jeudi 26 mai 2005

Nicolas Antoine Lebègue par Paola Erdas, De la Gravité dans la musique française


Nicolas Antoine Lebègue (1631-1702) : Pièces de Clavessin 1677-1687Paola Erdas, clavecin (clavecin Jean Henri Hemsch 1756 -en 415- copie d’Augusto Bonza 1988). 1 CD Stradivarius. Réf. : STR 33673. Enregistré à Montevarchi, Arezzo, 11 et 12 juillet 2002. Stéréo DDD. Notice trilingue (italien-français-anglais). Durée : 61’12 

     Répétons le mot : gravité et c’est tout l’esprit de ce siècle, c’est aussi toute la personnalité de la musicienne ainsi que celle du clavecin aux sons graves, une copie de Jean Henri Hemsch (1700-1769) par Augusto Bonza, capté avec beaucoup de présence dans cet enregistrement. Trois rencontres qui font de ce disque une vision miraculeusement appropriée de ce compositeur. Gravité : on protestera : « ce sont des danses ! », mais l’on ne dansait plus à la cour comme au village en ce temps là – « pourtant c’est l’époque de la préciosité et de la carte du tendre ! » : cela n’empêche pas d’être sérieux ; l’art pur selon Boileau se prévaut, dans la juste moyenne, des excès et fait des ornements, l’instrument du seul beau. Or le clavecin de Paola Erdas ne manque pas de dynamique, de fougue chorégraphique, de levées, de flatteries dans lessarabandes, de subtils décalages, de cadences posées, pour qu’on le réduise à la seule noblesse des allemandes ou des fameuses chaconnes et la tristesse despréludes : non la gravité est partout, y compris dans le menuet folâtre dans l’alerte canarie ou les nerveuses gigues. Oui gravité : quand le sentiment inhérent à l’œuvre est à ce point retranscrit, il n’est nullement besoin de polémiquer sur certains choix d’interprétation. Peut-être un autre artiste aurait-il plus osé dans les traînantes affectations du style français sans peur de ce même ridicule que Molière dénonce lorsqu’il attaque les précieuses, mais il le ferait à coup sûr au dépend de la noble énergie lullyste (on ne peut faire mieux en ce domaine que la présente interprète) ou bien que serait-ce à côté du sentiment que dégage la totalité de ce disque ? 

     A côté de cet esprit absent de superficialité animant toutes les pièces dans leurs tempi modérés pourtant juste assez allants ? Cet esprit que l’on retrouve chez Henry Dumont, Louis Couperin, Charles Richard, Sainte Colombe pleurant sa femme et surtout l’altier Nicolas de Grigny l’élève de Lebègue et même souvent chez Charpentier. Esprit à comparer absolument à celui de la viole confidente (l’œuvre de Lebègue comme celle de Couperin en hérite les accents mélodiques), esprit enfin qui animait déjà Montaigne puis Corneille et enfin Racine, Molière le misanthrope aimant l’humanité et surtout d’un Blaise Pascal nativement blessé : l’esprit émotivement philosophe du XVIIe siècle, le grand siècle, qui ne peut ici que s’exprimer - ah non pas par les rires des demoiselles de comédie ! mais bien sous des doigts nobles et Paola Erdas est de cette lignée là.


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