Le filtre d'amour que Puck et Obéron agitent pour créer le songe n 'aura pas que l'épouse du roi des elfes comme victime : de simples mortels, les amoureux et un acteur de théâtre grotesque , en feront les frais. Aussi en miroir, que de facéties, de quiproquos !
II le monde des amoureux
Les amoureux athéniens arrivent, d'abord Lysander, dans la fougue du jeune premier avec une orchestration toute chargée et son Hermia. Ce changement terrestre "bel canto" juste après le monde céleste de l'Obéron de Di Falco est saisissant. Ils fuient pour se marier contre la volonté du père d'Hermia. Jonathan Boyd en Lysander est un ténor d'une pureté de timbre si "Britten" que Britten lui même en aurait été ému. Quand Hermia, Mariana Rewerski (voix chaleureuse et bien dotée autant en grave qu'en aigu) lui dit en s'endormant de ne jamais cesser de l'aimer, lui répond "amen amen à cette prière", un amen inoubliable sortant du son même du violoncelle. Sublime autant dû à Britten qu'à cet interprète.
Ils s'endorment, Puck se trompe et verse la poudre de fleur sur Lysander. Arrivent Démetrius interprèté par un solide Luciano Garay et sa persécutrice Héléna, plantée par une Graciela Oddone un brin moins souple vocalement. Tous deux se disputent, elle s'attache à lui comme son "épagneul" mais lui la repousse, il ne songe qu'à Hermia qui lui fut promise en mariage mais qui fuit avec son Lysander. Qui ne serait pas d'avis que ce rejet n'est pas une dispute de type sexuel ? Le songe tout entier ne nous le prouve-t-il pas puisqu'à la fin Démetrius aime son épagneul Héléna ?
Pour l'heure Lysander se réveille et se met à aimer Helena. Autre petit coup de poudre magique et Démetrius aussi aime Héléna ! et voilà les deux femmes se crépant le chignon, l'une traitant l'autre de naine. Les deux hommes se provoquent en duel et Puck les perd dans la forêt. Parallèlement, arrive la troupe d'acteurs qui préparent la pièce de théâtre pour le mariage du Duc Théséus et c'est l'épisode de la vengeance d'Oberon sur sa femme tombant amoureuse d'un âne (un acteur de la pièce métamorphosé).
Passons sur le sommeil réparateur des amoureux et le sublime quatuor des retrouvailles dont le thème fugué est très haendélien, et parlons d'un ultime couple d'amoureux qui surgit à la fin de l'oeuvre,Théséus et Hippolyta. On se rappelle que tout le monde attend leur mariage royal. Si ce couple n'est pas de premier plan en durée de prestation, il l'est en symétrie avec le couple Oberon-Tytania pour symboliser la royauté terrestre face à la royauté céleste. Et ils prennent la première place dès leur apparition. Paul Emile Fourny dans sa distribution ne s'y est pas trompé en choisissant la faconde et le jeu d'acteur de Paul Gay, la superbe voix et la présence statuaire de Mary Ann Stewart. Il ne s'y est pas trompé non plus dans sa mise en scène en jouant avec de subtils parapluies : ombrelle blanche et virginale pour Hippolyta (reine du jour), parapluie noir jetant de la poudre argentée pour Obéron (roi de la nuit) quand à minuit tout le monde prend congé.
III Le monde des artisans-acteurs
Quelle richesse en ce songe, il n'y a pas de seconds rôles ! Car c'est dans ce monde que l'on trouve peut-être même le personnage principal : le tisserand Bottom ( quel nom !). Les artisans athéniens préparent une pièce : "Pégamus & Thisbé". Ils sont tous argentins (entendons, les vrais acteurs qui font les acteurs athéniens), solides vocalement et acteurs extraordinaires. Ils sont d'abord le prétexte pour trouver l'amoureux grotesque de Tytania ; l'acteur Bottom, s'éloignant des autres, est transformé en âne, il vivra son songe, celui d'une nuit d'amour avec la reine des elfes. Gustavo Gibert en Bottom doit affronter lui aussi des prédécesseurs mythiques : Owen Brannigan ou Geraint Evans... Il faut reconnaître qu'il est parfait dans les jeux de regards, dans les braillements : la critique ne peut être qu'affaire de goût , donnez-nous en encore plus la prochaine fois, voudrait-on lui suggérer !
Ces comiques sont les protagonistes du dernier acte, car ils donnent finalement la pièce promise, le théâtre dans le théâtre, virtuosité absolue dont le défi fut relevé par Britten avec le succès le plus rafraîchissant. Toutes ces cavatines grotesques, et cette naïveté du Mur, et la timidité du Clair de lune ! C'est le monde de l'enfance ! Et puis cet homme en femme qui se fait poursuivre par le Lion, et le suicide à la Roméo et Juliette, tourné en dérision certes, mais si touchant. On a bien ri, voici les douze coups de minuit dans l'orchestre, tous vont se coucher et le beau choeur d'enfants arrive avec le roi et la reine des elfes pour nous bercer. Puck, comme Plaute le faisait à l'Antiquité, nous invite à applaudir: du grand Shakespeare !
IV La mise en scène.
Visiblement très inspiré par tout cela, conscient d'avoir à proposer une nouvelle mise en scène historique (puisque l'oeuvre jusqu'ici était principalement représentée sous la signature de Carsen) Paul-Emile Fourny puise dans sa première passion qui fut le théâtre. Ces chaises pourpres s'envolent en désordre vers le ciel le plus justement possible : c'est un songe ! Elles sont en ordre à la fin très logiquement et les amoureux s'y réveillent comme s'ils venaient d'assister à une séance de cinéma : c'était un songe ! Et quand la petite pièce de théâtre improvisée avec un rideau de fortune est achevée, dès lors que le monde de la nuit revient pour tous, y compris pour nous spectateurs sur le point de nous en retourner, les machinistes en silence remettent ces sièges en désordre le plus naturellement du monde : c'est l'heure de Morphée. Le tout sous la lumière lunaire due à Patrick Méeüs, survolée des grandes mains de Fabrice Di Falco comme un papillon déployé en une belle nuit d'été.
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