne de page de l'organiste, je ne peux que donner un avis original sur ce qui s'est produit. La salle moderne est très sèche, le public très nombreux marmonne, le violoncelle s'accorde dans le bruit, il ne peut entendre les fondamentales très rares des tuyaux de l'orgue portatif, un Deblicke, luxe de ce genre d'instrument mais trop petit pour la salle Athéna de l'Acropolis. La chaleur monte, le métal des tuyaux s'allonge aussi, les notes sont toutes plus aiguës, entre deux tons. Fabrice Di Falco arrive, il a travaillé dans le style, changé toute sa technique vocale, il fait des finesses mais il est mal à l'aise par rapport à ses repaires corporaux, surgissent deux airs de tradition lyrique, Ombra mai fu de Haendel et le pastiche Ave Maria du Pseudo-Caccini. Des failles techniques s'ouvrent alors, la justesse est perdue, les anciennes habitudes reviennent y compris le vrai diapason de l'oeuvre, un quart de ton plus bas que l'orgue dont il lui est impossible d'entendre la trame harmonique dans cette acoustique terrible. Autant dire que c'est un miracle que le public n'ait pas entendu ce virage dangereux. Fabrice Di Falco reprend sa maîtrise dans le Stabat Mater de Vivaldi : on voit qu'il a assimilé tous les effets baroques qu'il s'y est fixé.

Est-ce une déception par rapport au miracle attendu de cette "entrée dans le baroque" ? Non, on apprend là que la parfaite maîtrise dans Britten de Fabrice Di Falco vient de ce qu'il fait partie des chanteurs "corporaux" et non "mentaux", il a besoin de temps pour asseoir cette solidité si admirée à l'Opéra de Nice. L'article précédant mettait l'accent sur la particularité de cette voix passionnante et sur l'originalité de son parcours, celui-ci invite les organisateurs de concert à miser sur Di Falco pour faire naître une nouvelle star du baroque, mais elle n'est pas encore éclose.

Quant au danseur samouraï, Samuel Aldrich, pour le Stabat Mater, faut-il faire un débat ? C'est un professionnel très doué d'une part, d'autre part cela participe à ce que l'on appelle "inculturation" à savoir : donner à la liturgie une universalité. C'est enfin très grand public et la gratuité du geste se justifie dans l'approbation des récepteurs. On peut donc dire que Fabrice le sopraniste, Samuel le samouraï et Huguette, la très vénérable claveciniste forment un groupe à part et chatoyant !

Un mot âpre sur l'Ave Maria du Pseudo-Caccini. Caccini n'a jamais écrit de musique religieuse et c'est un choix que l'Histoire doit respecter. Comment même s'imaginer, hors d'un contexte de litanies très particulier (une courte phrase répétitive comme entrée de fugue dans un tissu instrumental, du type de la sonata dans les Vêpres de Monteverdi), qu'un auteur de l'époque s'amuse à musiquer seulement "Ave Maria" en oubliant tout le reste des paroles ? Il faut rendre cette oeuvre à son propre registre, la chanson des années 1970 avec ses septièmes harmoniques et ses phrases larmoyantes ! L'auteur en est le russe Vladimir Vasilov et l'on trouve son histoire sur Wikipedia, il avait à se cacher pour cause de rideau de fer. Tout chanteur sérieux doit bannir cette oeuvre d'un concert sérieux. On plaint mais on admire aussi Huguette Gremy-Chauliac de s'être retrouvée dans la situation d'y mettre de belles ornementations de son invention pour enrichir le continuo de cette oeuvre banale.

La conclusion reste que Fabrice Di Falco, l'un des plus originaux talents de son temps et des chanteurs les mieux dotés vocalement, doit faire dix fois plus d'efforts de rigueur, d'hyper technicité pour s'imposer là où il devrait déjà briller et ce, parce qu'il doit aussi lutter contre sa propre inclination pour une musique et des effets trop démagogiques.

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