vendredi 2 juin 2006

Boulez au printemps des arts


A Monaco, dans le cadre du Printemps des Arts, les 15, 16 avril, deux concerts ont portraituré Boulez. 

Premier concert dirigé par Pierre-André Valade à l’Auditorium Rainier III : c’est une démonstration des goûts de Boulez qui aura le plaisir d’être du public. Au programme, Anton Webern,cinq mouvements pour orchestre à cordes, opus 5, puis d'Elliott Carter, Concerto pour violoncelle et orchestre - où le violoncelliste Gary Hoffman, extraordinaire au demeurant, tourna malencontreusement deux pages ; d'Igor Stravinsky,Petrouchka ( version 1911). 

Second concert, à nouveau Boulez dirigé par Boulez : « … explosante-fixe… » pour trois flûtes, ensemble électronique et enfin le grand Répons pour six solistes à effet percussif (pianos, percussions, harpe, psaltérion) qui font les réponses en stéréophonie à la longue introduction de l’orchestre mêlé aux sons électroniques. Voyons donc en détail, ce copieux et même, impérial programme.


Du premier, que Boulez aurait pu, dit-il, « diriger ce programme, si on lui avait laissé le temps ! » Mais un chef digne de jouer devant Boulez fut évidemment élu. Ainsi nous n’aurons pas à faire les éloges de la direction qu’il faut concevoir excellente. De même comment commenter les œuvres, une fois que l’on est édifié par le discours de Boulez lui-même à propos du « coucher de soleil sur la tradition viennoise » que sont les fragments de Webern ? « commentaires orchestraux du compositeur lui-même à partir de son quatuor original, repris 20 ans après » - et l’hôte du Printemps des Arts d’évoquer les Demoiselles d’Avignon de Picasso pour nous faire réaliser la modernité face à la date du quatuor, 1909. Comment encore imiter les mots d’admiration de Maître Boulez sur la souplesse naturelle de la dernière période de Carter (à plus de 90 ans) qui a digéré et fait une seconde nature de ses principes personnels « forgés de longue lutte et qui n’ont plus besoin de vous sauter à la face pour s’imposer » ? Il ne faut pas oublier l’évocation du sans gêne de Stravinsky, ce « baise main tout en marchant sur les pieds (dixit Debussy) des belles dames ; ce confort à tous les étages », modernité qui « vient de la périphérie de l’Europe avec une liberté insolente », et cette « manière toute nouvelle de composer en mosaïque. » Et Pierre Boulez, conférencier pertinent et incisif, d’achever sur ce que  « Stravinsky à la fin de sa vie fut fasciné par Webern » comme s’il avait, d’un coup, « croisé le fantôme d’un moine, cet autre si différent de lui-même. » Tout cela, il fallait être là pour l’entendre d’une voix claire, intelligente, pleine d’entrain.

Comment fut le concert ? De Webern, nous évoqueront les sonorités : « et l’unique cordon de la trompette marine » chantait Apollinaire. De Stravinsky nous dirons que c’est hideux, fort et grand. Pour Carter, nous pratiquons l’alchimie de la métamorphose : le violoncelle est la conscience du poète. Elle nous entretient, tandis que, derrière, les bruits de la vie quotidienne sont comme filtrés par sa pensée, lointains et légers, ici graves, ici - on ne sait comment cela arrive - en gouttes de percussions, là - au début et à la fin - en cris répondant à la voix fragile jamais couverte. Ce concerto est à pleurer de beauté et d’émotion. Tout est chantant et pourtant jamais se profilent de réelles mélodies. Vraiment Carter possède l’essence de la vie, il est l’héritier de la profondeur d’un Britten, cet autre haut prophète du monde moderne. 


« Le geste du musicien est irrationnel »
C’est la phrase choc que Boulez voulait nous faire retenir quand il parle du succès récent du travail « en statistique » de la machine. Désormais elle est capable d’accompagner en suivant précisément et méthodiquement le musicien qui « reste libre dans son geste : car le geste du musicien est irrationnel. » Ce compromis entre la machine intelligente et l’instinct du musicien n’existait pas auparavant et poussait les expériences modernes vers « une froideur et une inquiétude technique de l’interprète, tout préoccupé qu’il était par l’obligation de se soumettre au dictat de la machine. » C’était là le suc de la présentation du dernier volet de son œuvre.

Nous voici donc dans la salle du Sporting club, gigantesque décor de discothèque luxueuse, en rotonde, donnant sur des baies géantes tout ouvertes sur la mer mais pour l’occasion, vite couvertes de rideaux noirs. L’estrade de la scène était au beau milieu. Le public l’entourait des quatre côtés, derrière lui, les instruments de Répons attendaient le moment de parler, percussifs : deux pianos, deux jeux de xylophones et autres beautés timbrées, une harpe, un psaltérion. Dans le public le Prince et la Princesse de Hanovre, ainsi que  princes et princesses de la jeune génération. Boulez a beaucoup parlé du peintre abstrait Mondrian. Et voilà que l’on se situe bien dans le point de débat sur sa musique. C’est somptueux, c’est, au niveau sonore, sensuel pour l’oreille - le traitement des cuivres, notamment le cor, le prolongement des sons par la machine, tous les effets électroniques, tendent vers l’aquatique et vraiment c’est bien là une musique de l’avenir, que l’on entendrait volontiers … dans les soucoupes volantes ! En titane, c’est maîtrisé … les crescendos ne dépassent cependant pas le mezzo-forte, cela manque de geste théâtral (malgré la théâtralisation). Dans Répons, il y a un emportement cuivré qu'on aimerait retrouver mais hélas cela se calme … puis il faut patienter encore longtemps avant la fameuse cadence : le procédé de stéréophonie étonne avant que de lasser par sa longueur – danger des grandes œuvres ! La Missa Salisburgiensis de Biber en pâtit jadis. 

Deux types d’auditeurs continuent seulement à profiter de la musique tandis que les autres lâchent le navire en route : l’homme versé dans l’intellectualisme, connaisseur en orchestre d’une part, l’amateur de musique pure d’autre part, bercé par l’incantation d’un bain agréable. Les autres auditeurs, ceux qui veulent de l’expression en musique, n’adhèrent plus. Mais la musique doit-elle être expressive ? Doit-elle suivre pour le confort des spectateurs, un code traditionnel supposé être langage?  C’est la question que nous pose évidemment Boulez en composant.

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