L’homme est tenace, passionné par la musique baroque. Il se prépare, en juillet prochain, pour la seconde édition de son festival de musique baroque dans un site exceptionnel qui est aussi un chef-d’œuvre architectural marqué par le XVII ème siècle et la naissance du Roi Soleil. Il désire restituer à Saint-Maximin, une antique tradition où la musique faisait vibrer les pierres. Ce pragmatique opiniâtre, ébloui par les proportions exceptionnelles de la Basilique Sainte-Marie Magdeleine, a regroupé autour de son projet plusieurs personnalités dont le chef d’orchestre Hervé Niquet. Il explique son parcours et ses projets, les enjeux économiques. Il dévoile sa grande sensibilité musicale.
Quel est votre bilan de la première édition du festival qui s’est déroulée à l'été 2005 ?
J’ai la satisfaction d’avoir prouvé aux gens que j’avais raison. J’ai eu des retours de toutes sortes et on m’en reparle souvent. L’effet « plus » est déjà le premier apport. Même ceux qui ont assuré dans le passé les heures de gloire de Saint-Maximin m’ont félicité de les fait voir renaître.
A vos yeux quels sont vos nouveaux acquis ?
Nous avons maintenant la notoriété, nous sommes heureux d’avoir pu convaincre des partenaires, ils savent que la route est toute aussi bonne pour eux, notre réseau s’agrandit, la partition de cette association est maintenant ouverte à plus de monde, chacun peut s’y reconnaître, le public est plus nombreux, c’est la joie de voir la culture accessible.
Quel est pour vous le festival parfait ?
Je vous fais une réponse grammaticale : on sait qu’il est « parfait » quand il est passé, fini. Alors on est en route vers le suivant et c’est une pérennité.
Dites nous d’abord pourquoi avez-vous choisi Saint-Maximin comme lieu de votre projet ?
Redonner à Saint-Maximin la place qui était la sienne dans le passé, en particulier à l’époque baroque. C’était un lieu où l’on ne faisait pas que passer mais où l’on savait aussi s’arrêter. Saint-Maximin, de par ce lien qui associe la ville à la figure de Sainte Marie Magdeleine, était un lieu de pèlerinage, une destination particulièrement convoitée à laquelle on se préparait. J’ai dit dans un précédent entretien combien Saint-Maximin a été depuis l’Antiquité un carrefour de la culture et en particulier de la musique dont témoignent les célèbres orgues des frères Isnard dans la Basilique.
Parlez-nous du concept qui préside à votre festival et quel est l’angle de votre programmation ? En particulier, concernant ce volet pédagogique…
J’ai toujours voulu un festival ramassé sur peu de temps : cette année ce sera deux jours : Il faut que le festival baroque provoque un électrochoc auprès du public : pour l’instant l’effort financier est axé sur le festival. Un grand festival doit être un grand mouvement, regardez la Folle Journée de Nantes, voici pourquoi je propose des soirées complètes et diversifiées avec au milieu un entracte dînatoire. D’un autre côté, notre programmation nous avait permis les années précédentes d’ajouter aux concerts, un volet pédagogique comprenant une master-class de plain-chant que j’appelle académies et qui cette année couvrira une bonne semaine avant les concerts de Saint-Maximin. La Basilique est faite pour le plain-chant, grâce entre autres à la présence de l’orgue historique. Je veux placer Saint Maximin comme une référence dans l’apprentissage du chant baroque et notamment du grégorien de l’époque baroque. Pour recruter le chœur des stagiaires, nous avions sélectionné les élèves-chanteuses à travers un réseau de chefs de chœurs, de Rodez à Perpignan, de Toulouse à Montauban, de Lyon à Aix-en-Provence. Cette année, nous ajoutons Paris, Tours, Nice, Menton... En plus du Festival, nous aurons donc des prestations décentrées de Saint-Maximin qui mettent en valeur le patrimoine de la région, des orgues historiques avec des tempéraments différents.
Pourquoi des "académies" plutôt que des master-classes ?
Parce que nous avons une langue qui est belle et qui ne manque pas de mots élégants. Tous ces anglicismes actuels parfois sont une facilité pour ne pas chercher à trouver le mot juste en français. Le XVIII ème siècle est une époque du beau et de l’exactitude, et je souhaite que nos élèves, par le terme même, soient en symbiose avec les orgues magnifiques qu’elles côtoieront dans leur travail de plain-chant. Ensuite comme je l’ai dit, j’utilise le mot « académies » pour en faire une institution, une tradition accompagnant le festival. Le fait d’avoir séparé cette année, les académies des concerts, par rapport à l’année passée, vient de ce que l’Europe ne prend pas en charge de concerts isolés, tandis que les académies les intéressent. Elles entrent dans le cadre du territoire, ce que l’on appelle la Provence Verte et permettent d’élargir le concept à la région ; C’est pourquoi les différentes mairies (en plus de Saint-Maximin) Barjols, Cotignac et le Val nous ont fait un accueil extraordinaire, car elles ont réalisé la valeur que cela apporte, avec les retombées en matière de tourisme, d’économie et de notoriété. Chacun sait combien coûte un concert et là, ils ne paieront rien. Une des trois villes, Cotignac, a décidé de bloquer la place de la mairie et d’offrir un cocktail pour nous remercier, c’est une ville où se trouvent beaucoup d’européens (elle a voté à quatre-vingt-dix pour cent pour Maastricht), beaucoup de gens du Nord y résident et sont amoureux de la musique. C’est la ville du vœu de Louis XIII. Barjols, ville de la fête du bœuf, est très attachée à son patrimoine et à son très bel orgue où le travail des frères Isnard côtoie des jeux typés de la Renaissance. Le Val s’ouvre sur plusieurs aménagements et activités grâce à la volonté du maire. Sa tradition, c’est la fierté d’avoir été élu par édit du Roi pour la fabrication de ses boudins et saucisses. C’est un vrai bonheur de travailler avec ses gens dont le patrimoine est aimé et respecté. Les trois orgues, restaurés par Cabourdin comme Saint-Maximin, sont magnifiques et de tempéraments différents. Les jeunes filles pourront avoir l’occasion de travailler dans différentes acoustiques et s’exercer ainsi à l’une des grandes difficultés de leur art qui est l’adaptation au lieu. Leur travail est ponctué par un examen : les stagiaires se produiront en effet en trois auditions dans les villes qui les auront accueillies en plus de leur participation au festival de Saint Maximin. Ce sera l’aboutissement de ces “Académies Baroques en Provence Verte”.
Qui assurera la pédagogie du plain-chant ?
C’est Rolandas Muleïka, directeur de la classe de Polyphonie et spécialiste du chant médiéval au Conservatoire National de Région de Toulouse qui coordonne notre volet pédagogique. Mais Hervé Niquet y participe très activement, c’est aussi lui qui dirige les concerts. A Saint-Maximin les élèves interpréteront à nouveau cette année les Vêpres avant le concert Charpentier du 25 juillet et les Complies en pleine nuit pour achever la soirée, mêlées à l’improvisation de l’orgue, car nous avons le volet orgue dans l’Académie, tenu par François Saint-Yves et Pierre Bardon, titulaire des orgues de Saint-Maximin. Le 26 juillet autour du Requiem de Campra, ce sera la même chose : Vêpres et Complies encadrent le programme interprété par le Concert Spirituel.
Que sont vêpres et complies ?
Les mâtines sont les prières du matin ; les vêpres, les prières de l’après-midi ; les complies, celles de la nuit. Le programme des deux soirées suit l’ordre établi : nous avons fixé les vêpres vers 19 heures ; les complies à 23 heures : nous souhaitions offrir aux festivaliers l’expérience de la Basilique plongée dans le noir. Le chœur des chanteuses est caché derrière l’autel. Seules les bougies tenues par les jeunes filles éclairent le vaisseau : la pénombre favorise l’intensité des prières et aussi le mystère de la musique.
Pourquoi cet amour pour le grégorien ?
Attention, je n’ai pas une passion pour le grégorien comme celle que l’on me connaît pour le baroque ou pour Berlioz. Vous vous attendez, dans une église, à entendre de l’orgue et un chant grégorien qui l’environne, je propose d’exaucer cette attente. Je m’explique : quand on faisait la répétition dans la Basilique, les fidèles ou bien les touristes s’asseyaient, écoutaient, cela faisait partie du décor. Chanter c’est ainsi rendre à ces lieux les éléments vibratoires qui ont fait leur vie. Les amateurs à l’esprit direct et simple nous font alors cette jolie réflexion : « on se croirait dans un film de Louis XIV, on se croirait au temps des moines… » Il est déplorable vraiment de restaurer les lieux à grands frais et de ne pas donner les moyens de les faire vivre à moindres coups. C’est un adage que beaucoup devraient entendre ! Le grégorien, non seulement on l’entend, mais en plus on le voit, avec ses chanteurs statiques, ou bien, quand ils sont cachés, par sa résonance spatiale dans le lieu et la pénombre, c’est un « audio-visuel » et d’ailleurs le verrait-on chanté dans une salle de fêtes ? Ensuite, ma démarche est d’approfondir le répertoire choisi. Nous donnons la possibilité aux musiciens de chanter le grégorien dans son lieu originel ; nous offrons aussi la possibilité d’expérimenter le phénomène dus on et du chant sous la voûte réverbérante de la Basilique. C’est essentiel pour approfondir sa connaissance du répertoire en écho avec l’orgue improvisé. La mise en situation que nous suscitons permet d’éprouver physiquement la musique interprétée. Récréer les fêtes du temps, vêpres, complies donne prétexte, dans le stage aux élèves chanteuses de travailler sur l’écriture carrée. Le grégorien complète ici un festival qui a toujours eu ses heures de gloire de musique française, il permet aussi de faire ce fameux plan qui éclaire la Provence Verte, dont je vous ai parlé. C’est aussi pour cette raison qu’en plus du grégorien, je voudrais plus tard aller vers le pré-baroque, le temps d’Henri II, III et IV, un temps où tout s’est passé pour la création de l’esthétique française.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Etre plus enraciné localement, entraîner le plus de monde possible dans la découverte, développer la pédagogie, être une référence, un axe concret. Je souhaite de plus inviter d’autres personnalités musicales aux côtés d’Hervé Niquet. La notion de festival musical qui se déroule dans un espace limité, deux nuits, donne à notre projet sa cohérence et sa singularité. En prenant appui sur la beauté des lieux et surtout leurs qualités acoustiques, j’imagine un parcours baroque associant le Couvent Royal, - superbe lieu lui aussi -, le magnifique cloître dont l’acoustique semble parfaite pour la musique de cour, plus intime et qui sera utilisé très prochainement réfectoire adapté pour la musique médiévale vocale, enfin la Chapelle Royale qui est chauffée. Je voudrais ajouter d’autres rendez-vous ponctuels en dehors du festival. Mon projet serait aussi de faire venir les mélomanes en hiver : un nouveau pari que je veux relever car notre pays est tout aussi beau en dehors de l’été ! Mais il faut de la patience et attendre encore.
Vous nous parlez d’une future utilisation du cloître, voulez-vous nous dévoiler vos projets pour l’année prochaine ?
Berlioz sera présent mais pour un concert exceptionnel, au sein du festival qui reste baroque. Il s’agit de l’ « Enfance du Christ ». J’avais le souci de faire entendre de la musique orchestrale par la Région en extra du festival. Nous en avons délibéré et j’ai proposé alors cette idée à l’orchestre et aux chœurs de l’Opéra de Marseille, ils étaient vraiment enchantés que l’on propose autre chose que les « tubes » habituels et ont été partants d’emblée. Nous avons ajouté à cela le chalenge de réaliser ce concert dans le cloître.
Pourquoi Berlioz ?
Il a été mon premier contact avec la musique qui m’a soulevé de terre. Un maître spirituel. C’est un compositeur qui dit les choses en hurlant parce que c’est important. Berlioz utilise la stéréophonie comme dans son Requiem avec un quadruple orchestre de trompettes. Plusieurs musiciens m’ont dit que tout cela est minutieux, si l’on rate une note, tout est détruit. Ainsi sa musique est incroyablement cartésienne, elle est raffinée dans la ligne de la sensibilité de la musique française. Tout cela sous l’aspect grandiose et le romantisme débordant. Berlioz, c’est l’auteur du traité d’orchestration, et il faut connaître ses fugues et toute la science qu’il y a dans son œuvre en plus de l’inspiration. J’admire Berlioz, j’admire Desmarets aussi : cela m’anime dans mon métier de directeur de festival. On fait l’apologie des chefs aujourd’hui, on les positionne même devant les auteurs. Certes les chefs sont admirables, j’ai des passions pour plusieurs d’entre eux, mais le chef demeure l’exécutant, il faut rendre à César ce qui est à César, les œuvres sont avant tout les enfants des compositeurs et c’est vers elles que l’on doit aller avant tout. Les compositeurs sont donc importants. Ils sont mis en avant dans mon festival.
D’où vient votre passion pour le Baroque ?
Je l’ai toujours aimé ! Je regrette de ne pas avoir suivi de carrière musicale. J’ai été organiste, d’abord immergé dans le répertoire romantique. Inconditionnel de Berlioz comme je suis, j’avais une sorte de prédisposition pour la musique française, déjà ! Peut-être qu’en avoir trop écouté me disposait inéluctablement vers le Baroque. Mais ce n’est pas moi qui suis venu au Baroque, c’est le Baroque qui est venu à moi, grâce à un jeu électronique, le cdrom édité par la Réunion des musées nationaux, et consacré au château de Versailles. Le jeu permettait d’entendre comme fond musical le Te Deum de Lully. Il s’agissait d’un enregistrement d’Hervé Niquet. J’ai acheté ce disque et je suis devenu un amateur de musique baroque. A partir de là, mon rêve fut d’inviter le Concert Spirituel et Hervé Niquet pour un concert. Je les ai donc contactés. Par la suite, au hasard d’un passage à Fréjus, Hervé Niquet est venu à Saint-Maximin. Il a logé à l’hôtel du Couvent Royal et voilà : comme nous tous, le lieu l’a convaincu. Il a été enthousiasmé par l’acoustique, le jubé de la basilique, l’orgue historique. La Basilique est un lieu exceptionnel, un écrin désigné pour la musique baroque.
Mais approfondissons maintenant votre amour de la musique et les causes qui vous ont motivé à devenir un organisateur de concert.
Le fait d’être infirmier libéral m’a beaucoup enseigné dans ma philosophie de vie, cela m’a appris à aller vers un « monde refuge » qui pour moi est la musique où mon activité d’organisateur trouve sa place. J’ai côtoyé la souffrance dans mon métier, c’est une leçon de vie. Vous avez un grand nombre de cicatrices et de claques que de voir des gens partir si jeunes, qui n’ont même pas vécu, qui n’ont pas eu l’occasion d’avoir fait à temps ce qu’il fallait faire, qui ne se sont pas réalisés. C’est pourquoi je ne peux pas séparer le facteur vie du facteur détente, je ne m’arrête jamais de travailler. Les gens qui veulent mettrent fin à leur vie… à cette idée, je ne vois aucune excuse. Je n’ai pas de moment où je m’ennuie et je m’en voudrais ! Si cela arrivait, ce serait la fin, tragique, la vie devant être vécue. C’est mon côté exacerbé, écorché qui me fait agir. J’ai fortement ce besoin qu’on a en soi d’apporter à autrui et d’aider. Je ne suis pas là pour moi mais pour autrui. C’est ce que je fais avec la musique, pas pour me faire plaisir – car sinon j’écouterai tranquillement les concerts sans la fatigue de l’organisation. Je le fais afin de mettre tout en œuvre pour apporter aux gens une certaine profondeur dans cette vie. J’ai eu des confidences, j’ai été de ces gens qui apportent un peu de chaleur à quelqu’un qui va mourir, j’ai vu sur un visage un sourire, je suis rentré content, satisfait et c’était un paradoxe car cette personne peut-être était morte dans la soirée : un sourire, c’est quelque chose qui vous « force » une vie, qui vous donne objectivité et relativité. Ce qui explique que je continue, tenace ; cette expérience prend d’autres manières dans ma vie, des manières constructives, le sport, la musique. J’ai maintenant mon entreprise de mise en forme et j’ai le festival.
Excepté le concert, avez-vous un autre endroit privilégié pour écouter la musique ?
Ma voiture ! C’est mon sanctuaire, mon lieu. Malheureux ceux qui n’ont pas de refuge artistique. L’art, c’est ce re-situer sur une échelle du temps. Un morceau de musique, c’est un moment à part, et même un moment de l’Histoire. Se réfugier dans le passé est un mouvement naturel qui ressource : le passé permet de se re-stabiliser, c’est l’attitude de ceux qui aiment les vieux meubles, la pierre.
Propos recueillis par Cédric Costantino
Addenda
Au moment où nous mettons en ligne, Gilles Colombani nous adresse en complément à l’entretien qu’il a bien voulu nous réserver ce texte de Philippe Beaussant, citation extraite de son livre référence « vous avez dit baroque ? », dont le contenu et les idées énnoncées accréditent davantage, la création d’un festival d’Art Baroque à Saint-Maximin précisémenent :
".... après quelques dix années passées à l'étranger, je ne connaissais plus grand monde en France parmi les musiciens...... J'avais aussi un grand appétit des paysages de Provence, que le climat d'Australie du Sud m'avait souvent évoqués, sans m'en offrir les senteurs. J'habitais donc dans le midi et c'est naturellement à Saint-Maximin que je renouai avec la Musique qui, entre temps s'était naturalisée baroque. Je retrouvai le grand Vaisseau de la Basilique, filant grand large babord, amures sous le Mistral, parmi une houle de rangs de vigne et d'oliviers, chargé de ses trésors : scintillement de pleins jeux, éclat de trompettes en chamade, épices de cromornes, soieries et brocards de cornets et de cymbales, chargement rare et précieux d'un des derniers et des plus grands orgues français du XVIIIème... C'est là, autour de Michel Chapuis, d'André Isoir, de Francis Chapelet, de René Saorgin, de Pierre Bardon, que s'était constitué une sorte de laboratoire semi-clandestin, où se préparait la nouvelle naissance de la Musique ancienne.....
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