mardi 8 avril 2008

Contes & dialogues de Cédric (III) : Noé & les dinosaures, opéra darwiniste

Dédié à Thomas Leininger
écrit par Cédric Costantino
Prologue
Une iguane, Darwin
L'iguane - Petit père ! Je voudrais écrire avec une de mes piques bien taillée et de l'encre ocre !
Darwin - Que désires-tu écrire, enfant au doux baiser?
L'iguane - L'histoire de ce qui est arrivé aux dinosaures quand Noé fit son arche !
Darwin - Malheureuse, n'as-tu rien retenu de mon enseignement ? Sais-tu que Noé n'a jamais vécu au temps des dinosaures, ni aucun homme ? Sais-tu que les dinosaures sont morts soixante-trois millions d'années avant le premier bébé humain ?
aria
A cause d'une comète
Ou bien des chaînes de montagnes
Qui en volcans se levèrent,
Ou bien d'un changement de la pesanteur
Ou bien d'un long changement climatique,
Les dinosaures sont morts !
Il ne resta sur la terre que les petites bêtes,
Des espèces de petites souris,
Des petits oiseaux du ciel...
Il ne resta que les animaux au raz du sol,
Des crocodiles, des serpents, des tortues,
des iguanes comme toi ma belle..
Mais les dinosaures très gros et peu nombreux :
Ils sont mots !
Quant aux sortes de petites souris
qui ne pondaient plus d'oeufs,
mais gardaient leurs bébés dans le ventre
jusqu'à ce qu'ils soient prêts à sortir,
Ces petites souris, comme il y avait de la place,
une fois les dinosaures morts,
elles évoluèrent en éléphants,
en baleines,
en marsupiaux,
en koalas,
en singes et hommes dont Noé fait partie :
ce qu'on appelle des mammifères,
Mais les dinosaures, ils étaient bien morts !
L'iguane - Petit Père Darwin, toi que je vénère ! Comment peux-tu croire que je n'ai pas compris tout ton enseignement ? Crois-tu vraiment que j'ai oublié ta "théorie de l'évolution" ? Ai-je droit à une tentative pour te persuader de l'utilité de mon récit ?
Darwin - Avec des yeux si doux, je ne peux rien te refuser !
L'iguane - arioso -
Tu m'as trouvé belle à Galapagos,
Tu m'as adoptée toute nue,
Je t'évoquais le passé
D'écailles et de piquants !
C'est toi qui as vu que les animaux survivent
en sélectionnant leurs atouts au fils des générations,
C'est toi qui appela ce principe de la lutte terrible pour la vie
"Théorie de l'évolution".
Or moi j'ai choisi d'évoluer en poétesse :
Sais-tu ce que c'est que la Poésie ?
Darwin - Bien sûr que non : je suis un scientifique !
J'ai entendu dire qu'il s'agissait
de la projection de l'axe paradygmatique sur l'axe syntagmatique ?
L'iguane - Tu n'y es pas du tout avec tes gros mots !
C'est d'inventer une histoire farfelue, facile et jolie...
Mais en y camoufflant que l'on y parle de choses terribles :
C'est avec tendresse expliquer des peurs profondes aux enfants !
Darwin - Oh merveille ! Et que comptes-tu expliquer aux enfants avec tes dinosaures ?
L'iguane - Or donc pour moi, Noé est l'homme qui cherche l'immortalité !
Que cherche-t-il à faire ? échapper à une catastrophe naturelle.
Or pour moi, les dinosaures sont comme des enfants qui ont peur de la mort !
Que cherche-t-il à faire ?
Darwin - Echapper à une catastrophe naturelle !
L'iguane - Et le déluge ?
Darwin - C'est l'image de la catastrophe !
L'iguane - Tout à fait ! C'est l'image du mal dans la nature !
Darwin - Peu t'importe que les dinosaures n'étaient plus que des os au temps de Noé ?
L'iguane - Ils sont vraiment "à l'image" des animaux d'avant le déluge :
C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
L'iguane & Darwin - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Darwin - Crois-tu que les anciens trouvèrent des os de dinosaures et qu'ils se demandèrent : "qui étaient ces bêtes" ? Alors ils inventèrent les animaux d'avant le déluge ?
L'iguane - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
C'est la même question que se posèrent ailleurs les chinois : "pourquoi ces os de dragons tombés de la montagne ? Seraient-ce que les dragons sont morts devant la porte close du paradis ?"
Darwin - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Et nous aujourd'hui, quand en creusant tout scientifiquement, on voit sortir du sol les squelettes de dinosaures, nous avons les mêmes frayeurs en imaginant la comète qui les fit mourir !
L'iguane - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Comète et déluge : c'est la même idée de catastrophe ! Dinosaures ou animaux antédiluviens, c'est la même idée de mortalité.
Darwin et l'iguane - C'est que ces animaux fantastiques sont la peur de mourir sous une catastrophe !
Darwin - Vas et écris ! Je te permets d'utiliser le déluge comme une image de la fameuse catastrophe qui échu aux dinosaures lors de la cinquième instinction de masse sur la planète terre, mais fais attention de composer une fin qui convienne à la théorie de l'évolution !
L'iguane - Oh merci, j'y veillerai !
Oh merci merci merci ! Je vais te faire un bisou !
Darwin - Ah non tu piques !
L'iguane - Calinou, calinou !!
Darwin - Au secours, une iguane veut m'embrasser !
L'iguane - Bisou !
Darwin - C'est tout baveux un bisou d'iguane, au secours !
L'iguane - Bisou à Darwinou !
Le Choeur - Iguane poètesse ! Le public attend l'histoire, un peu de tenue !
L'iguane - Excusez-moi, où en étais-je ?
Le Choeur - Dictes nous notre strophe pour conclure le prologue.
Strophe :
L'iguane - Voici mes enfants une fable farfelue
Qui parle de la peur de mourir,
C'est une histoire chouette,
Vue que ma muse fut Internet !
Le Choeur - Voici les enfants une fable farfelue
Qui parle de la peur de mourir,
C'est une histoire chouette,
Vue que sa muse fut Internet !
ACTE I
Scène 1
Noé, la femme de Noé, Trois titanosaures, deux tricératops, Tyranosaurus Rex, Struthiomimus, Anatososo, le Choeur des dinosaures.
Noé - Conques, bénitiers résonnez ! Amonites sonnez ! faites les hauts-parleurs et les micros, amplifiez ma voix ! Or donc voici l'annonce : que tous les animaux du monde entier répondent à l'appel et se présente à l'arche à 16 h 15, c'est l'heure d'ouverture de l'enregistrement pour l'embarquement. Attention : à 16h 45 c'est la clôture du Checking ! Toute personne arrivée en retard sera sans détours noyée par le déluge.
(On voit les dinosaures se prélassant au soleil)
Trois brachiosaures - Avez vous entendu l'annonce? Quelle heure est-il à notre grand cadran solaire ?
Deux triceratops - Il n'est que 8 h 00 du matin et le soleil brille !
Trois brachiosaures - Bronzons nous ! Tannons nous la peau ! Emmagazinons de la chaleur pour tiédir notre délicat petit sang, n'en perdons pas un rayon tant que la pluie n'y est pas !
Deux triceratops - Ne sommes nous pas des délitantes ? ne sommes nous pas la jet-set ?
Tyrannosaurus Rex - Oui très chers ! Et moi le plus dentu des jet-setteurs !
Trois brachiosaures - Nous abondons en calamites, en fougères, en pierres gastriques !
Tyranosaurus Rex - nous sommes riches en plumes !
Deux triceratops - Nos masses sont sans mesure !
Tyranosaurus Rex - Tricé, veuillez prendre le téléphone et réservons nous les cabines les plus luxueuses de l'arche, en première classe, avec de l'or et des tables en carapaces de tortue et vue sur le déluge naturellement !
Tricé (un des deux tricératops) - j'appelle l'agence "Voyage Arche du Déluge".
Voix de la femme de Noé (apparait comme un deus ex machina au milieu de petits nuages) - Association Agence Voyage Arche du Déluge Noé & Fils j'écoute ?
Tricé - Nous sommes cent trois espèces de dinosaures, nous désirons acheter les meilleurs places de l'arche en cabine luxe avec vue.
Voix de la femme de Noé - Avec vue sur le déluge ?
Tricé - Oui et pension comprise, miam miam !
Voix de la femme de Noé - Lit double je suppose ?
Tricé - Quadruple pour notre envergure, quoique nous soyons en couples et fidèles à ces dames !
Voix de la femme de Noé - Je note donc réservation pour cent trois cabines en première classe, quadruple lit et pension complète avec panorama sur l'étendu de la catastrophe du déluge, température à bord 25 degrés, réglement à l'embarquement : attention vous devez vous présenter à 16 h 15, la fermeture du guichet est à 16 h 45. Nous vous souhaitons un excellent voyage et vous remerçions d'avoir choisi notre compagnie. A bientôt sur les lignes de l'AAVADNF.
Trois Brachiosaures - Quel bonheur d'être riches ! le soleil brille encore profitons de ses derniers rayons !
Bronzons nous ! tannons nous la peau !
Emmagazinons de la chaleur pour tiédir notre délicat petit sang !
N'en perdons pas un rayon tant que la pluie n'y est pas !
Deux triceratops - Allanguissons-nous ! faisons la sieste...
Tous les dinosaures (allusion musicale à Atys de Lully) - Dormons, oui dormons !
Scène 2
Sthruthiomomo, les mammifères, les dinosaures endormis, Tyrannosaurus Rex, Anatososo
Struthiomomo, la petite ornithomimidée, les regardant dormir - Que je les déteste eux qui me tapent toujours dessus parce que je suis toute petite, née aussi naine qu'un échynodon, la plus minuscule des dinosaures ! (il y a plus petit, vu que la bête faisait 4 mètres mais bon c'est une distorsion pour l'histoire !) Tiens voilà qu'il commence à pleuvoir !
Les mammifères (allusion aux sept nains de Blanche-neige, donc en échos) - Hého ... Hého... Hého...
Hého ! Hého ! On rentre du boulot ... hého ! hého !
Struthiomomo - C'est l'heure d'y aller regardez vos montres à quartz !
Les mammifères - Sur nos belles montres à quartz il est quatorze heures ! allons-y ! Hého ... hého ... hého..
Hého ! Hého ! On s'embarque dans l'arche ... hého ! hého !
Un mammifère (allusion aux "prugne de Tours" de la Bohème de Puccini) -Montres à quartz pour deux euros !
Struthiomomo - J'en prends une ! 14 heures ! fuyons et ne les réveillons pas ces gros patapoufs prétentieux !
Les mammifères et l'ornithominidée (allusion à l'oratorio de Noël de Charpentier) - Courrons, hâtons nous, précipitons nous, allez sus, hâtons nous ! qu'attendons nous ? que tardons nous ? allons ! (l'orage gronde fort comme dans la Didon de Purcell, les mammifères disparaissent)
Les dinosaures - Oh là ! quel est ce bruit ? Combien d'ombre dans le ciel ! combien résonne jusqu'au fond du Tartare le grondement de la colère de Dieu ! Et cette lumière et cette flamme de l'éclair dans le ciel ! blottissons nous au fond de notre couette !
Anatososo - Amis, gaillards, éveillez vos esprits ! regardez donc l'heure, ne soyons point en retard !
Tyranosaurus Rex - Pas si vite ! Soyons sans crainte au contraire, et faites moi confiance ! Roi des dinosaures j'ai institué le cadran solaire, le plus précis des indicateurs : or dès que l'ombre sera sur le moment du départ, une alarme nous réveillera !
Anatososo - Si grand maître sois-tu, ne vois-tu pas qu'il pleut, que le ciel est trop noir et l'heure illisible ?
Tyranosaurus Rex - Rrr tu paieras cher ton impertinence, pacotille d'anatosaure ! mais je le concède, nous sommes perdus !
Les dinosaures - Damnation ! l'heure a disparu ! Le cadran solaire est plein d'ombre, le ciel est trop couvert : quelle heure est-il ? quelle heure est-il ?
Anatososo - dans l'angoisse, dans la peur et la fatalité, précipitons notre pas pour éviter notre chute, le destin n'est pas encore dit Messieurs les dinosaures ! Sauvons le peu d'espoir qu'il nous reste, hatôns nous !
Les dinosaures - Hâtons-nous lentement ! Hâtons-nous lentement !
Trois brachiosaures - hâtons nous dans la motricité de trois cent tonnes...
Deux triceratops - hâtons nous tous pleins d'armures !
Tyranosaurus Rex - hâtons nous remplis de dents !
Quatre parasorolophi - Sonnons les trompettes, sonnons la retraite !
Tous les dinosaures - Sus à l'arche, prenons la d'assaut s'il le faut !
Dissipons nous dissipons nous ! (allusion aux choeurs de Jephté de Carissimi)
Scène 3
Noé, sa femme les mammifères, les dinosaures, Struthiomomo, Anatososo, Tyranosaurus Rex.
(les dinosaures montent sur le pont levis)
Noé - Halte là ! 16h 46 le checking est clôturé ! poussez vous de mon bateau que vous allez le faire couler !
Les dinosaures - Jamais de la vie nous ne voulons pas mourir ! prenons l'arche d'assaut !
Noé - Votre poids vous est déjà fatal : le pont levis ne tiendra pas cinq secondes sous 206 balourds, je vous somme de vous ôter de là !
(On voit l'ornithominidé défaire les cordes de la passerelle, les dinosaures tombent à l'eau, qu'ils n'ont que jusqu'au genou étant donné que c'est le debut du déluge)
Tous les dinosaures - Traîtresse, traîtresse ! On se noye !
Struthiomomo en riant - Que vous êtes bêtes ! vous êtes perdus !
Tous les dinosaures - Traîtresse, traîtresse ! Tu nous as perdus !
Les mammifères - Ah Ah Ah ! vous avez délaissé vos cabines : Quel luxe ! il est pour nous !
A nous les meilleures places,
A nous la meilleure part maintenant,
vilains que vous êtes !
Vous nous avez forçés à vivre dans l'ombre pendant des millions d'années,
La peur nous fit mettre nos oeufs dans nos ventres
Nous portons nos petits depuis dans nos ventres
Pour éviter qu'ils ne soient mangés par vous,
vous qui aviez tout !
Et nous nous étions tout petits dans la nuit !
Mourrez maintenant !
A nous les steppes !
A nous la journée !
A nous la nourriture !
Révolution, révolution !
Les aristocrates ont les aura !
Qu'un sang impur abreuve nos sillons !
Noé - Parce que vous êtes arrivés en retard, point de salut, point de rachat, aucun dinosaure ne survivra, j'en fait serment !
Anatososo - Seigneur, si dix dinosaures se trouvent sur l'arche, pour ne pas te parjurer, ne nous laisseras-tu point une chance ?
Noé - Si je trouve dix dinosaures dans l'arche je vous laisserai, pour ne pas me parjurer, une chance de me convaincre.
Anatososo - Excuse moi si j'abuse de ton indulgence : si cinq dinosaures se trouvaient dans l'arche, nous laisserais-tu une chance de te convaincre ?
Noé - Pour cinq dinosaures, je vous donnerai deux chances de me convaincre.
Anatososo - Je ne te dérangerai plus qu'une fois : et pour un dinosaure ?
Noé - Pour un seul dinosaure je vous donnerai trois chances et pas une de plus. Mais il n'y en a pas !
Anatososo (montrant Struthiomomo) - Et elle alors ?
Tous les dinosaures - Traitresse ! Traitresse !
(craignant pour elle et voyant qu'elle est dévoilée, Struthiomomo se cache la tête dans un trou du ponton)
Struthiomomo - Vous êtes bêtes ! vous êtes bêtes !
Noé - Je ne vois pas de dinosaures mais des grenouilles des reptiles, des crocodiles et des mammifères !
Tous les dinosaures : Et elle qui cache sa tête, Struthiomomo, la Struthiomima Onithominidée !
Struthiomomo - Je ne suis pas un dinosaure, la preuve : j'ai une montre à quartz comme les autres mammifères !
Tous (mammifères et dinosaures) Honte à toi Struthiomomo la Struthiomima Ornithominidée, (les dinosaures seuls) tu ne nous as pas éveillés quand tu savais notre retard ne pensant qu'à ton salut individuel, tu nous as fait tomber à l'eau et tu es de notre espèce ! (tous) Traîtresse, traitresse !
Noé - Qu'elle soit condamnée à cacher sa tête pour le restant de ses jours et me voici contraint à prêter oreille à votre réquisitoire, vous n'avez que trois chances. (se tournant vers son épouse) Femme, asseyons nous et divertissons nous.
Les mammifères - Asseyons-nous et dégustons le spectacle de la mort certaine des Dinosaures ! Du Pain et des Jeux ! Du sang et des frissons ! Voyons les se dévorer entre eux !
ACTE II
Scène 1 "Les stances du Tyranosaure"
les mêmes
Tyranosaurus Rex (sur le ton d'un Ciceron) - Bien que je craigne, Messieurs les jurés, qu'il ne soit honteux, alors qu'en cet instant terrible où notre destin est engagé pour tous, d'autres plus savants que moi se taisent en toute modestie ou peut-être timidité... oui ! bien que je craigne qu'il ne soit honteux que je prétende, moi-même à vous défendre tous en plaidant seul devant Noé, et qu'il ne paraisse audacieux que je vous exposasse mes mérites pour briguer ce rôle royal d'ambassadeur, cependant ma témérité naturelle, ce lieu cerné d'ennemis, ce péril mortel, en un mot l'urgence m'imposent comme l'élu des dinosaures.
Ma race n'est-elle pas en effet la plus parfaite ? Qui prétendrait être mieux loti par la Nature, qui postulerait à une telle perfection des moyens corporaux ?
En premier lieu pourquoi, d'après vous, lorsque je suis jeune et svelte adolescent, l'on me voit doté de plumes ? C'est afin de profiter de la glissante vibration de l'air ! Peu encombré et délicat, je m'élance en meute avec célérité, or, d'après vous encore, vers quel danger je rabats ainsi mon gibier appeuré sous l'étreinte de mon dynamisme innombrable ?
Vers la gueule immonde et impitoyable des adultes de ma race. Car sitôt mes quinze ans, ma taille augmente incroyablement, je me déplume (atour désormais inutile), me cuirasse et me pare de dents à nulles autres pareilles. Il ne me sert plus d'être léger, ayant en mes chers enfants, tels des bras vigoureux, une meute acérée de rabatteur, mais lourd et empesé je me camouffle, attendant de broyer l'animal pris en étau, juteux fruit de ma ruse !
Dynamisme, force, stratégie : intelligence de groupe ! En qui trouver une telle subtilité sociale ? Ne me fournit-elle pas pitance à satiété ? Ne subviens-je point à toute ma famille ? Or donc, Messieurs les Dinosaures, n'êtes vous point tous ma famille ? Ne faudra-t-il pas alors que j'ouvre ma gueule pour vous permettre de vivre ?
Mais ce n'est pas tout, car j'ajoute in extremis hunc argumentum extra causam ! même si mon intelligence n'avait pas été aussi remarquable, la seule taille de mes dents suffira à dissuader quiconque me disputerait cette place ! Aussi j'en conclus qu'il faut détruire Carthage !
Les dinosaures - Viva ! viva ! Détruisons Carthage !
Tyranosaurus Rex - Chers enfants, ne faut-il pas parler à Noé dans la langue la plus noble, laquelle serait-elle ?
Les dinosaures - C'est toi le plus noble, ta langue est la plus belle !
Tyranosaurus Rex - Aussi m'en vais-je haranguer noblement Noé en ma langue. Ecoute Noé et sois édifié !
Noé - Parle noble animal, Sache bien que je suis inflexible et qu'il en faut de beaucoup pour persuader et ma raison et mon coeur.
(aussitôt le tyranosaure rugit moult cris aigus et perçants de quoi effrayer tout le théâtre)
La femme de Noé - Je n'entends rien à ce langage, j'en ai froid dans le dos !
Noé - Je crois bien qu'il plaide pour sa propre cause, aveuglé par son amour propre. Retourne monstre dans les abîmes du passé et de la crainte informe de l'imaginaire !
Tyranosaurus Rex - Ohimé !
Les dinosaures - Lamentons nous ! Lamentons nous si le plus fort d'entre nous échoue pour notre survie ! Qu'avons-nous comme autres ressources en nous ?
Trois brachiosaures - Si violence et force échouent, passivité et poids l'emporteront sereinement et c'est en langue végétarienne qu'il faut quémander notre grâce. Que le parti des sauropodes saurischiens l'emporte !
Les dinosaures - Vive la langue végétarienne des sauropodes saurischiens !
(aussitôt ils barissent lugubrement et lentement)
Noé - Qu'est-ce que cette cacophonie, c'est cela leur second argument !
La femme de Noé - Quel meuglement lugubre, vivement qu'un monde peuplé de tels sons disparaisse !
Noé - Certes il n'y a rien de bon en eux.
La femme de Noé - Seconde tentative, zéro point, reste une chance ! Après quoi noyade assurée !
Les dinosaures - Lamentations ! notre puissance physique nous nuit ! Qui de nous peut nous sauver ?
(les dinosaures restent stupéfaits, un murmure monte en eux, grande fugue)
Un vélociraptor - Moi !
Struthiomomo - Dinosaures vous êtes cuits ! vous êtes morts ! vous êtes bêtes!
Les cératopsidés - Nous !
Les mammifères - Chouette ! il vont s'entre-déchirer !
Un oviraptor - Moi !
Struthiomomo - Il ne vous reste qu'à faire votre fatal choix ! en quelle langue voulez vous parler, fous que vous êtes ?
Un pachycéphalosaure - en langue pachycéphalosaurienne !
Un nodosaure - en langue nodo-ankylosaurienne, ou plus noblement en antique stégosorien !
Les cératopsidés - En langue cératopsidée !
Un oviraptor - En langue troodonte, la langue des voleurs d'oeufs, les oviraptors !
Un vélociraptor - En langue droméosaurienne, celle des méchants à la grande griffe comme les vélociraptors
Les diplodicidés et les titanosaures - Dans les plus beaux barissement de la langue diplodicidée, lourds lourds lourds !
Les hysilophodontes - En langue zélée des gazelles du crétacé, les hypsilophodontes, léger, léger, léger !
Les fabrosaures - En langue minuscule et occulte des fabrosaures, lièvres du crétacé, cui, cui cui !
Struthuomomo - Et pourquoi pas en langue gallimime tant que vous y êtes ?
Les iguanodontes et les hadrosaures - En langue sonore iguanodonte et plus encore dans le dialecte cuivré hadrosaurien !
Les mammifères - Battez-vous ! entre-tuez vous !
Les dinosaures - Au combat, que le meilleur gagne !
Tiranosaurus rex - Que l'on forme les rangs de batailles, que les ornitischiens affrontent les saurischiens ! Pour ma part, disqualifié et abdiquant, je t'investie, Velociraptor, digne roi des droméosaures, au nom des tétanurians, des carnosaures, des coelurosaures, de nous représenter tous, les carnivores saurischiens, car c'est nous les plus forts, c'est nous qui survivront ! Tu as la hargne des héros, la griffe tueuse, l'intelligence supérieure.
Vélociraptor - Qu'ainsi je mènerai mes troupes que je me montre digne de ta fidence, Seigneur !
Trois brachiosaures - Sauropodes végétariens, désertez au plus vite le camp des saurichiens, les carnivores auront tôt fait de se retourner contre vous. Bien plutôt faite une finteuse alliance avec les ornithischiens tous herbivores comme vous mais armés d'armures et de piques, capables de vaincre les carnivores. Dès qu'ils auront le dessus, vous pourrez alors vous retourner contre-eux grâce à votre poids et vos longs cous, vous assurant de l'emporter.
Les diplodicidés - Qu'il en soit ainsi !
Struthiomomo - Maintenant, Mammifères, oyons l'annonce du spectacle, faisons nos paris !
Les mammifères - Asseyons nous et dégustons le spectacle de la mort certaine des dinosaures ! Du pain et des jeux ! du sang et des frissons ! Voyons les se dévorer entre eux !
Scène 2 "le ballet des dinosaures"
les mêmes avec la troupe de danseurs qui dansent lentement
(Je donne un résumé du ballet qui sera formel après une bonne lecture de l'Illiade: Les végétariens s'opposent aux carnivores, chaque fois les carnivores ont le dessus, à la fin Anatososo se retrouve en duel singulier avec Vélociraptor, avec sa griffe Vélociraptor et sur le point de tuer Anatososo)
Struthiomomo (dans la peur qu'Anatososo meurt) - Mais vous êtes bêtes de vous entre-tuer ainsi ! Vous me faîtes pitié ! A quoi vous sert-il de vous battre pour des langues incompréhensibles ! De toute façon Noé ne connaît aucune des langues des Dinosaures : utilisez un autre moyen de le persuader !
Anatososo - Cessons de nous battre, Struthiomomo la perfide à raison ! ne voyez vous pas que Noé ne comprends pas nos mots ! Mais la langue de mon peuple, c'est la musique, je suis un Hadrosaure et nous faisons des sons : Parasaurolophi, Lambéosaures faites une symphonie de vos sons cuivrés, et moi je sonnerai de mon nez la complainte de la trompette marine, nous avons tant à lui faire ressentir : l'angoisse de la mort, la peur de l'agonie, l'amour de la nature, de la vie, la joie de l'existence, la tendresse pour nos enfants, l'injustice de leur destin si tôt interrompu, les larmes à verser !
Concerto pour trompette marine accompagnée de hautbois, cornets et cuivres.
mime de la douleur :
les pleurs
l'angoisse de la mort
la peur de l'agonie (description de l'agonie)
l'amour de la nature et de la vie
la joie de l'existence
la tendresse pour nos enfants
(les dinosaures présentent leurs enfants devant eux, ils lèvent leurs mains en supplications)
les larmes versées et les soupirs
Choeurs des dinosaures et leurs enfants tous à genou - ah ! (le choral immense bâti sur cette onomatopée veillera à mettre en valeur l'aspiration du "h" et les soupirs des dinosaures en se surajoutant en final d'acte sur le concerto des bois avec la trompette marine en partie soliste comme la soprano rossinienne au dessus du choeur)
ACTE III
scène unique
les mêmes, Archaïoptéryx
La femme de Noé en pleur - Oh par trop je suis touchée ! Pleurons, Noé, pleurons ! Je gémis sur le sort des bébés dinosaures, vois comment ces enfants vont souffrir une longue agonie, regarde leurs yeux adorables. Ne permets pas, Noé, un destin si pitoyable. D'un si long voyage, d'une si grande fatigue, donne une récompense, offre l'ultime chance, Ne permets pas, Noé, un destin si pitoyable.
Les mammifères - Ne permets pas, Noé, un destin si pitoyable !
Noé - Soit !
La femme de Noé avec un espoir - Tu veux ?
Noé - J'accède à ta supplique ma mie. Dinosaures, il existe une plante d'éternité, l'herbe de jouvence, elle gît au fond des eaux sous le navire, plongez, cueillez là, goûtez en et vous aurez la vie sauve.
Les dinosaures - Hourra ! Houra nous avons gagné !
Les trois brachiosaures se lamentant - Point encore amis, car il faut un héros pour plonger dans l'âbime au fond !
Anatososo & Vélociraptor - Je me dévoue !
Les dinosaures - Ainsi vous achèverez votre duel.
Anatososo & Vélociraptor plongent, Anatososo a des palmes il va plus vite, cueille la plante de jouvence, mais vélociraptor cherche à le noyer avec ses griffes, Anatososo, souple se dégage et gagne la surface, Vélociraptor n'étant pas adapté à l'eau ne peut aller vite. Le tout est ponctué de cris de spectateurs des dinosaures et des mammifères.
Les dinosaures - Gloire à Anatososo le plus fluide des héros !
Louange aux palmes des Anatosaures !
Anatososo c'est le plus beau, le plus courageux !
Tous les dinosaures l'admirent pour sa fluidité,
Gloire à Anatososo !
Anatososo - Mangez l'herbe, c'est ce qu'il convient !
Les dinosaures - Mangeons, nous sommes sauvés,
Joie du salut, Mangeons !
Anatososo (lançant une feuille sur l'arche) - Tiens, Struthiomomo,
mange cette feuille : tu es des nôtres et l'a mérité à ta manière.
Struthiomomo (en l'attrappant tout de même) - Pff ! je n'en ai cure, je suis sur l'arche moi !
Anatososo (lançant des feuilles par centaines) -Mangez, mangez l'éternité !
Les dinosaures - Mangeons, nous sommes sauvés,
Joie du salut, Mangeons !
Festin, Ripaille, Bonheur : Victoire !
(subitement après ce triple forte, une attente s'installe, rien ne se produit, les dinosaures sont en rond autour de la branche dépecée de l'herbe, inquiet de l'absence de miracle)
Struthiomomo - Ce que vous êtes bêtes ! C'est une herbe magique, vous devez faire un voeu comme pour la lampe d'Aladin !
Les dinosaures - Quel voeu devons nous faire ? Quel voeu ?
Les mammifères - Quel voeu doivent-ils faire ? Quel voeu ?
(Struthiomomo rit pendant ce choeur. Alors avec noblesse, le vieil Archaiopteryx sort des rangs des dinosaures)
Archaïoptéryx -
Ô misérables, combien grande est votre folie !
Croyez-vous éloignée la Mort, le danger dissipé ?
Ou bien pensez-vous que la passerelle de l'arche est toujours intacte ?
Ou encore que le vide aquatique ne nous sépare point de cet abri salvateur ?
Ainsi est le prix de notre arrogance !
Ou bien figurez-vous qu'il y ait encore de la place pour nous au navire
bien que tant d'animaux se pressent dans les cabines
qui plus vite ont luttés pour leur survie ?
Quel espoir nous reste-t-il ?
Quel rêve ? Quel voeu tandis que l'arche déjà s'éloigne ?
Pour ma part j'avais jadis un rêve - voilà pourquoi,
oui voilà d'où me viennent ces grands bras emplis de longues plumes -
c'était de planer de branche en branche pour ne vivre qu'au milieu des cimes...
Ah, aujourd'hui, si je pouvais voler plus longuement plus hautement,
là bas, là bas sur le toit de l'arche, pouvu que je me fasse menu,
la place est libre, la place est vaste !
Là bas là bas sur le toit de l'arche !
(Et il devient un faucon et s'envole, et à sa suite les hadrosaures et iguanodontes deviennent flamands roses et Ibis rouge, les trois brachiosaures deviennent cygnes, les deux tricératops deviennent perroquets par analogie de becs, les nodosaures deviennent de costauds toucans, les pachycéphalosaures se métamorphosent en chouettes, les hypsilophodontes se transforment en cygognes et en hirondelles, les fabriosaures en moineaux, les oviraptors en mouettes parce que ces deux animaux protégent leurs oeufs, les carnosaures en aigles, le vélociraptor en vautour, le tyrannosaurus Rex en poule et c'est bien fait pour lui, Struthiomomo, voyant cela et mangeant aussitôt sa feuille, obtient le sort de sa trahison et devient une autruche incapable de voler tandis que le grand héros, Anatososo illumine le ciel en prenant la forme fantastique d'un oiseau de feu. Ce n'est plus le choeur qui exprime leurs voix mais un chorus de flûtes : ce que j'ai écris dans cette parenthèse pourrait être récité par l'iguane quoique je pense qu'il est meilleur de le réaliser par la mise en scène)
Les mammifères - Venez nous rejoindre et faisons la paix, amis anciens, amis nouveaux, amis magnifiques !
Noé - Venez c'est l'heure du départ, c'est la pluie battante !
Les mammifères - Venez nous rejoindre et portez nous le rêve, conjoints sur la planète, oiseaux du ciel vous qui gardez en partage les espaces infinis !
La femme de Noé - Que tout cela est charmant et coloré !
(Un arc en ciel apparaît en fond de scène)
L'iguane - Père Darwin, n'ai-je pas respecté la théorie de l'évolution ? Quoique les oiseaux ne soient les fils que des seuls carnosaures saurischiens, j'ai voulu une métamorphose de tous mes dinosaures qui étaient sur scène : c'est pour préserver la sensibilité des petits coeurs tendres de mes spectateurs ! Mais l'essentiel est que les dinosaures soient toujours parmi nous !
Darwin - C'est bien mais tu exagères en mettant un arc-en-ciel dans ton final, c'est un peu de trop ! La vraissemblance voudrait qu'il n'apparaisse qu'à la fin du déluge, on en est qu'au début !
L'iguane - Je respecte là, ne t'en déplaise, la théorie de la réfraction qui veut que le spectre des couleurs apparaisse par illusion d'optique quand la pluie est frappée d'un faiseau lumineux. Or sur scène il y a un soleil merveilleux : c'est l'oiseau de feu qu'est devenu Anatososo le héros !
Darwin - Décidément tu auras toujours réponse à tout !
L'iguane - Nananère !
Tous au milieu des flûtes -
Toujours la vie renouvelle son élan :
Ils ne sont pas morts les dinosaures,
Bien au contraire ils voltigent parmi nous,
ce sont les oiseaux !
Toujours la vie renouvelle son élan !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

c'est magnifique, bravo, bravissimo

Anonyme a dit…

Cédric, c'est super ! C'est une histoire magnifique, drôle et émouvante à la fois ! Bravo !
Et c'est donc le dédicataire qui va écrire la musique ?
(tu me le diras mardi quand tu viendras travailler avec Dimitri)

Eugénie