lundi 28 avril 2008

Un Ange Roi s'installe en un opéra au bord de la mer (I)


Ce songe d'une nuit d'été c'est à Athènes que Shakespeare l'a voulu et le voici au pied de la méditerranée, à Nice, pour la première fois. Evénement d'importance et succés phénoménal non seulement parce que la musique de Britten est féérique à l'égal du dramaturge élysabethéen mais aussi parce que la distribution et la mise en scène, toutes choses dues à Paul Emile Fourny, sont hors habitude et placent cette production parmi les plus belles conçues par la cité azuréenne.

I Le monde des elfes

Obéron, roi des elfes se dispute avec Tytania, son épouse, pour un enfant indien. Devant le refus typiquement féminin, il envisage une vengeance farfelue faite de songes. Ce maître des songes, Britten l'a voulu le plus éthéré possible, d'une voix surnaturelle, associée à l'enfance : celle du contre ténor Alfred Deller, un ami, le dédicataire. Britten est amateur de musique ancienne, en son temps réservée aux initiés et encore balbutiante, elle n'offrait à ses oreilles comme nouveauté aigue dans la voix masculine que les premiers contre-ténors. Deller lui fit découvrir le monde de Purcell que Britten traduit par de fines carrures (magnifique rythme lombard du cantique final), par des joyaux mélodiques, par l'orchestration allégée en célesta, en clavecin, en cordes tacites, tissu sonore pour un Obéron irréel. Aussi ce rôle, quoique placé dans un registre d'alto, n'a pas d'attaches au sol et s'envole dès qu'il en a l'occasion. L'idée qu'a eu Paul Emile Fourny d'y employer un sopraniste renouvelle la tradition interprétative d'Obéron déjà chargée en falsetti mythiques : Alfred Deller, James Bowman, Russell Oberlin, Henri Ledroit, Jeffrey Gall, David Daniels. Le pari était risqué car il fallait trouver la voix capable de donner du son dans le grave tout en tirant le rôle vers cet aigu inaccessible: le résultat est féérique, il s'appelle Fabrice Di Falco, sopraniste martiniquais. Obéron magique d'un son égal et beau, doux avec une franche tendresse, altier aussi comme son port de tête, digne enfin, bien qu'empli d'inflexions sensuelles.

Une voix de soprano masculin renforce la gémellité d'Obéron et de sa femme Tytania, la reine des elfes. Tytania a été voulue soprano colorature pour exprimer le désir sensuel, en même temps ce désir ne s'exprime pas immédiatement et Britten a sciemment placé Tytania dans des graves presque en mezzo-soprano pour mieux faire surgir les fioritures acrobatiques - dans lesquels brille souplement la canadienne Mélanie Boisvert. Tout un monde inconscient des forces de la nature "Terre et Ciel" s'élève en nous pour ces dieux païens mi alto mi soprano, mi grecs mi celtiques.

Ajoutons Puck (dieu archaïque ?) au service d'Obéron. C'est lui qui apporte la fleur magique et qui se trompe à rendre qui amoureux de qui (au grand plaisir d'Obéron) : son rôle est parlé, avec la virtuose scansion shakespearienne, l'humour et le jeu d'acteur remarquable de Scott Emerson qui montre cependant sa voix de ténor capable d'imiter les amoureux, l'un baryton (!), l'autre ténor, dans la scène où il doit les perdre en la forêt. Louange au passage à la bravoure de la trompette en ré qui l'accompagne tout le long de l'opéra.

Enfin dans le monde des elfes il y a le choeur des fées. Britten le voulait de jeunes garçons : il y en avait ici, dont un petit bout qui a fait craquer tout les coeurs de mères dans l'assistance; il y avait surtout des filles (une d'elle est une danseuse hors pair et d'une rigueur de travail remarquable). L'an passé le choeur d'enfants était moins bon dans "Sans Famille", il est parfait dans Britten. Bravo à Philippe Négrel.

Tout n'est pas dévoilé ici, ni la direction du gentleman chef d'orchestre Arthur Fagen, ni la beauté de la mise en scène de Paul-Emile Fourny, ni les costumes de Louis Désiré, ni le monde des amoureux (et quelle voix magnifique a le ténor Jonathan Boyd !), ni celui des artisans-acteurs (quel humour pour Ricardo Cassinelli - notons l'exploit du casting argentin) : c'est pour vous inviter à prendre les dernières places et vous précipiter à ce "théâtre dans le théâtre à l'opéra", à l'ultime représentation mardi 29 avril à 20 h!

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