samedi 5 août 2006

Festival Pablo Casals de Prades, les 2, 4 et 5 août 2006


Festival Pablo Casals de Prades. Les 2, 4 et 5 août 2006. Un couple d’exception : le pianiste Itamar Golan forme avec la violoniste Mihaela Martin, un duo mémorable: Sensualité du son, discours épique, symbiose des intentions.  Jeu des deux musiciens mais aussi leçon recueillie lors de l’Académie et portrait de Mihaela Martin, expliquant la sonorité au violon moderne pour Bach. Par notre envoyé spécial Cédric Costantino.

1. Deux concerts d’Itamar Golan
Itamar Golan souffre pour le son
Le mercredi 2 août, dans l’église du village de Molitg, on découvre une grande personnalité, Itamar Golan, dans la fantaisie en fa mineur de Franz Schubert  en compagnie de sa femme Natsuko Inoué. Excellente pianiste, avec beaucoup de force mais un jeu bien plus traditionnel, Natsuko Inoué n’est pas, à quatre mains, la moitié d’Itamar Golan, qui ne sait pas atténuer pour autrui, le travail d’une vie. 
Car s’il se tord, s’il transpire, s’il grimace, ce n’est pas par manie, ni par défaut ou par angoisse, c’est uniquement pour le son. Quel son ! la musicalité même, il suffit donc de ne pas regarder pour comprendre qu’un travail sur la corporalité, aussi laid soit-il, peut produire une musique d’une sensualité extraordinaire. 

Itamar Golan mène la danse. Dans la sonate pour violoncelle de Richard Strauss, en compagnie d’un Philippe Muller, pour l’occasion violoncelliste roque et virtuose, Itamar Golan mène une ballade folle. Il transcende l’esprit sauvage de l’imagination du compositeur. La musique hystérique et pourtant quelque part mozartienne, est l’extrême crépuscule de la musique viennoise.

Passion et maîtrise dans le piano d’Itamar Golan comme dans le violon de Mihaela Martin. Mais la rencontre la plus forte fut celle de ce pianiste et de la violoniste Mihaela Martin. On s’en est convaincu en écoutant le 4 août, au célèbre monastère de Cuxa, le trio d’Antonin Dvorak en compagnie du violoncelliste Frans Helmerson, d’un grande musicalité, mais comme guidé par les deux autres musiciens ; l’impression est qu’Itamar Golan dirige le trio par la puissance de sa partie de piano et que tous ses choix sont appréciés, assimilés ou simplement partagés par Mihaela Martin.

Mihaela Martin donne une générosité de son, alliée à la finesse du phrasé, toujours en adéquation avec les sentiments exprimés par le compositeur. Elle possède le sens de l’architecture de l’œuvre, le souffle de la phrase. Ces qualités sont les mêmes qu’Itamar Golan. Elle impose aussi une présence scénique autoritaire, hispanique, une sorte de passion et de maîtrise, deux qualités que l’on retrouve dans sa sonorité.

2. Une répétition passionnée
Or une répétition pour le quatuor opus 60 de Johannes Brahms (en concert le 5 août) donne la clé du rapport entre les musiciens. Un grand plaisir au festival de Prades est de déambuler dans le lycée du village (les auditeurs y sont conviés), où élèves et musiciens répètent : les uns prennent des cours, les autres enseignent ou préparent les concerts. Les sons tournoient et se mêlent dans les couloirs. On ouvre chaque porte sur un trésor : celui de la répétition de Brahms permet de comprendre comment Itamar Goalan au piano, Mihaela Martin au violon, Nobuko Imaï à l’alto et François Salque au violoncelle, travaillent leur œuvre, chacun approfondissant son jeu, mais à l’écoute des autres instrumentistes.

A ce niveau, tout n’est que suggestions et politesse entre confrères. Itamar Golan cependant dirige les discussions. François Salque prend un tempo lent pour une très belle phrase. Cachée derrière le piano et donc un instant sans nom de musicien, son éloquence et son émotion, nous a touché pour une seconde fois, confirmant définitivement qu’il est l’une des plus grandes figures de cet instrument. Mihaela Martin reprend la même phrase. Itamar Golan trouve qu’il faut aller plus vite. La violoniste est parfaitement d’accord, François Salque s’exécute. Mihaela Martin impose cependant un tempo juste un peu plus lent que la vitesse maintenant adoptée par le violoncelliste. Itamar Golan est parfaitement d’accord, la musique continue. Plus loin, c’est un phrasé : Nobuko Imaï le propose,  Mihaela Martin et Itamar Golan le discutent et l’adoptent. Les musiciens ne parlent pas un langage technique mais un langage physique, leur dialogue est celui des sentiments. Abordé ainsi, Brahms passionne, pas simplement l’auditeur, surtout les musiciens qui sont simplement beaux dans leur amour de la musique.

3. Une leçon à l’Académie de Prades
Mihaela Martin explique le « son Bach » sur violon moderne. Son vibré, pour ou contre, et comment ? Le violoniste se révèle pédagogue fine et imagée. 


Quelle sonorité on doit avoir pour jouer Bach ?  "C’est la question à laquelle une jeune fille doit répondre après avoir joué son allemande. Réponse psychologique mais peu connectée avec la technique d’instrument : « la sérénité ». La violoniste enchaîne :  « C’est une qualité de son, un son  Bach. Tu as un bon son de violon mais stylistiquement, trop de vibrato cache l’esprit polyphonique. Je ne suis pas adepte de jouer sans vibrato, car il faut aujourd’hui trouver un équilibre entre ce qui se pratiquait à l’époque où les instruments étaient autres (ce que reconstituent les musiciens baroques) et ce que l’on a maintenant, technique, cordes en acier, violons modernes.  Tu dois tout le temps te demander, est-ce que je vibre, est-ce que je ne vibre pas ? Par quels moyens je mets la sensibilité : est-ce que je fais un crescendo dans une note sans vibration mais avec l’archet où est-ce que j’ai l’espace pour mettre une vibration et est-ce que l’idée du compositeur est assez lyrique pour cela ? »

Clarté et vibrato d’archet. « Il y a des principes. En premier lieu, éliminer les doigtés compliqués, plus un changement de position est pur, plus c’est facile, plus c’est clair, et la clarté est à rechercher. Ensuite, il faut un vibrato d’archet, c'est-à-dire que c’est l’archet et non la main qui fait l’expression sur la note. Par exemple, il faut « s’éloigner » sur les appogiatures. Un autre principe est toujours d’analyser la musique : souvent chez Bach, il y a des marches harmoniques mais il faut savoir quand la musique change de chemin, et pour ce compositeur, les embûches sont nombreuses, c’est un maître des surprises. Il faut laisser son instrument un temps et chanter physiquement pour savoir quelle longueur donner à la phrase, lui donner sa spécificité naturelle et intéressante parce que pas trop carrée. » La jeune fille joue, et son jeu est ponctué de recommandations : « Ouvre, ferme ». 

Le violon imite le clavecin. « Je te conseille de t’imaginer que tu ne joues pas avec un instrument à cordes mais avec une  percussion qui aurait la possibilité faire parfois un legato : articule de façon « sèche » avec plus d’économie d’archet, que ta résonance soit celle des « timpani » ; fais sonner et laisse subitement le son mourir, pour imiter le son du clavecin qui meurt après la percussion de la corde. Donne plus de force à la note par cette idée percussive. » 

La polyphonie du violon. « Chez Bach, souvent, une idée est suivie de sa réponse, comme s’il s’agissait d’un autre instrument qui répond : il faut trouver une autre qualité de son, et c’est souvent une qualité de rondeur avec une sonorité plus foncée sur les basses. Cette sonorité est à obtenir avec l’archet et, en tout cas, pas avec du vibrato de la main. Cela donne deux couleurs différentes. Il faut distinguer la structure de l’ornement et poser ses coups d’archets en fonction du squelette harmonique. Chaque fois qu’il y a une dissonance, il faut plus de tension. » La jeune fille joue la cadence de la première partie de l’allemande : elle consiste à un accord franc suivi d’une péroraison plus détendue : « C’est décidé, c’est la fin à ce moment et après, c’est à jouer comme une improvisation, pour finir ».

Crédits photographiques
Itamar Golan et Mihaela Martin (DR)

 

Aucun commentaire: