Nice. Chapelle Sainte Croix. 14-V-2005.Louis Couperin (1626-1661) : en Fa prélude non mesuré, allemande, courante, sarabande, fugue, chaconne, tombeau de Monsieur de BlancrocherJohann Sebastien Bach (1685 – 1750) : concerto en ré mineur (transcription du concerto pour hautbois d’Alessandro Marcello) ; Gaspard Le Roux (mort en 1707) : Chaconne en fa ; Domenico Scarlatti (1685 – 1757) : sonates en mi majeur K 380, en ré mineur K9, en La Majeur K 209 ; Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759) : chaconne en sol majeur en 21 variations ; Jean-Philippe Rameau (1685-1764) : la Poule. Clavecin : Huguette Gremy-Chauliac.
L’artiste n’est pas seulement le professeur, chef d’une brillante école dont fit partie Scott Ross, ni la pionnière qui défendit les génies oubliés tels Gaspard Leroux ou bien encore Elisabeth Jacquet de la Guerre. C’est avant tout un touché d’exception, un jeu d’une vivacité, d’une jeunesse magnétique, une intellection sensitive de l’harmonie qui fait de ses interprétations débordantes de musicalité non plus seulement le fait de sons issus du clavecin mais l’imitation de l’orchestre symphonique du concert spirituel au temps où Rebel y donnait ses élémens. La voix, les cordes, tout ce que l’on devrait savoir imiter au clavecin se retrouve instinctivement assimilé et reproduit sur les touches du William Dowd, l’instrument du concert, le fleuron de la production de l’illustre facteur. Choix d’autant plus judicieux que ce pouvait être dans l’imagination le grand clavecin français que touchait Rameau : « toute son âme et son esprit étaient dans son clavecin, quand il en avait fermé le couvercle, il n’y avait plus personne au logis » ; idem pour notre artiste.
Le programme se voulait varié et virtuose, joué sans aucune partition, cela s’entend. Il débute par Louis Couperin qu’Huguette Grémy-Chauliac est sur le point d’ajouter à sa discographie. Voici que l’on sent dans le prélude non mesuré qu’il est des éducations, des maîtres qui imprégnèrent quasi au biberon les artistes de cette génération d’une connaissance harmonique innée, comme une langue maternelle. Ajoutez à cela un phrasé d’une modernité extraordinaire à la pointe de l’interprétation moderne et vous vous imaginerez Huguette Gremy-Chauliac faisant sonner à la fois la flûte et la viole sur son instrument au milieu des harmonies fugitives de Couperin : tout y est clair, tout y est rationnel et chantant ; passons sur la beauté des danses : mais quel tombeau de Monsieur de Blancrocher, sonore à souhait, quelles couleurs ! Blancrocher avance, infatué, sur des rythmes nobles, c’est pour mieux tomber dans les escaliers par un tel affolement de la vitesse ! Tous ses amis se précipitent, un grand accord théâtral marque sa mort, alors… une belle respiration et sur le petit clavier, une phrase séraphique, sorte d’« in paradisium », puis les cloches sonnent le glas dans des graves expressifs, finalement, sur des pédales harmoniques, c’est la marche funèbre non sans quelques hardiesses lentement menées. Bondissant dans le temps, le célèbre concerto de Bach d’après Marcello nous fit voguer sur les canaux de Venise, nous n’en dirons pas plus que l’extraordinaire illusion de la ritournelle orchestrale introduisant le solo de l’adagio si beau : on aurait cru entendre les impulsions d’archet sur le temps fort et le décrescendo subit des accords répétés.
Aimé de Bach qui en imita maints endroits, Gaspard Le Roux est un esprit choisi, rare et raffiné, curieux des autres (il germanise dans sa sarabande à variation et c’est peut-être qu’il fut un enseignant pour les allemands ?), italianisant à peine, lullyste, aux harmonies étranges, certainement élève de d’Anglebert par son ornementation. Il a lui-même édité, pour faire cesser les contrefaçons, ses œuvres choisies sur la fin de sa vie en 1707 et les présenta d’une façon originale et riche : chacune est écrite non seulement pour le clavecin seul dans le style pour luth hérité de l’école de Chambonnières, Louis Couperin, Lebègue et d’Anglebert, mais aussi présente une version en trio pour instruments que l’on pourrait croire de Corelli, qui se rapproche cependant plus des préludes en symphonie de Dumont tant elle semble faite pour les violes parfois les flûtes. En bonus, quelques pièces montrent l’exemple du jeu à deux clavecins très pratiqué au temps de l’arrivée en France des sonates de Corelli vers 1690, pendant cet intérim où l’on formait à toute vitesse des violonistes virtuoses pour arriver à jouer le grand romain (en Angleterre on préférait confier cet intérim aux flûtes), c’est aussi le temps du jeu à deux violes, maître et élève, que l’on trouve chez Sainte Colombe, c’est le temps de l’allemande à deux clavecins de François Couperin et l’on aura compris qu’en 1707, Gaspard Leroux est riche d’une grande expérience. Mais qu’est-il de plus tentant que de jouer les deux clavecins ensemble, à savoir, enrichir de la deuxième voix instrumentale le soprano de la version simple du clavecin. C’est l’extraordinaire exploit d’Huguette Grémy-Chauliac qui fait tout le prix de son disque Gaspard Leroux. Il n’y a guère que le clavecin de Forqueray qui sonne aussi riche avec cette suave noblesse.
Des sonates de Scarlatti disons que le pas de la haute virtuosité est sauté et que ce n’est pas pour rien que notre « Dame du clavecin » fut le professeur de Scott Ross : les phrasés des nerveuses basses, l’allégresse des rythmes espagnoles, les délicats ralentis… Pour illustrer le jeu d’amitié entre les compositeurs, et pour montrer qu’en ce temps les voix des castrats et chanteuses, les violons des virtuoses de la Lagune poussèrent les Bach, Haendel et Scarlatti à concevoir un autre espace sonore pour leur instrument à clavier, voici « le » monument, la chaconne à 21 variations de Haendel, non pas des variations décousues mais moulées dans leur architectonique construction : ce ne sont que des crescendi, au clavecin ! déjà par l’écriture même de l’auteur, par l’ajout grâce à la genouillère des jeux, par le touché tantôt court, tantôt surlié créant un halo harmonique, voici une nostalgique et élégiaque variation, respirant ce XVIII ème siècle qu’affectionna Ravel, et si joliment anglaise, voici un thème en éventail sur le jeu de luth (il reviendra bien plus loin) passant sans qu’on le réalise sur le grand clavier et du grand clavier à l’accouplement et enfin arrivent les volées de doubles croches ascendantes, groupées par quatre, tels que seul Haendel en a le secret, et les voici qui envahissent tout pour achever l’œuvre dans une brillance épique. Le concert est fini ? Non pas ! Il manquait l’humour ou la virtuosité à la française d’un autre contemporain, Jean-Philippe Rameau qui pour être le musicien des Lumières, le savant harmoniste, n’en était pas moins un poète proche du peuple (par opposition au poète aristocratique qu’est François Couperin) avec ce thème naturaliste picorant de la Poule. Enfin le bis, la Forqueray de Duphly, pathétique et énergique, nonchalante et mélancolique, chant du cygne du style pour luth, cette manière française de rompre les accords au clavecin pour créer une brume harmonique. Ovation et bouquet… c’est quasi le moment d’ôter le clavecin et voici qu’un admirateur, demande à l’artiste de jouer la sonate cantabile en la mineur de Domenico Scarlatti – elle, charmante, s’y prête avec complicité : voici l’œuvre la plus en adéquation avec le style de l’interprète : un rubato d’un naturel et d’une science ! Ce qu’un temps vole, l’autre le rend, la parole manque à peine à ce qui est dit, la cadence du chanteur est là, l’émotion de l’œuvre, le souffle haletant…
Crédit photopgraphique : © DR
dimanche 8 mai 2005
Huguette Gremy-Chauliac :les feux d'un clavecin haletant
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