Festival de Menton
Depuis 56 ans, Menton donne sur le promontoire des deux églises baroques (une place au parvis de galet ouverte sur la mer) des concerts parmi les premiers du genre. L’année passée nous venions pour le concert du soir, des airs de Haendel, que l’on entendit fluides, quasi les mêmes que ceux chantés par Christophe Dumaux à Antibes quelques semaine auparavant, qui y fut supérieur en dramaturgie et en illusion du souffle à Sonia Prina ici invitée à Menton, un peu trop pleine de grâces, de simplicité de la respiration. Ainsi ne suffit-il pas de chaleur de timbre et de musicalité pour faire un grand récital. D’autant que l’oreille vagabonde alors et lui prend l’envie de s’intéresser au clavecin qui de manière impressionniste, par vague, arrivait à se faire entendre au milieu de l’orchestre, sans sonorisation, en plein air : une prouesse ! Mais venons en à Spinosi.
Une interview improvisée
Nous arrivions en plein après midi, bien à l’avance, on entendit fortuitement la répétition d’une petite messe de Mozart pour l’office religieux du 56ème festival de Menton qui eu lieu le lendemain. Quel orchestre que celui de Spinosi ! Quel moment de plaisir de l’entendre répéter ! Et quelle merveille, sa manière de transformer la maîtrise de Bretagne au diapason de son orchestre ! Surprise : avec Spinosi, homme véloce aux allures d’ « adulescent » (ne pas corriger le « u » c’est une notion de psychologie moderne !), s’est instauré d’emblée (il parait que c’est son don) un dialogue direct. Ainsi s’est improvisée une forme originale d’interview : l’autorisation de reporter la répétition sur le net.
Du swing dans le baroque…
Spinosi reçoit la presse chaleureusement. « C’est une répétition, dit-il, l’orchestre découvre l’œuvre, nous n’avons pas le temps de voir le second degré, d’affiner la lecture, d’analyser plus amplement les « sujet/verbe/complément ». Certaines choses ne peuvent ressortir vite dans une répétition, mais j’ai confiance à cause de l’habitude du concert qu’à l’ensemble avec moi : on tourne beaucoup, nous nous trouvons à répéter maintenant ce Mozart parce que nous avons fait un été marathon. Attelons nous à la tâche ! ». On écoute alors la répétition de l’orchestre seul. Effectivement, c’est de la modestie ce qui vient d’être dit ! L’orchestre est très habitué à lui, il répond spontanément à sa gestuelle. Sur toutes les partitions, sont écrits des signes de sa main, un code qui mâche le travail de la lecture, parfois des petits dessins humoristiques aussi évocateurs qu’un geste, un sourire par exemple… Pour l’heure, il avertit l’orchestre que jouer avec une Maîtrise d’enfant c’est «une grande rigueur métrique et en même temps il faut balancer à l’intérieur de la carrure » : grâce aux gestes et aux signes il y arrive dès cette répétition. Le « micro-rubato », un certain « swing » c’est sa marque de fabrication ! « Avec une maîtrise, il faut décomposer le quatre temps, mais vous devez continuer à penser à deux temps : regardez ma main ». Plus tard, il me redira cette même notion avec des gestes : il tourne en rond une main sur la tête assez vite et il tourne l’autre main sur le ventre plus lentement : « c’est toute la problématique de « ça » ! ». Mieux vaut un geste drôle qu’une parole. Une vérité de tous les temps : comment garder une pulsation fixe et en même temps donner un rubato à la phrase musicale. Ainsi fut la sprezzatura ancienne (quoique bien plus libre), l’art de « voler les temps » rococo au XVIIIème siècle, le jeu rhapsodique d’un Rachmaninov. Eternel problème. « La musique quoi… »
Une gestuelle comme un toucher de clavecin
La gestuelle de Spinosi mérite la comparaison avec le touché du clavecin. Lorsque l’on passe d’une touche à l’autre, une infime respiration joue avec le plectre et l’étouffoir, donne la force haletante de la viole aux cordes figées de l’instrument, et la vie surgit. Le bras du chef possède de même ces infimes respirations et anime, par transmission de pensée, le souffle de son orchestre. Voilà le propre des grands chefs, c’est extraordinaire lorsque cela se voit à l’oeil nu et que c’est la musique même qui s’exprime. Extraordinaire lorsqu’elle naît spontanément au milieu de ce qui aurait pu, sans cela, être la masse informe d’une première lecture. L’orchestre, moulé dans ses habitudes, donne déjà toutes les grandes lignes des intentions voulues et lui, ne fait qu’approfondir ce qui est déjà compris. La justesse surtout, avec gentillesse, Spinosi ne pardonne rien ! « Les phrases énormément ! » Et quel plaisir d’entendre Mozart respirer un bon air baroque ainsi ! Spinosi chante en dirigeant : il n’est pas quelqu’un qui exprime ses volontés en théoricien. Il est dans le sensuel, ses expressions sont animales, ce ne sont que mi-mots, gestuelles, pronoms deïtiques (« ça », « là », etc.) - et le message passe mieux : il se situe en effet toujours au milieu du ressenti, celui du chef mais aussi des musiciens. Tout en se balançant, Spinosi explique : « Ce Sanctus c’est comme des cloches ! ».
Une manière spontanée de communiquer avec les journalistes…
Par hasard (non pas car tout est structuré chez lui malgré l’apparence), il regarde votre représentant de Classiquenews, improvise une pause, laissant l’orchestre, se déplace vers lui et explique sa manière de voir. C’est tout un débat improvisé sur les différents styles ! « Vous savez, dit-il, il n’y a pas qu’une seule manière de jouer. Moi, quand j’entends les grands, tels Harnoncourt, Boge, je suis content d’entendre des tempéraments différents, ces manières divergentes de jouer le message que chacun veut faire passer. C’est pareil pour ce que je fais, il n’y a pas de vérité unique en musique baroque. Je ne comprends pas ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une manière de jouer, un peu comme si Vivaldi jouait du violon de la même manière que Pisandel, comme si Mozart interprétait ses œuvres comme Salieri… rien que dans l’écriture, entre Haendel, Vivaldi, Bach, ouah ! quelle différence ! ». En l’écoutant répéter, on se faisait la même réflexion : télépathie ? « C’est la diversité qui fait la musique, ajoute-t-il. L’école flamande qui impose sa loi dans les conservatoires, je n’ai rien contre elle, je l’admire même dans ses principes, mais je ne comprends pas pourquoi elle cherche à uniformiser les gens et qu’on la prend pour vérité première ! ». De là, il ré explique son travail sur la pulsation très solide pour la maîtrise et en même temps laissant libre cour à la fluidité de l’orchestre, insiste sur l’aspect « répétition non approfondie » pour cette messe et conclue « mais avec Internet c’est génial, on peut développer de nouveaux genres, j’adore cette idée de relater la répétition par écrit ! »
Un contact fluide avec les musiciens de l’orchestre
La répétition reprend, c’est l’Agnus Dei : « c’est toujours extraordinaire l’Agnus Dei, là vers la troisième mesure, il y a « quelque chose » qu’il faut qu’on sente (avec le geste) ! Regardez « çà » (il montre au fond une magnifique Madonne) hein, c’est beau !!! Il faut que vous entendiez en vous au dessus ce que chante la maîtrise, Agnus Dei ! ». Phrase floue ou bien baroque ? Accompagnée des gestes, elle illustre le principe agonique même de cet Agnus Dei. Tout est « à peu prés » dans son expression mais physiquement précis. « Quelque part, le tempo ! Même s’il est beaucoup plus lent que ce qu’il faudrait à cause de la maîtrise, vous pouvez faire beaucoup plus swing ! » Et cette fois-ci c’est la battue à 3 qui est démultipliée pour la cause mais l’orchestre doit jouer à un temps. Voilà une autre pause, Spinozi mène son autorité de façon moderne, il est « pote » avec les musiciens, rigole avec eux, les musiciens se lèvent pour venir le voir et bourdonnent autour d’un maître d’école charismatique. C’est une classe sans terreur.
Une tendresse pour les enfants
Arrive la maîtrise de Bretagne qui chante en compagnie de l’orchestre. En peu de mots elle est métamorphosée : « est-ce que je peux avoir un élan vers la quatrième mesure ». Serait-ce si simple que cela, faire surgir la musique ? Simplement demander « un élan ici » ! Toujours avec le geste accompagnateur et combien utile, il ajoute : « vous allez vers la mesure huit parce qu’à la mesure neuf, il y a une nuance harmonique : crescendo décrescendo, on monte, on descend ». Appel pédagogique aux différents registres du langage. « Il faut que vous sentiez l’harmonie classique, (il chante les notes) soyez plus naturels tout simplement. » ; « Exagérez un peu les contrastes maintenant à cause de l’acoustique, faites plus dansant, car au quatrième rang ce ne sera juste que de belles nuances ! ». Il les regardent : « mais d’habitude comment vous placez les solistes ? » ; « Toi, petit, est-ce que çà te perturbe si je te mets ailleurs ?» ; « et toi comment tu t’appelles ? » ; « bon ! J’essaie de retenir tous les prénoms, si je me trompe vous me le dites ! ». Et il déplace les chefs de pupitres pour les mettre en chiasme. Au rang supérieur au milieu il y a le ténor et à sa droite la basse, au rang du bas, au milieu, la soprano et à sa droite le tout petit alto. Le son en est tout de suite renforcé par rapport à la basilique. Plus loin encore, jaillit une phrase typique : « chez Mozart il ne faut pas avoir peur d’envoyer ce genre de nuances qui font un peu peur »… « et chantez la mesure vingt deux culminante. C’est bien bravo ! » ; Satisfaction : « elle est très dynamique la maîtrise de Rennes, waouh ! ».
La Maîtrise de Bretagne
Effectivement, même sans Spinosi, la faconde de la maîtrise est très musicale : elle se trouve bien d’être poussée encore plus loin dans cette petite répétition. « La fugue, vous pouvez encore plus durcir les consonnes » et là, il explique le procédé de la phrase, le fait travailler à part. « cette projection du son que vous avez, il ne faut pas la penser pour trois quatre mètres, l’orchestre fait barrage sonore ! Il faut que vous exagériez, avec une prononciation outrée. » La répétition est patronne de l’enseignement. Or il pense à tous, dirige ailleurs son regard et s’adresse à l’orchestre : « n’oubliez pas votre petit swing ! Et puis vous ne faites pas assez la balance, vous jouez trop fort pour les enfants dans les solos. Les pauvres petits ! Cela fait comme si vous êtes des éléphants ! Hier avec Sonia, waouh ! Mais là, j’adapte. (se tournant vers les enfants) c’est très beau, c’est un très, très joli chant ! ». Dire sans froisser…
Juste ce qu’il faut de détente dans le labeur
Et cela continue de plus belle, c’est le moment le plus intense de la répétition : « Il faut alimenter le côté surprenant de la partition, ok ! Un peu d’hémiole, c’est pas pour l’hémiole, mais il faut qu’il y ait un « fa » dans les paroles, dans la musique. » ; C’est alors que pour l’Incarnatus, par le geste tirant l’élan de l’orchestre, il amène la maîtrise au sublime. Une symbiose de tous s’est créée et chacun est entré dans l’esprit Spinosi. Pourtant il refait tout ce passage dans le détail pour mettre en valeur un si bémol. Le chef de la maîtrise, J.M. Noël attentif à ses « bébés » intervient en catimini : « plus clair le « i » pour la justesse (il fait le signe du sourire pour étirer la bouche) ». Voilà quelqu’un qui apporte d’autres dons pédagogiques ! Lorsque Spinozi a fini de faire travailler cette note à part, il détend l’atmosphère pour la section suivante, plus facile. C’est là encore un savoir faire du rythme didactique. Il s’amuse, plaisante « L’ascension doit commencer en plus piano pour monter au ciel (il saute vers le plafond !) ». Mais il reste efficacement dompteur des voix : « il a le contact, c’est sûr ! » nous dit un musicien de l’orchestre.
Souci de l’acoustique
Un peu inquiet pour l’acoustique, notre homme va l’écouter au loin et laisse la direction à J.M. Noël. A l’instant le swing de l’orchestre disparaît et c’est une direction plus germanique, au demeurant très émouvante aussi. Spinosi revient et avec lui cette petite flamme de fantaisie qui brille dans sa direction. Dans le Benedictus il trouve les mots justes pour tranquilliser la petite soprano qui, habituée à une hauteur des sons (parce qu’elle pratique aussi le violon), est perturbée par le changement baroque de diapason. Dans l’Agnus Dei on entend grâce à la présence de la maîtrise le pourquoi du travail précédant sur l’effet des violons. Il s’arrête un instant pour anticiper une difficulté qu’il a deviné dans la maîtrise. Le ré de la mesure 7. Puis il reprend, au passage, dit à l’orchestre à propos d’un conduit « il ne faut pas jouer piano ici ! ». Il conclue « c’est la première fois que je joue cette messe et elle est très belle ! Bravo à tous ! Amen ! » La messe est dite ! (mese brève en ré mineur k 65)
Depuis 56 ans, Menton donne sur le promontoire des deux églises baroques (une place au parvis de galet ouverte sur la mer) des concerts parmi les premiers du genre. L’année passée nous venions pour le concert du soir, des airs de Haendel, que l’on entendit fluides, quasi les mêmes que ceux chantés par Christophe Dumaux à Antibes quelques semaine auparavant, qui y fut supérieur en dramaturgie et en illusion du souffle à Sonia Prina ici invitée à Menton, un peu trop pleine de grâces, de simplicité de la respiration. Ainsi ne suffit-il pas de chaleur de timbre et de musicalité pour faire un grand récital. D’autant que l’oreille vagabonde alors et lui prend l’envie de s’intéresser au clavecin qui de manière impressionniste, par vague, arrivait à se faire entendre au milieu de l’orchestre, sans sonorisation, en plein air : une prouesse ! Mais venons en à Spinosi.
Une interview improvisée
Nous arrivions en plein après midi, bien à l’avance, on entendit fortuitement la répétition d’une petite messe de Mozart pour l’office religieux du 56ème festival de Menton qui eu lieu le lendemain. Quel orchestre que celui de Spinosi ! Quel moment de plaisir de l’entendre répéter ! Et quelle merveille, sa manière de transformer la maîtrise de Bretagne au diapason de son orchestre ! Surprise : avec Spinosi, homme véloce aux allures d’ « adulescent » (ne pas corriger le « u » c’est une notion de psychologie moderne !), s’est instauré d’emblée (il parait que c’est son don) un dialogue direct. Ainsi s’est improvisée une forme originale d’interview : l’autorisation de reporter la répétition sur le net.
Du swing dans le baroque…
Spinosi reçoit la presse chaleureusement. « C’est une répétition, dit-il, l’orchestre découvre l’œuvre, nous n’avons pas le temps de voir le second degré, d’affiner la lecture, d’analyser plus amplement les « sujet/verbe/complément ». Certaines choses ne peuvent ressortir vite dans une répétition, mais j’ai confiance à cause de l’habitude du concert qu’à l’ensemble avec moi : on tourne beaucoup, nous nous trouvons à répéter maintenant ce Mozart parce que nous avons fait un été marathon. Attelons nous à la tâche ! ». On écoute alors la répétition de l’orchestre seul. Effectivement, c’est de la modestie ce qui vient d’être dit ! L’orchestre est très habitué à lui, il répond spontanément à sa gestuelle. Sur toutes les partitions, sont écrits des signes de sa main, un code qui mâche le travail de la lecture, parfois des petits dessins humoristiques aussi évocateurs qu’un geste, un sourire par exemple… Pour l’heure, il avertit l’orchestre que jouer avec une Maîtrise d’enfant c’est «une grande rigueur métrique et en même temps il faut balancer à l’intérieur de la carrure » : grâce aux gestes et aux signes il y arrive dès cette répétition. Le « micro-rubato », un certain « swing » c’est sa marque de fabrication ! « Avec une maîtrise, il faut décomposer le quatre temps, mais vous devez continuer à penser à deux temps : regardez ma main ». Plus tard, il me redira cette même notion avec des gestes : il tourne en rond une main sur la tête assez vite et il tourne l’autre main sur le ventre plus lentement : « c’est toute la problématique de « ça » ! ». Mieux vaut un geste drôle qu’une parole. Une vérité de tous les temps : comment garder une pulsation fixe et en même temps donner un rubato à la phrase musicale. Ainsi fut la sprezzatura ancienne (quoique bien plus libre), l’art de « voler les temps » rococo au XVIIIème siècle, le jeu rhapsodique d’un Rachmaninov. Eternel problème. « La musique quoi… »
Une gestuelle comme un toucher de clavecin
La gestuelle de Spinosi mérite la comparaison avec le touché du clavecin. Lorsque l’on passe d’une touche à l’autre, une infime respiration joue avec le plectre et l’étouffoir, donne la force haletante de la viole aux cordes figées de l’instrument, et la vie surgit. Le bras du chef possède de même ces infimes respirations et anime, par transmission de pensée, le souffle de son orchestre. Voilà le propre des grands chefs, c’est extraordinaire lorsque cela se voit à l’oeil nu et que c’est la musique même qui s’exprime. Extraordinaire lorsqu’elle naît spontanément au milieu de ce qui aurait pu, sans cela, être la masse informe d’une première lecture. L’orchestre, moulé dans ses habitudes, donne déjà toutes les grandes lignes des intentions voulues et lui, ne fait qu’approfondir ce qui est déjà compris. La justesse surtout, avec gentillesse, Spinosi ne pardonne rien ! « Les phrases énormément ! » Et quel plaisir d’entendre Mozart respirer un bon air baroque ainsi ! Spinosi chante en dirigeant : il n’est pas quelqu’un qui exprime ses volontés en théoricien. Il est dans le sensuel, ses expressions sont animales, ce ne sont que mi-mots, gestuelles, pronoms deïtiques (« ça », « là », etc.) - et le message passe mieux : il se situe en effet toujours au milieu du ressenti, celui du chef mais aussi des musiciens. Tout en se balançant, Spinosi explique : « Ce Sanctus c’est comme des cloches ! ».
Une manière spontanée de communiquer avec les journalistes…
Par hasard (non pas car tout est structuré chez lui malgré l’apparence), il regarde votre représentant de Classiquenews, improvise une pause, laissant l’orchestre, se déplace vers lui et explique sa manière de voir. C’est tout un débat improvisé sur les différents styles ! « Vous savez, dit-il, il n’y a pas qu’une seule manière de jouer. Moi, quand j’entends les grands, tels Harnoncourt, Boge, je suis content d’entendre des tempéraments différents, ces manières divergentes de jouer le message que chacun veut faire passer. C’est pareil pour ce que je fais, il n’y a pas de vérité unique en musique baroque. Je ne comprends pas ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une manière de jouer, un peu comme si Vivaldi jouait du violon de la même manière que Pisandel, comme si Mozart interprétait ses œuvres comme Salieri… rien que dans l’écriture, entre Haendel, Vivaldi, Bach, ouah ! quelle différence ! ». En l’écoutant répéter, on se faisait la même réflexion : télépathie ? « C’est la diversité qui fait la musique, ajoute-t-il. L’école flamande qui impose sa loi dans les conservatoires, je n’ai rien contre elle, je l’admire même dans ses principes, mais je ne comprends pas pourquoi elle cherche à uniformiser les gens et qu’on la prend pour vérité première ! ». De là, il ré explique son travail sur la pulsation très solide pour la maîtrise et en même temps laissant libre cour à la fluidité de l’orchestre, insiste sur l’aspect « répétition non approfondie » pour cette messe et conclue « mais avec Internet c’est génial, on peut développer de nouveaux genres, j’adore cette idée de relater la répétition par écrit ! »
Un contact fluide avec les musiciens de l’orchestre
La répétition reprend, c’est l’Agnus Dei : « c’est toujours extraordinaire l’Agnus Dei, là vers la troisième mesure, il y a « quelque chose » qu’il faut qu’on sente (avec le geste) ! Regardez « çà » (il montre au fond une magnifique Madonne) hein, c’est beau !!! Il faut que vous entendiez en vous au dessus ce que chante la maîtrise, Agnus Dei ! ». Phrase floue ou bien baroque ? Accompagnée des gestes, elle illustre le principe agonique même de cet Agnus Dei. Tout est « à peu prés » dans son expression mais physiquement précis. « Quelque part, le tempo ! Même s’il est beaucoup plus lent que ce qu’il faudrait à cause de la maîtrise, vous pouvez faire beaucoup plus swing ! » Et cette fois-ci c’est la battue à 3 qui est démultipliée pour la cause mais l’orchestre doit jouer à un temps. Voilà une autre pause, Spinozi mène son autorité de façon moderne, il est « pote » avec les musiciens, rigole avec eux, les musiciens se lèvent pour venir le voir et bourdonnent autour d’un maître d’école charismatique. C’est une classe sans terreur.
Une tendresse pour les enfants
Arrive la maîtrise de Bretagne qui chante en compagnie de l’orchestre. En peu de mots elle est métamorphosée : « est-ce que je peux avoir un élan vers la quatrième mesure ». Serait-ce si simple que cela, faire surgir la musique ? Simplement demander « un élan ici » ! Toujours avec le geste accompagnateur et combien utile, il ajoute : « vous allez vers la mesure huit parce qu’à la mesure neuf, il y a une nuance harmonique : crescendo décrescendo, on monte, on descend ». Appel pédagogique aux différents registres du langage. « Il faut que vous sentiez l’harmonie classique, (il chante les notes) soyez plus naturels tout simplement. » ; « Exagérez un peu les contrastes maintenant à cause de l’acoustique, faites plus dansant, car au quatrième rang ce ne sera juste que de belles nuances ! ». Il les regardent : « mais d’habitude comment vous placez les solistes ? » ; « Toi, petit, est-ce que çà te perturbe si je te mets ailleurs ?» ; « et toi comment tu t’appelles ? » ; « bon ! J’essaie de retenir tous les prénoms, si je me trompe vous me le dites ! ». Et il déplace les chefs de pupitres pour les mettre en chiasme. Au rang supérieur au milieu il y a le ténor et à sa droite la basse, au rang du bas, au milieu, la soprano et à sa droite le tout petit alto. Le son en est tout de suite renforcé par rapport à la basilique. Plus loin encore, jaillit une phrase typique : « chez Mozart il ne faut pas avoir peur d’envoyer ce genre de nuances qui font un peu peur »… « et chantez la mesure vingt deux culminante. C’est bien bravo ! » ; Satisfaction : « elle est très dynamique la maîtrise de Rennes, waouh ! ».
La Maîtrise de Bretagne
Effectivement, même sans Spinosi, la faconde de la maîtrise est très musicale : elle se trouve bien d’être poussée encore plus loin dans cette petite répétition. « La fugue, vous pouvez encore plus durcir les consonnes » et là, il explique le procédé de la phrase, le fait travailler à part. « cette projection du son que vous avez, il ne faut pas la penser pour trois quatre mètres, l’orchestre fait barrage sonore ! Il faut que vous exagériez, avec une prononciation outrée. » La répétition est patronne de l’enseignement. Or il pense à tous, dirige ailleurs son regard et s’adresse à l’orchestre : « n’oubliez pas votre petit swing ! Et puis vous ne faites pas assez la balance, vous jouez trop fort pour les enfants dans les solos. Les pauvres petits ! Cela fait comme si vous êtes des éléphants ! Hier avec Sonia, waouh ! Mais là, j’adapte. (se tournant vers les enfants) c’est très beau, c’est un très, très joli chant ! ». Dire sans froisser…
Juste ce qu’il faut de détente dans le labeur
Et cela continue de plus belle, c’est le moment le plus intense de la répétition : « Il faut alimenter le côté surprenant de la partition, ok ! Un peu d’hémiole, c’est pas pour l’hémiole, mais il faut qu’il y ait un « fa » dans les paroles, dans la musique. » ; C’est alors que pour l’Incarnatus, par le geste tirant l’élan de l’orchestre, il amène la maîtrise au sublime. Une symbiose de tous s’est créée et chacun est entré dans l’esprit Spinosi. Pourtant il refait tout ce passage dans le détail pour mettre en valeur un si bémol. Le chef de la maîtrise, J.M. Noël attentif à ses « bébés » intervient en catimini : « plus clair le « i » pour la justesse (il fait le signe du sourire pour étirer la bouche) ». Voilà quelqu’un qui apporte d’autres dons pédagogiques ! Lorsque Spinozi a fini de faire travailler cette note à part, il détend l’atmosphère pour la section suivante, plus facile. C’est là encore un savoir faire du rythme didactique. Il s’amuse, plaisante « L’ascension doit commencer en plus piano pour monter au ciel (il saute vers le plafond !) ». Mais il reste efficacement dompteur des voix : « il a le contact, c’est sûr ! » nous dit un musicien de l’orchestre.
Souci de l’acoustique
Un peu inquiet pour l’acoustique, notre homme va l’écouter au loin et laisse la direction à J.M. Noël. A l’instant le swing de l’orchestre disparaît et c’est une direction plus germanique, au demeurant très émouvante aussi. Spinosi revient et avec lui cette petite flamme de fantaisie qui brille dans sa direction. Dans le Benedictus il trouve les mots justes pour tranquilliser la petite soprano qui, habituée à une hauteur des sons (parce qu’elle pratique aussi le violon), est perturbée par le changement baroque de diapason. Dans l’Agnus Dei on entend grâce à la présence de la maîtrise le pourquoi du travail précédant sur l’effet des violons. Il s’arrête un instant pour anticiper une difficulté qu’il a deviné dans la maîtrise. Le ré de la mesure 7. Puis il reprend, au passage, dit à l’orchestre à propos d’un conduit « il ne faut pas jouer piano ici ! ». Il conclue « c’est la première fois que je joue cette messe et elle est très belle ! Bravo à tous ! Amen ! » La messe est dite ! (mese brève en ré mineur k 65)
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