jeudi 14 avril 2022

Johann Baptist Cramer, le dernier des pré-romantiques

Nous sommes dans les années Beethoven, le classicisme a déjà cédé le pas au romantisme, bientôt Chopin, et au milieu de tout cela un petit maître germano-anglais Johann Baptist Cramer. Ce n'est pas Schumann, ce n'est qu'un musicien aimable et une étoile virtuose du piano, la postérité choisi de l'oublier. Cependant, il écrivit des études que l'on jugea pratiques, Von Bülow, élève de Liszt, pianiste et chef d'orchestre, défenseur de Wagner, les considère comme une base de l'enseignement, en classe une sélection à l'usage des pianistes de force moyenne qui veulent s'élever vers la virtuosité. Cette sélection est si efficace qu'elle est toujours appréciée des bons professeurs, elle est capable de sauver un amateur de trop longue date qui voudrait faire le pas vers le professionnalisme et à n'importe quel âge. Est-ce tout ? Il y a en plus : il y a le charme, la poèsie. Il y a la musique qui a conquis aussi le coeur de Von Bülow et de beaucoup d'autres : de petit maître, Cramer pourrait facilement redevenir un grand maître oublié, mais comment ? et si l'on prennait la peine de définir les contours de sa musique ? Qu'entend-on quand on joue les études de Cramer ? Quand on lit la sélection de Von Bülow, on est frappé par le classicisme de la forme, nostalgique de Haydn et de Mozart, la carrure par groupe de mesures régulières, le retour de l'exposition, toutes choses pratiques pour que les jeunes filles étudiantes répètent en boucle les difficultés sans perdre le plaisir musical, phrase par phrase : c'est en même temps le plaisir de se sentir chez soi dans des sorte de lieders quasi vocaux, comme chez Mendelsohn. La beauté harmonique est aussi fondée, on le voit souvent, sur un apprentissage de la basse chiffrée issue de la tradition de Dandrieu et de Bach, les successions de marches harmoniques sont directement tirées de Haendel, les retards harmoniques sont toujours savoureux et rappellent souvent ceux de Scarlatti ainsi que les positions de mains, toujours soucieuses de la stabilité des cinqs doigts, Le geste technique est toujours associé à une couleur harmonique comme chez Chopin, et l'harmonie mène toujours la mélodie comme chez Beethoven. Mais le plus flagrant, en plein début du XIXème siècle, c'est que maints études sont des préparations directes dans les mêmes tonalités des préludes du Clavecin bien tempéré de Bach dont on retrouve, jusqu'à la copie du contrepoint. Une formation très profonde par les bonnes personnes. D'où vient tout cela chez un pianiste mondain de salon ? Premièrement il a été élève en composition de Karl Friedrich Abel, et c'est loin d'être négligeable, c'est même la pierre angulaire de l'art de Cramer. Ce célèbre gambiste, reprend la profession de son père, ami très proche de Johann Sébastian Bach, il est en Angleterre l'ami intime de Johann Christian Bach, avec lequel il fonde une société d concerts, Johann Chretian, petit dernier de Bach, élève du Padre Martini (comme plus tard Mozart), par les soins de Karl Philipp Emanuel Bach. Chez Abel il y a à la fois le Strum und Drang de Karl Philipp Emanuel Bach, et toute l'école de Manheim à laquelle il s'est nourrit pour fournir des symphonies à Londres, Manheim étant la source du classicisme. Comme Beethoven, élève de Neefe, élève de Karl Philipp Emanuel Bach, Cramer a eu ses premières impressions de musiciens dans les Probe stücke de Karl Philipp Emanuel et dans le Clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach. Anglais d'adoption, il est aussi nourrit du préromantisme de Abel dans la viole de gambe, gâvé de Haendel aux concerts, l'Angleterre étant concervatrice, n'aurait-il pas eu le contact avec les clavecinistes espagnols et français ? Comme ne pas penser cela en écoutant son étude en mi bémol mineur ? n'a-t-il pas eu sous les yeux les Exercizi de Scarlatti, la Pothouïn de Du Plhy, la d'Héricourt de Balbâtre ? Qu'ensuite, il se soit passionné de Dussek, Mozart et de Haydn au point d'aller quérir, lors de ses tournées, l'amitié de ce dernier, c'est que sa sensibilité archaïsante, doublé de son affectivité de son siècle le poussait à chercher partout où la grâce XVIIIème survivait. Ainsi Beethoven, en s'intéressant à ses études (plus semble-t-il qu'à l'homm), y retrouvait sa fréquentation de K.P.E Bach (et Clementi, dont nous allons parler) et une partie de ses propres recherches harmoniques : une fraternité de cheminement, proportion gardé du génie. Ainsi, plus tard, si Von Bülow membre intime d'un cénacle partisan de la vrai écriture harmonique et de la vraie musicalité autour de Wagner, juge Cramer supérieur à Clementi, c'est parce qu'il le sent ancré dans une lignée en trait d'union entre Bach et Chopin, avec une véritable solidité d'écriture due à l'enfance musicale du compositeur. Clementi est plus moderne que Cramer malgré les apparences. Chez Cramer l'influence la plus directe est celle de Clementi : Cramer fit deux années d'études avec ce compositeur qui sera son maître à penser pour toute sa ligne de conduite dans la vie : il ira jusqu'à l'imiter en fabriquant des pianos et en éditant des partitions (Cramer sera éditeur de Beethoven à Londres, prenant l'horrible légereté de corriger quelques pages du Maître...). Von Bülow recommande d'étudier le Gradus ad Parnassum de Clementi après les études de Cramer, car les pièces sont plus longues, plus délicates, plus difficiles par moment. Plus ambitieuses dira-t-on. Quand on lit Cramer, on a souvent le sentiment qu'il a réécrit sur des problèmes techniques proposés par Clementi pour les rendre plus accessibles aux élèves non-chalents, plus aimables. Souvent Cramer leur donne un charme en plus, une poésie, une sensibilité, mais il les affadie quant au propos engagé vers la modernité. Car Clementi, on ne le dit pas assez, est un autre titan du début du siècle, c'est lui qui a créé, de ses doigts, le matériau du langage des romantiques, nombres de ses pages sont des inspiratrices directes des plus sublimes pages de Beethoven qui ne s'en ai jamais caché. Elève de Beethoven, Czerny en devenant le grand technicien des étudiants, n'eut ensuite pour ambition que de préparer à l'études des sonates de Beethoven, et se retrouve ainsi le continuateur du travail de Clementi par ce relai. Wieck, père de Clara Schumann fait la synthèse de tous ces acquis et les transmet à Schumann. Mais harmoniquement, Clementi est aussi un chercheur : très ambitieux, il transforme ses pages en une aventure harmonique épique, qui s'engage dans des chemins où n'ira jamais Cramer, miniaturiste. Quand on pense que Clementi est parti de rien, d'être un quasi enfant esclave dans un chateau anglais pour bercer un Lord ! Là il commença sa réflexion personnelle pendant les années d'isolement, avant d'être découvert par le public. Dire qu'il du ce destin à ce qu'il était un petit virtuose romain qui faisait des tierces à la main droite (comme pus tard les émules de Rossini à l'orgue, Davide et Petrali) ! Tierces que Mozart ne savait pas faire ! Dire aussi qu'à ses débuts, il n'avait pas de sensibilité, aux dires de Mozart, jaloux d'avoir été mis en rivalité dans un duel avec ce blanc bec ! Et pourtant Clementi est le maître de toute une génération, le fournisseur des pianistes les plus chantants au clavier : Cramer, Moscheles, Berger, Field l'inventeur du nocturne avec Szymanovska, et enfin Kalkbrenner qui fit tout, mais en vain, pour avoir Chopin comme élève, seul digne de lui. En vivant très vieux, Clementi a du réflèchir sur le reproche de Mozart (avec beauoup de peine, a-t-il lu les lettres du défunt génie ?) et fit progresser autant la technique que la sensibilité dans toute l'Europe. De lui, Cramer a hérité de la clarté romaine et l'amour pour Mozart. Cramer est une préparation aux études de Chopin Enfin Chopin n'a jamais bien dit son opinion sur Cramer dont il faisait étudier les oeuvres à ses élèves, comme celle de Moscheles, qu'il préférait. Moscheles est plus dans son siècle, plus difficile dans sa pensée, Cramer est trop clair, solidement clair, artistiquement clair : mais Chopin trouvait ce genre de clarté commune, c'est ce qu'il reprochait précisément à Mendelsohn, tandis que c'est paradoxalement ce qui faisait apprécier Cramer à Schumann. Chopin fut pourtant influencé par nombre de gestes technico-harmoniques de Cramer et certaines de ses études s'expliquent par l'antériorité de celles de l'anglais, comme certains de ses préludes s'expliquent par ceux de Field. Et non pas que Chopin copie, mais qu'il remache et dégorgite par une rénovation perpétuelle du matériau trouvé, composituer en quête. Cramer : une bele personnalité du XIXème siècle musical De tout ce que l'on a dit, ressort que Cramer est un poète, et particulièrement un poète élégiaque excellant dans les petites fresques à l'usage des études. Petites fresques qui valent bien celles de Domenico Scarlatti et de François Couperin : il n'y manquent guère que les titres de ce dernier, pour qu'on réalise que cet auteur achève la tradition du clavecin dans le piano et du pré-romantisme dans la pseudo préoccupation technique. Dans sa sélection Von Bülow a voulu gommer tout ce qui était ancré dans l'"ancienne pratique" sorit de la plume de Cramer : il serait intéressant de grouper les autres pièces pour souligner ce que otre anglais doit au passé. l'écoute de ses concertos est d'une telle délicatesse, notamment pour l'orchestre, que l'on achève de se persuader que Cramer n'est moderne que dans son affect romantique, dans les obligatoires les acquis techniques de Clementi. Il aide à la voie de Chopin bien malgré lui, parce qu'au fond Chopin aussi se nourrit du même passéïsme et puise aussi au pré-romantisme en passant sur les oeuvres masculines et michelangesques de Beethoven. Cramer n'est petit maître, il est maître délicat.

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