lundi 1 mars 2010

Un sermon de Bach : les chorals dits de "Leipzig"

Epures, tel est l’aboutissement d’une vie entière à commenter les paroles des cantiques luthériens. A la mort de Bach, des liasses manuscrites furent recueillies : six sonates en trio pour son fils Wilhelm Friedmann, dix-sept chorals consacrés à Jésus sauveur empli de l’Esprit Saint, un choral de la Nativité à variations canoniques et un ultime choral corrigé sur le lit de mort : Vor deinen Thron tret’ich « Devant ton trône je comparais ».
Une longue prière.

Placés sous le signe J.J. « Jesu Juva », seul nom qu’ils devraient posséder, les dix sept chorals de Leipzig oublient presque le figuralisme attaché aux mots précis pour exprimer plutôt la quintessence de l’éthos à travers la plus grande science spéculative sur la durée du temps. Ainsi Bach opère une stylisation élargie des nobles rythmes français d’allemande, de sarabande, etc. Il réalise encore une spatialisation plus poussée que jamais du contrepoint et de la couleur de l’orgue allemand. Mais la spéculation sur le temps est aussi celle d'un long discours à travers les matériaux composites et vécus toute une vie au quotidien des chorals. Car, en partant in extenso de la lecture intégrale de tous les textes mis en musique par Bach et dans l'ordre tel quel, le discours de ce recueil possède la structure d’un Psaume de David paraphrasé en confession de foi chrétienne, on pourrait le résumer :
Esprit Saint nous t’appelons, nous sommes abandonnés mais notre cœur s’apprête à être pur, tournes-toi vers nous par l’intermédiaire de l’Agneau de Dieu, nous lui en rendons grâce. Dieu nous tend la main, nous attendons sa venue de par le Fils, lui qui est parti du Père pour retourner au père et nous l’en louons. Maintenant est une grande paix : trois fois gloire à Dieu car Jésus Christ nous délivre en faisant venir le Saint Esprit sur Nous.
Nous vous invitons à lire l'intégralité des textes de chorals pour approfondir cette prière. C'est donc un long sermon en musique que ce cycle, la liturgie y est autre que l'exacte observance des temps liturgiques. C'est une liturgie au second degré. Par exemple, Le célèbre Nun Komm der Heiden BWV 659, « Maintenant vient le sauveur des païens », est le neuvième des dix-sept chorals ; dans l’appel au Saint Esprit à travers Jésus que forme ce corpus, il exprime l’attente. Il ne s'agit donc plus de le jouer pendant le temps de l'Avent comme on le fait d'ordinaire, mais de le jouer comme une citation dans le long discours du recueil de Leipzig qui lui même pourrait être interprété à la Pentecôte, s'il fallait lui donner un temps liturgique - mais le temps liturgique par excellence de Bach n'est-il pas celui du Gloria et de la proclamation de la Trinité, c'est à dire tout les jours ? C'est donc une relative trahison de considérer isolemment chacun de ces chorals, il faudrait au contraire considérer le tout tel une longue symphonie, un prêche en musique.
Le dix-huitième Choral.
On a parlé de numérologie et c'est souvent qu'on parle des dix-huit Chorals de Leipzig. Mais quel est ce dix-huitième choral ? Pourquoi ne pas rattacher ce cycle avec le précédent, les variations canoniques, hommage à la Nativité ? Toutefois il est bien plus raisonnable de bien ajouter à ce cycle dédié au souffle divin le dernier choral écrit très mythiquement par Bach, Vor deinen Thron tret'ich. On sait qu'il le dicta sur son lit de mort, que ses fils le firent graver avec son autre titre "Quand nous sommes dans une extrême détresse" en fin consolatrice de l'art de la fugue inachevée. Et que des témoignages disent toute l'importance du changement de titre voulu au dernier instant par Bach. Mais revenons à notre recueil de Leipzig. Dans le cycle donc "Jesu Juva", ce dernier choral est hors thème et dernier souffle, mais toutefois au coeur de l'Espérance ardente qui anime les autographes de Leipzig. "Devant ton Trône je comparais". Des générations d'exégète restent subjugués par la beauté simple de ce geste d'acceptation et d'amour devant la mort. C'est aussi, certainement, un dernier hommage aux oeuvres cycliques de ses devanciers.
Que l'on songe à Buxtehude et à son cycle contrapunctique dédié à son propre père sur le choral Mit Fried und Freude de Buxtehude. La thématique de la mort exprimé par la bouche de Siméon est complétée par un Klag Lied à la fois hors thème et prolongation du thème. Mais plus encore importe l'exemple de la Passacaille finale du cycle des sonates dites mystères du rosaire de Biber. Le violon y est dans son accord tout simple comme la première sonate (l'Annonciation), alors que toutes les autres sonates sont avec des jeux de cordes ravallés, dits scordature : cela figure un retour cyclique au commencement. C'est aussi un hommage hors cycle qui résume le tout, ainsi que l'exprime Reinhard Goebel :
"Il faut remarquer qu'il existe de célèbres exemples dans l'histoire de la musique où il était d'usage, en fin de recueil, d'adjoindre une illustration ingénieuse qui témoignait d'un dévouement particulier envers le dédicataire : F.M. Veracini conclut ses sonates pour violon dédiées à Auguste III de Saxe par un canon vocal sur "Ut relevet miserum,", et J.-S; Bach ajoute, à la fin de l'Offrande musicale dédiée à Frédéric II de Prusse, un canon perpetuus".
Si l'on suit la pensée de cet interprète d'une intuition remarquable : par son 18ème choral thématisé sur la foi devant la mort, le dédicataire du recueil "Jesu Juva" est Dieu Trinitaire.

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