jeudi 20 novembre 2008

La petite renarde rusée de Janacek à l'opéra Bastille

Un orchestre délicat

Tant de critiques auront ailleurs dit l'excellence du plateau, du décor que tel ne sera pas notre propos. Il est à remarquer que la netteté et l'âpreté de l'orchestre de Janacek, surtout lorsqu'il est si léger ne s'adapte pas à un gros volume théâtral. Au lieu d'être le si sublime commentaire du texte qu'il se doit, il devient décoratif, bourgeois car tout est dans le détail chez Janacek. On pourrait même aller jusqu'à affirmer que les grands et beaux orchestres sont trop capiteux pour transmettre les couleurs le Janacek, couleurs acidulées. 

Un anti-conte de fée tragi-comique

Nous avons fait en 2005 à propos d'un petit spectacle amateur un commentaire poussé de l'oeuvre. Nous affirmons qu'aussi riche et talentueuse soit la mise en scène présente, elle n'atteint pas le coup de génie de Gregory Cauvin dans le petit village de Gattière où l'on a entendu pour la première fois l'ouvrage, coup de génie qui vient de ce que ce jeune metteur en scène a su adapter l'esprit d'Almodovar à celui de Janacek, ce qui est très senti pour les raisons qui vont suivre.

La petite renarde rusée est un anti-conte de fée. Certes il y a des sources profondes dans le roman de Renard qui en font un authentique fabliaux (au moyen-âge le sens commun était déjà désabusé) mais il n'en demeure pas moins qu'un conte de fée ne doit jamais expliquer les problèmes qu'il traite et qu'il doit toujours les résoudre, c'est la règle de Betelheim (Psychanalyse des contes de fées). Or ici tout est dit clairement et sans ménagement. La petite renarde rusée, petite lolita, est une métaphore d'une tentation humaine, face à elle un garde champêtre entrant dans la vieillesse, un curé entré en religion par déception des femmes, un instituteur brisé par le manque de confiance et un braconnier qui passe outre en la tuant et en faisant un manchon pour celle qu'il épousera (justement celle qu'aimait l'instituteur malheureux). Tout est désillusionné, la scène d'amour du renard et de la renarde est ironique face aux sentiments humains, l'instituteur déclare son amour à un tournesol comme il est ivre, le garde-champêtre regrette le temps où sa femme et lui étaient jeunes et amoureux. Non seulement la renarde meurt de façon prosaïque, mais sa fille lui succède dans le fantasme du garde-champêtre : on ne voit pas là de quoi résoudre des problèmes mais de quoi seulement les poser et les souligner. Voilà bien tout l'esprit tragico-comique d'Almodovar. Aussi le spectacle doit être très comique pour être très tragique : il n'y a pas de place pour l'esthétique de contes de fée à la Ravel. Tout le décor de la Bastille, sublime, attendrit bien-sûr, mais semble un gâchis puisque l'opéra est adressé aux adultes et non aux enfants. Heureusement nos yeux d'enfants se plaisent toujours à la beautédu rideau de scène, des poules, des tournesols et de la chenille faisant danser son cerf-volant et tant de jolies lumières en cette super-production.

La phrase de la petite grenouille

Le coup de génie de Janacek, c'est la petite grenouille qu'attrape le garde-champêtre plutôt que la renarde à la fin. Janacek a défendu farouchement cette fin contre Brown son traducteur germanique. Combien il avait raison et combien cela est manifeste aujourd'hui ! La grenouille dit "c'est pas moi, c'est grand père, il m'a beaucoup parlé de vous !". Il faut absolument ce pied-de-nez pour la fin, il faut que cela soit incompréhensible, cela est une porte ouverte sur le théâtre moderne, sur l'absurde, cela contribue à la désillusion, à dédrammatiser le moment le plus tragique. En même temps en comprend que le grand père froid et vert, c'est Janacek lui-même, c'est la vieillesse et c'est lui qui a beaucoup parlé dans l'opéra. Le garde-Champêtre attrape comme un enfant dans sa jeunesse un animal-jouet mais en même temps il attrape la vieillesse en la grenouille. Le livret de l'oeuvre est aussi fascinant et génial que la musique. 

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