vendredi 31 décembre 2010

Le Petit Faust d’Hervé, une oeuvre exquise qui aura de la gloire bientôt dans nos théâtres


Il n’y a pas qu’Offenbach qui écrivit de belles opérettes sous l’Empire : quel chef-d’œuvre que le Petit Faust d’Hervé, cette oeuvres sera bientôt à nouveau célèbre, c'est certain...

Or donc, le père de l’opérette, c’est Hervé ! D’accord, Offenbach s’est hissé à un niveau d’inspiration inouï, il savait mouler toute inspiration sur sa langue adoptive, il en est même l’un des plus grands prestidigitateurs, c’est entendu, mais Hervé est délicieux, raffiné, irrésistible et pataphysicien avant l’heure. Américains qui aimaient le music hall, qui vénéraient les Folies bergères et le Moulin rouge, les dessins de Toulouse Lautrec et de Degas, qui voyaient Paris avec les yeux de la joie parisienne, pourquoi donc vous passez dans les rues qui portent le nom d’ « Hervé » sans savoir qui il est ce drôle : partie entière de ce rêve ! Comment ! Vous ignorez encore que L’œil crevé, Chilpéric, Le petit Faust et Mam’zelle Nitouche (voir le film éponyme avec Fernandel) sont d’irrésistibles éclats de rire ?

« Hervé », de son vrai nom Florimond Ronger avait un papa brigadier qui mourut en 1834, quand le petit avait 9 ans. Sa maman prend alors les trois enfants qui lui restait, et part d’Artois pour Paris. Elle s’éreinte, Florimond a de la sensibilité et ce petit maîtrisien à Saint Roch, par un jour de balade, touche l’orgue de l’Hospice des fous de Bicêtre, improvise, se fait remarquer par l’abbé, lequel avait grand besoin d’un organiste. Aussitôt l’adolescent de 14 ans est embauché avec logement pour toute sa famille, un travail de blanchisseuse pour sa maman, une fenêtre sur la tristesse des aliénés.


Il remarque alors que quand il joue de l’harmonium dans sa chambre, cela fait de la musicothérapie de l’autre côté de la cour. Il obtient de monter des scénettes avec les pensionnaires de Bicêtre, la première opérette fut donc jouée à l’hôpital psychiatrique : elle s’appelait l’Ours et le Pacha. C’est l’histoire d’un pacha qui a un ours noir qui est mort (personne n’ose lui dire), à qui l’on offre un autre ours blanc très adroit qui est un faux ours. Aussitôt il ordonne de le confronter à son ours noir dont on revêt la peau. Les têtes noire et blanche sont emmêlées d’un corps d’ours à l’autre et le pacha qui n’y comprend plus rien pardonne à tout le monde.


Florimond est ensuite organiste à Saint Eustache, ce n’est pas assez pour vivre, il aime toujours le théâtre, il y fait pianiste, puis acteur puis ténor, puis chef d’orchestre et administrateur et surtout compositeur sous le pseudo d’Hervé - on le virera de sa tribune d’organiste quand son succès sera trop retentissant, ce qui inspirera l’histoire de Mam’zelle Nitouche.


Notre « compositeur toqué » (c’est le nom d’une de ses œuvres) monte sa propre boite, les Folies-Nouvelles, lance lui-même la carrière d’Offenbach avec Oyayaye Reine des îles, y chantant avec son complice Joseph Kelm. Notre « compositeur toqué » peut s’enorgueillir de la gloire d’avoir enchanté Richard Wagner lors d’une soirée par sa spiritualité et sa gaîté folle, il se trouvèrent le point commun d’écrire eux-même leur livret, Wagner écrira les Maîtres chanteurs et y utilisera la technique du « Coq à l’âne » chère à Hervé.


Après bien des péripéties, un voyage en Egypte, plusieurs théâtres et café concerts comme l’Eldorado, revues et chanteuses, Hervé avait pris du retard sur Offenbach qui avait agrandi l’opérette à trois actes et conquis le monde par les succès d’Orphée aux enfers, La Belle Hélène et Barbe-bleue. Aux Folies Dramatiques, Hervé consacre sa gloire avec la célèbre trilogie des années 1867-69 : l’Œil crevé, Chilpéric, Le petit Faust.

Dans le Petit Faust, ce chef d’œuvre absolu, Hervé s’inspire évidemment du grand Faust de Gounod qui fêtait en 1869 ses 10 ans à l’Opéra. Faust donne un cours d’anatomie par une dissection, mais l’attitude des écoliers le navre : que l’on rapporte le cadavre ! Les écoliers, c’est Lisette et sa bande que Marguerite va bientôt mater. Arrive le soldat Valentin, frère de Marguerite, qui est sensé être à cheval dans une irrésistible parodie de « Gloire immortelle de nos aïeuls » bien en rythme militaire ! Valentin veut se débarrasser de sa sœur : il vent bien la marchandise, même si, quel malheur, cette fille a plus de seize ans, elle est déjà bien formée ! En apparence fleur de candeur, Marguerite est plein de désir d’aller plus loin : elle gifle les écoliers, séduit Faust, Marguerite, une vraie cocotte, une Nana de Zola, une entraîneuse.


Là dessus apparait Méphisto, soprano colorature ensorceleuse, embobineuse comme un rythme de sarabande, Faust redevient jeune et vive l’amour, plus d’école plus de pion, c’est la révolution !


A l’acte II, la « Kermesse » du Faust de Gounod est excellemment imitée dans sa forme par emboitement. Chez Hervé, les cocottes chantent un quadrige à l’esprit creux, les vieillards, dont la bourse régale, ont des ardeurs espagnoles de ténors, les étudiants à qui les filles font de l’œil philosophent sur le tabac et font semblant de rien, puis les trois chœurs chantent leur trois mélodies ensemble, magnifique et très habile quodlibet.


Méphisto annonce aux cocotte que Faust cherche sa Marguerite et divertit le public en chantant, comme chez Gounod Méphisto, la chanson « du Satrape et de la puce » ; Faust qui a mal à la tête chante soit disant blasé et ennuyé une polka toute espiègle ; Méphisto lui présente alors des marguerites, des anglaises, des françaises et des javanaises… mais sur un air aux airs romantiques de Gounod, il les rejette : « non vous n’êtes pas ma Marguerite ». Elle arrive, Marguerite, elle est reine, plus forte que Terpichore, l’idole des gandins, la charmeuse, la demi-mondaine parisienne ! Alors Méphist avertit Faust du danger, par une belle sarabande, la complainte des quatre saisons, fini l’humour, c’est la tristesse de la vie qui passe. Moment d’émotion, le plus célèbre à l’époque et loué par toutes les chroniques des journaux.


Faust reconnaît Marguerite, il donne le bras à la naïve fille qui se dit ni demoiselle ni belle et alors, ô miracle, c’est elle ! « gretchen ! » (diminutif allemand si poétique chez Goethe et si lourd-dingue chez Hervé) et voilà un danse bavaroise avec tirolienne : « Vaterland o Vaterland » en allemand comique avec des pouëts pouëts ! Pour le final : qui tombe ? Le fils de ta mère : Valentin, d’un beau coup d’épée. Grand moment beethovénien (Hervé avait dirigé ses symphonies avec irrespect) car Valentin expirant va révéler les vérités immortelles à sa sœur, en fait, des lapalissades. Valentin meurt plusieurs fois avant de prendre l’escalier.


Dans l’acte III, on chante « séparons-nous » pour la noce, c’est le moment pour Marguerite de chanter la chanson du Faust de Gœthe, la complainte du Roi de Thulé, devenu de Thuné (en argot Roi de Tunis ou Roi des Gueux et les « tunes » sont déjà les pièces de petites monnaies). C’est un Roi qui perd ses pantalons publiquement et ça le déconsidéra. Le chœur des Vierges apporte le bouquet de la mariée, et aux garçons la soupe au vin à la cannelle et un peu de thym. Méphisto déguisé en amant de Marguerite, révèle ensuite que Marguerite est coquine, le spectre de Valentin (sur une musique de Lohengrin) sort d’une soupière, en colère le militaire ! Valentin Faust et Marguerite chantent en trio que Marguerite, « elle est mauvaise ». Alors à Watepurgis, Méphisto qui mène le bal entraîne tout le monde dans une furieuse bacchanale et comme le couple ne fonctionne pas, les voici condamnés à tourner dans la danse pour l’éternité.

Juste vous raconter l’histoire, ce n’est même pas vous dire la drôlerie des dialogues des librettistes, Hector Crémieux et Jaime fils, ni même la loufoquerie de la musique, toute en décalages entre le grand opéra et les polkas et valses à la Strauss, entre la diction pathétique et un français argotique savoureux, ni même vous démontrer combien l’on est vite entraîné par les mélodies souvent inspirées de notre auteur, au point qu’on y décèle ça et là maintes notes annonçant la Carmen de Bizet. Vive Hervé ! Scènes, ressuscitez-donc le : que l’on rapporte le cadavre !


Cédric Costantino pour présencemusicale.com




Lire l'édito de Danican Philidor de Coralie Welcomme sur présencemusciale.com

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