dimanche 6 août 2006

Monaco, Palais Princier. Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, le 6 août 2006


Dimanche 6 août 2006, jour de pluie : auditorium Rainier II au lieu de la Cour d’Honneur du Palais Princier. 2 fois 5 pour Beethoven : cinquième concerto, l’Empereur, et Cinquième symphonie, dite du destin.  Emanuel Ax au piano, et Marek Janowski à la direction. Force dynamique pour l’un des plus beaux concerts de la saison du Philharmonique cette année. 

Nos lecteurs qui ont suivi les articles sur le Philharmonique regretteront que l’on ne leur parlera pas de la beauté du lieu, la cour du Palais Princier. On les renvoie à la lecture de l’article d’un concert Bruckner, l’année passée. Ce fut pourtant une chance d’entendre le concert de ce soir dans l’acoustique de la salle Rainier II, sans perdre une note de la prestation violente de Marek Janowski. 

Un grand pianiste dynamique et nuancé. Le fait que le concert commença plus tardivement dans la nuit a peut-être aidé à donner à ce concert une dimension électrique propice à la musique prophétique de Beethoven. Entendues et réentendues, ces deux œuvres là sont bien au-delà de la simple « belle musique », et le septuor de jeunesse entendu à Prades n’en arrive même pas à la cheville. 

Emanuel Ax, malgré le petit accro du début, joue comme dans un enregistrement, c’est déjà énorme d’entendre toutes les nuances habituelles des plus grandes interprétations usées par la consommation (se reporter par exemple à la version signée Michelangeli, entre autres), c’est éviter toute frustration pour nos émotions de jeunesse. Mais il ajoute dans le final chaloupé, une dynamique bondissante personnelle, tandis que Marek Jarrousky a son coup de pinceau, dont on pourrait définir les caractéristiques en parlant de la terminaison du trille dans ce même dernier mouvement : à la fois énergique, hautaine et grandiose, marque du tempérament d'un grand chef. 

Emanuel Ax, puisqu’il joue avec la facilité d’un long métier, donne à la partie de piano une couleur de bibelot qui contraste avec la violence de l’orchestre, yin et yang. Tel fut le second  thème du premier mouvement, celui qui joue avec les harmonies naturelles des cors : martial à l’orchestre mais d’abord rivière de tendresse pour le piano. 

Emanuel Ax joue en bis la valse lente de Chopin (pas si lente), on y voit les mêmes qualités : une architecture orchestrale du son. Violoncelle, cordes d’accompagnement et chant s’invitent dans les dix doigts. Mais aussi raffinée soit-elle, cette valse est une danse de salon. A force d’être polissé comme du marbre, un grand pianiste peut cesser de toucher les cœurs.

Marek Janowski aime transmettre la force des grands prophètes. On dira de Marek Janowski que sa première qualité est de faire oublier que Beethoven est mort, de faire oublier qu’un orchestre du XX ème siècle joue, et de nous plonger dans la seule écoute de l’œuvre, claire, totalement assimilée, et d'une vision entraînante.  Alors que l’on connaît le coup de l’orchestre après le scherzo et qu’aujourd’hui nous n’en somme plus étonnés, Marek Janowski nous fait ressentir épidermiquement ce que vécurent le petit enfant, qui se blotti contre Schumann et qui lui dit « j’ai peur », ou ce dragon de Napoléon, qui le cœur palpitant se lève et crie dans la salle « Vive l’Empereur ». La fougue avec laquelle il joue n’est pas simplement la sienne, c’est celle de Beethoven, c’est Beethoven  qui nous parle. Peut-être Janowski fut-il emporté de zèle à cause de la belle énergie dont le pianiste avait fait preuve dans la première partie, peut-être était-il d’une humeur irascible, ce jour là, en parfaite symbiose avec le texte Beethovénien ? Mais en tout cas nombre de monégasques ont distingué cette interprétation de celle réalisée l’année passée dans le cadre de l’ « intégrale Beethoven ». La foule a su l’en remercier en se dressant d’un bond, pour une seconde fois dans l’année (cf. concert Villazon) 

Comparaison de deux grands chefs. Pour qui d’autre s’est dressée la foule ? Pas simplement pour Rolando Villazon, aussi pour le chef accompagnateur, Maurizio Benini. Profitons en pour faire la comparaison : Benini captive par sa lecture de l’œuvre d’une netteté toscaninienne. Il sait relever tous les effets théâtraux d’une ouverture, « la Force du destin de Verdi », et dirige l’auditeur comme un commentateur. Janowski utilise ce qu’il a de vie, de puissance et de souplesse, en lui, pour mettre en valeur la voix du compositeur. L’un est comme un acteur dont la personnalité ne s’efface pas devant le rôle qu’il joue, l’autre comme un acteur qui devient son rôle et fait oublier sa propre personne. Cependant prenons garde d’étendre trop loin cette souplesse « caméléon » de Janowski : il choisi généralement une musique adaptée à son caractère, principalement allemande et française selon ses goûts. Janowski ne se coule dans el moule que des auteurs qu’il aime.

Du reste tout est dit avec cela car c’est la seconde fois qu’en écoutant Marek Janowski surgit la sensation d’entendre parler l’œuvre, nous vous renvoyons encore pour cela au concert Bruckner de l’année passé à la Cour du Palais Princier. Est-ce un hasard que ce double renvoi ?  Ce soir,  la princesse Caroline était présente. Peut-être Janowski donne-t-il consciemment un plus « princier » aux concerts exceptionnels de l’été.

Palais princier de Monaco. Le 7 juillet 2005. Concert d’été du Philharmonique de Monte-Carlo. Bruckner par Janowsky. 
Ici le costume et la cravate sont de rigueur. La musique est chose sérieuse : le millier de personnes présentes dont Roger Moore, partagent ce plaisir élitiste d’être convié dans l’intimité princière, dans la cour du Palais monégasque. Parée de fresques comme une tapisserie, fenêtres aux proportions classiques (mais store modernes), tourelles toscanes et cheminée vénitienne (telle qu’elle n’existent presque plus dans la Sérénissime)… Devant la galerie d’Hercule (après avoir tué sa femme et ses enfants, le héros de l’Antiquité se fit ermite ici-même), les célèbres escaliers offrent une scène à gradins, idéale pour l’orchestre. 
Arrive la jeune et belle Janine Jansen qui sur un violon mythique, un Stradivarius ayant appartenu au compositeur, joue finement de Mendelssohn, le Concerto. Beauté du son (on en attendait pas moins de l’instrument), pianissimos de miel, douceur et transparence du style : l’instrument était princier dans un lieu princier. 

Surgit la musique de Bruckner. La puissance émotionnelle de l’orchestre désigne la maestria du chef, Marek Janowski, indiscutable meneur. Davantage qu’une figure de la direction musicale, c’est aussi un grand orchestre que nous découvrons ce soir. Il a donné sa mesure dans la montagne brucknérienne. Le thème principal est héritier du début de la neuvième de Beethoven. Philosophique, il est une puissance de la nature. Accord parfait (éclatante résonance harmonique !) bâti comme un thème de l’Or du Rhin de Wagner. Mais c’est aussi, dans sa ré exposition, un souvenir du tremblement de terre du début de la Passion selon Saint-Jean de Bach où les vents attaquent l’auditeur de toute part. Bach, Beethoven, Wagner : Bruckner relit et réinvente, gravement. Cette gravité vous touche perpétuellement. Et puis il y a cette force des couleurs, la magie des masses, ce scherzo étrange et grinçant et ce final que l’on croit nouveau mais qui est une gigantesque introduction au retour du premier thème. Bruckner avec son matériau simple est déjà dans le travail qu’accomplira Schönberg à l’aune du dodécaphonisme. Travail inépuisable, inépuisé, mais qui vous plonge dans des abîmes d’émotion. 
Au dernier étage du palais, dans une pénombre bleue, une silhouette écoute dans l’intimité de chez soi, est-ce la princesse de Hanovre, protectrice du philharmonique ?

Crédit photographique
© DR. Emmanuel Ax

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