dimanche 21 mai 2006

Marc-Antoine Charpentier, Messe de Port-Royal, Messe Rouge.


Le Festival d’Art Baroque en Provence a choisi comme l’année dernière, d’inscrire deux œuvres de Marc Antoine Charpentier au programme des soirées des 25 et 26 juillet prochains. Préparation à l’écoute de la messe de Port royal et du Motet pour la Messe Rouge. Comment comprendre Charpentier ?


« La Musique me fut de peu d’honneur mais de grande charge »


Quelques réflexions sur le style de Charpentier
Ce qui fait la gloire de l’œuvre de Charpentier, c’est sa personnalité hors norme qui échappe à tout standard. Qui entre dans son monde saura qu’une griffe marque la moindre de ses notes. Il fut héritier d’Henri Dumont, d’un côté, par la profondeur de l’inspiration très début XVII ème, la souplesse d’écriture polyphonique, la ligne mélodique lyrique qui semble marquée du sceau de la noblesse française. Il fut, d’un autre côté, l’héritier de Carissimi dans le goût de la théâtralité, les formes musicales utilisées (oratorios, dialogues …), les licences d’écriture, la liberté farouche de son style, la philosophie même de sa vie, sa fin de carrière chez les Jésuites. 
Sa musique, bercée dans une pulsation qui lui est intérieure, exprime à la fois une sensibilité déchirante et une tendresse infinie. Une tendresse qui fait la force et la faiblesse de son œuvre : elle enrobe tout, amollit les coups dramatiques (établissant de ce point de vue, une surprenante parenté avec Dallapicola: lire notre compte-rendu du concert du 30 avril dernier où l'orchestre philharmonique de Monte Carlo interprétait les Canti di Prigionia). Ce genre d’effets expressifs, bien que supérieurs à tout autre de ce temps, ne put égaler les nervosités de Carissimi (qui est par son tempérament, l’égal de Monteverdi et de Puccini). On doit cultiver donc une certaine familiarité pour entrer dans la pensée du compositeur et comprendre la langueur de son rythme. Cette familiarité, une fois acquise, peut emporter son public jusqu’à un endoctrinement quasi fanatique – c’est le cas à notre époque – comme on le voit chez les aficionados de Bach ou de Wagner. 

Un portrait révélateur de l’esprit du compositeur 

Le portrait placé ici, récemment retrouvé, colle si parfaitement à sa personnalité qu’il jette une nouvelle lumière sur l’impression que produit sa musique. Scrutez son expression et ensuite écoutez : un mal physique le ronge et correspond à l’amertume du milieu de sa vie. On doit songer à l’échec par la maladie au concours de Versailles puis à son ombre déçue qui se lamente dans la célèbre épitaphe (dont nous avons cité une phrase en introduction). Des yeux immenses pourtant expriment une innocence et une humanité. Il est frappant et urgent de comparer ce portrait au daguerréotype de Chopin, lui aussi placé dans les mêmes conditions de souffrance physique. 

Motet pour une longue offrande H 434, autrement appelé motet pour l’offertoire de la Messe Rouge
Vous entendrez au festival de Saint-Maximin cet ultime grand motet, d’après les datations, composés pour la rentrée annuelle du Parlement  - d’où le nom de Messe Rouge. Donc tout un héritage : une somme de la liberté stylistique évoquée tout à l’heure, et de l’apparat de son temps. Le prélude cesse d’être une pièce d’amorce, symbolise un parcours des tonalités, toutes chargées de sens dans l’esprit du compositeur. Entre alors la voix de basse : comme souvent chez Charpentier, elle endosse le message théologique, représentant de Dieu sur terre. Au ré majeur initial, succède un do majeur guerrier : c’est une pluie de soufre sur les pêcheurs châtiés. Après un trio en sol majeur (« doucement joyeux »), la tendresse d’un mode en la mineur évoque la miséricorde. Des solos instrumentaux affleurent jusqu’au chœur plein d’espoir où passent encore les souvenirs du maître Carissimi (le chœur des ninivites repentis de son oratorio romain, Jonas), avec ses « non » réitérés, d’une rhétorique piétiste. Puis dans une immense bonté, retrouvant le ré majeur initial, s’édifie une louange habitée de tous les feux de l’orchestre, des solistes, du chœur.

Messe pour le Port Royal, H 5
On a souvent dit que chacune des messes de Charpentier possède un visage particulier à l’instar des symphonies de Beethoven. Il est vrai que le cursus créatif de notre compositeur fut scandé de périodes à mettre en parallèle avec celles du compositeur de Bonn. Ainsi parle-t-on du « premier », du « second » Charpentier, etc. Du second, date cette œuvre écrite vers 1685.

De même que les leçons de ténèbres pour soprano seule, composées au début de sa carrière, déroulaient une sublimation du grégorien (n’oublions pas qu’à l’époque de Charpentier, le grégorien était ornementé), cette messe semble fleurir un discours monodique dans l’esprit de ce genre musical. Mille mesures de monodie pure. Toute la subtilité des agréments, des infimes fluctuations harmoniques et rhétoriques, soutient l’attention de l’auditeur avec maestria. Pari sévère et pénitent auquel s’est soumis Charpentier, comme le fit, en Allemagne, Heinrich Schütz pour sa « Passion selon saint Mathieu » . Cette « Messe pour le Port Royal » pourtant varie les masses sonores et alterne ainsi le « premier et second chantre » - parfois chantant conjointement - et le « chœur ». 

A Saint Maximin, le Vlaams Radio Koor, sous la direction d’Hervé Niquet sera l’interprète de ces deux œuvres de Charpentier. Quelques passages sont cependant traités en polyphonie, notamment le « et incarnatus », moment crucial de la messe, où une rupture avec la rigueur est souhaitable pour l’élévation de l’âme. Faux-bourdon et grand silence au beau milieu de l’œuvre.  

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