dimanche 14 août 2005

Interview de Guillaume Conneson à Saint-Jean Cap Ferrat à l'occasion de sa Medea

A l’occasion du festival de musique de chambre de Beaulieu-Saint-Jean Cap Ferrat de Antoine Landowski, la Medea de Guillaume Connesson accompagnée de la Chanson perpétuelle de Ernest Chausson. Le parallèle est évocateur, une vraie filiation. La mezzo-soprano fut Blandine Staskiewicz (révélation ADAMI 2004), sans discuter, la plus merveilleuse interprète entendue sur la Côte d’Azur cet été : une faconde vocale chaleureuse, une expressivité réellement vécue et tragique, parfaitement au service des œuvres. Le style de Connesson a suscité déjà beaucoup de commentaires, d’aucun y voit l’influence de Puccini mêlée à celle de Fauré, d’autres y entendent Scriabine et Bartók. Peut-être, effectivement, le goût pour la sensualité et de la phrase vocale large rappelle les grands italiens, mais le style, français jusqu’au bout des ongles, raffiné, prosodique, indicible, se rattache à la grande école allant de Gounod et Fauré justement, jusqu’à Messiaen et Landowki. Mais, finalement, si toutes ses influences partagent la critique, n’est ce pas qu’un caractère personnel prévaut dans son œuvre ? Œuvre attachée à une tradition certes, ne sonnant pas des plus moderniste, faite de beau, mais dont la force première est la puissance dramatique, celle d’un homme de son temps, osant plus d’extrême et de violence que ce que pouvait accepter le milieu du siècle dernier. Une puissance dramatique proche de l’impact direct des images télévisuelles. Est quasi retranscrite dans Médée cette absence de protection entre l’information et le percepteur dans les médias actuels. Tel est son auditeur : désarmé et nu. Voyons en Guillaume Connesson un futur grand de l’opéra.

Ce qui frappe d’emblée c’est la force dramatique de Médée. Qu’est-ce qui vous a aidé à arriver à ce degré de dramaturgie… quels seraient les secrets du compositeur pour retranscrire l’émotion du théâtre selon vous ?

Mais d’abord le choix du texte : ici j’avais un texte tellement fort et théâtral ! j’avais déjà dans ma jeunesse aimé la Médée de Sénèque et je trouvais là un texte français qui la retranscrivait avec une puissance dramatique inouïe. La musique est là pour en faire ressortir les lignes de forces. Il est intéressant d’écrire pour le théâtre : il y a tout un rapport avec le geste musical, il faut intégrer les déplacements, les silences, les musiques « entre » le texte qui sont un temps de respiration : par exemple combien de temps faut-il pour aller chercher son poignard ? C’est un rythme interne difficile à trouver. Verdi est extraordinaire pour cela. Chez lui on entend véritablement ce rapport au rythme théâtral. J’ai essayé de m’appliquer à cela. J’ai commencé par un cycle de mélodie, puis un oratorio plus théâtral, j’ai continué par ce monologue de Médée, vrai marche pied vers l’opéra.

Et dans la musique elle-même, qu’est ce qui pour vous représente sa force dramaturgique ?

La force de la musique ? La musique se doit d’être expression, elle n’est pas faite pour être jolie ! J’ai toujours préféré le beau au joli… le beau est quelque chose qui vient de l’expression. Dans toute pièce que j’écris, je tâche de mettre l’expression la plus juste. Le texte de Médée est particulièrement violent, l’idée de tuer les enfants c’est une affaire ! j’ai essayé de rendre l’harmonie plus violente qu’habituellement. J’avais déjà abordé le thème de la mort avec des poèmes de Péguy et c’était plus sensuel, c’était des poèmes approchant mort dans une optique catholique, croyance, espérance et désespoir (ma transcription n’est pas claire ici), et ce sur un assemblage de six poèmes. L’expression dans la musique est basée sur les couleurs de l’harmonie les contrastes, tous les paramètres : la mélodie, le rythme les inflexions vocales. Tout doit être expression sinon c’est raté.

Ce qui frappe dans Médée c’est aussi la participation des couleurs de l’orchestration à la dramaturgie (clarinette, violoncelle, piano). Qu’est-ce qui vous a poussé à ce choix particulier ?

Ma première idée était le grand orchestre. Mais pour des raisons pratiques il me fut conseillé de m’orienter vers un petit orchestre. Je me posais la question du choix des timbres. Trois ou quatre instruments. Je voulais absolument le piano pour la base harmonique. Idée de l’instrument pour caractériser Jason s’imposa d’elle même car traditionnellement le violoncelle est la voix humaine. Restait la clarinette : elle est à la fois le aulos grec qui annonce la tragédie et en même temps la voix de la tendresse maternelle - et aussi le crime avec le thème de la haine, exposé par la clarinette et repris par el violoncelle.

Vous en parliez avec le public du concert, quel est votre rapport en tant que compositeur avec la langue française.

La langue française est particulière. A la fois musicale et en même temps très ingrate par son absence d’accents forts, son rythme particulier. Elle est ainsi très difficile à manier. Le texte de Vauthier, on en a parlé, est un texte étonnant mais aussi étonnamment musical comme si l’auteur pensait à une mise en musique. Il est très rare chez moi de garder intégralement le texte premier, de ne rien modifier. Là c’était inutile, la puissance de ses mots est extrêmement musicale, vraiment le texte était prêt tel quel. C’est un réel problème la mise en musique… « musicaliser » est difficile ! Difficile à dire aussi pourquoi le texte tombe bien ou non. Souvent il faut quelqu’un qui s’y connaisse en musique et sait l’effet voulu. Bien sûr, il y a les grands poètes et les affinités que peuvent avoir les compositeurs avec eux. Mais parfois ces poètes sont déjà Musique, comme Verlaine par exemple : ce serait trop de musique : on ne peut pas musicaliser au dessus d’une musique. (pause) Il y a le rythme verbal, l’écriture même des mots. Poulenc une fois tomba amoureux d’une phrase et c’est ce qui le poussa à la mise en musique du Dialogue des Carmélites. Souvent quelques phrases, très proches de vous, suscitent l’envie de la mise en musique à la seconde même : c’est le pouvoir magique des mots. Il est dans la musique virtuelle cachée à l’intérieur d’eux.

Deux questions liées : quel serait le ou les compositeurs proche de vous, que vous aimez. Quels seraient aussi ceux qui vous ont influencés.

Elles sont liées en effet et l’on ne peut répondre séparément. Ma première réponse est François Couperin, celui des Leçons de Ténèbres. Puis je dis : Mozart. Raffinement, qualité de la ligne mélodique et de l’homme, je l’aime pour tout ! Ensuite Wagner, pour la puissance de l’impression. Pas de musique qui me produise autant d’émotion… je le cite aussi pour l’écriture vocale que j’admire. Dans les contemporains : Messiaen. Je pense lui devoir tant. Pendereski aussi, car, pour le théâtre, c’est un formidable musicien. D’ailleurs le théâtre est le point commun entre tous les compositeurs cités, le centre de mes affections musicales. Il y a aussi John Adams dont on sent l’influence chez moi, pas ici dans Médée, mais dans ma musique d’orchestre. Je ne peux pas séparer ceux à qui je dois et ceux que j’aime. Les gens qui sont avec vous, en vous, influencent forcément ! et je pense que c’est pareil pour les grands musiciens que j’aime… Mais pour continuer je pense aussi à Debussy, bien sûr ; Karl Orff : j’aimais énormément sa musique quand j’avais 20 ans ! On trouve chez lui un rapport au théâtre et à la rythmique des mots. Et puis Marcel Landowski, d’ailleurs pour cette pièce (Médée) son influence est fondamentale. Et je suis doublement heureux d’être à ce festival et touché d’être un petit peu là avec Marcel. Humainement déjà j’aimais profondément ce grand homme en plus du grand musicien qu’il était. Touché, oui, de donner cette œuvre ici pour son petit fils, Antoine, et que tout ce que j’ai vécu avec Marcel Landowski se continue à travers la composition, ce festival et tout ça (montrant la table du repas dans le jardin de la villa du beau-frère de Marcel Landowski) !

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