Gianluca Capuano crée son nouveau festival « Pietre Sonore » à Milan, dans les cloîtres de Saint-Simplicien. Sur trois jours, les 24, 25 et 26 juin, le jeune musicien italien, y a convié la soprano française, Agnès Mellon que lui-même et le violoncelliste Marcello Scandelli accompagnent ; il invitait aussi, l’ensemble Accademia del Ricercare de Pietro Busca. Autant d'interprètes qui demeurent trop rares en France et qui sont pour nous, l'objet de quelques entretiens.
Soutenu par la faculté Théologique de l’Italie Septentrionale résidante dans l’enceinte de l’église, son recteur Giuseppe Angelini, curé de San Simpliciano, et l’Association « il canto di Orfeo » qui administre le groupe vocal de l'artiste-philosophe Gianluca Capuano, la manifestation démontre que de plus en plus les interprètes n’hésitent pas aujourd’hui à soutenir et produire eux-mêmes les festivals qui correspondent à leur recherche musicale.
Gianluca Capuano est un enfant du lieu, il est co-titulaire avec Lorenzo Ghielmi de l’orgue (ou plutôt de l'un des deux orgues, le Mascioni fin XIX ème attend sa restauration), germanique et très réputé, construit en 1990 par l’un des plus grands facteurs vivants, Ahrend. Il avait déjà donné de nombreux concerts à San Simpliciano autant dans l’église que dans la salle d’entrée de l’école, au gigantesque escalier d’apparat de l’architecte Richini, et encore dans les cloîtres, lieux prisés pour leur excellente acoustique. Le cloître Renaissance, aux superbes proportions, mystiquement paisible, a vu les plus grands interprètes se produire. La saison de « Musica e poesia a San Maurizio » (église avec un orgue Ategnati célèbre) y fit les concerts d’été au début des années 90, puis la grande restauration de tout le complexe interrompit les manifestations qui ne reprennent qu’avec le présent festival. Déjà auparavant, GianLuca Capuano dirigea, en l’honneur du lieu et en avant-goût des futures belles heures à San Simpliciano, l’ « Oratorio de Saint Augustin » de Hasse, seule œuvre où chante Saint-Simplicien, père de Saint-Augustin et fondateur de l’Abbatiale. Le flambeau est repris ici avec un nom très poétique « Pietre Sonore », (en français, "pierres sonores"), qui fait écho à la pensée médiévale des chapiteaux et de leur scansion mélodique, du cloître, propre à exalter les sons de louanges des voix monacales. Le titre est repris du très beau livre de Marius Schneider, « Singende Steine » sur les chapiteaux de la Catalunya.
Mise en route un peu timide. Le festival débute ce 24 juin, sous la pluie, par une collaboration avec l’école musicale de Milan : ce n'est pas un mal tant est poétique et chaleureuse la configuration de l’escalier d’honneur surmonté de splendides statues d’évêques piétistes qui semblent pleurer avec la musique, telles qu’on ne peut plus en voir en France à cause des ravages destructeurs de la Révolution. Peut-être furent-elles admiratives des dons offerts principalement au dernier élève de la claveciniste Emilia Fadini, Gianluca Petagna, tandis qu’elles grimaçaient à la fraîcheur d’une trop inexpérimentée élève de la célèbre chanteuse Claudine Ansermet. En tout cas elles implorèrent certainement pour que le soleil se montrât le lendemain, dans la hâte de fêter le premier vrai concert du festival. « Ne vous inquiétez pas, je veille ! » les rassure Marco Orlandi, le maître logistique de San Simpliciano par qui rien n’aurait pu se faire. Il veille ici aux moindres détails : chaises et coussins de l’estrade, et bouteilles d’eau jusqu’à l’orgue positif Pinchi et, bien sûr, les mots d’hospitalité pour tous les musiciens. Secondé par quelques autres bénévoles, cet homme s'active comme quatre, il fait le travail de toute une grande équipe festivalière.
Miracle d’une interprétation au-delà de la musique. Dans le programme « Mater beata, Mater dolorosa », le 25 juin, Agnès Mellon entre dans la quintessence du langage monodique, devenu « affect » au Seicento (XVII ème siècle) : « l’oratione e padrona dell’harmonia » (le discours domine l’harmonie). Il ne s’agit plus de chanter simplement avec du son mais avec le cœur en commençant par l’ « Ardet cor meum » de Giovanni Felice Sances, prière douloureuse à la Vierge ; puis le « Salve O Regina O Mater » de Claudio Monteverdi animé par les mélismes joyeux et accablé de chromatismes ; le « Pianto della Madonna sul Lamento di Arianna » que tous savent un cri de douleur ; la berceuse lugubre « Or’ che tempo di dormire » de Tarquinio Merula sur l’ostinato étrange de deux notes et qui montre la Mère, deviner les plaies de la croix dans le sommeil de son bambin - l’œuvre s’achève sur un sublime récitatif en majeur du même effet que la pièce ajoutée dans la « Sonate de la Résurrection » de Biber : la tendresse. Pour finir le si théâtral (aussi puissant que la musique d’un Purcell) Stabat Mater de Sances. Agnès Mellon s’assoit visiblement émue après avoir chanté chaque étape. C’est le rôle de l’interprète de transmettre, et c’est la magie du concert de dire plus que les notes de musique.
Quel besoin de commenter (ce que fit savamment le professeur de l’université Daniele Torelli en racontant la carrière autrichienne de Sances) ? Les interprètes du soir n’étaient pas que des musiciens, c’étaient des acteurs, des narrateurs, des passeurs d'émotion.
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