dimanche 9 avril 2006


90 ans pour Dutilleux  - Six notes pizzicato, et ensuite une beauté quasi cinématographique où l’effet virtuose cède au cœur et le cœur au geste, tel est ce prélude sur un même accord. Voilà de la musique nocturne et ineffable dans un métier sans faille. 
« Des flammes », c’est ce que lance, émue de chanter devant le compositeur, la belle Annette Dasch dans ces Correspondances qui sont peut-être l’aboutissement de toute une poétique accumulée à travers le siècle par un grand sensible qui ne le dit pas. Ses choix pour cette oeuvre sont une danse cosmique hindoue qui s’adresse à Shiva, une lettre de Soljenitsyne à Rostropovitch et à sa femme, deux quatrains de Rilke sur le Timbre et le bourdonnement des gongs, des extraits de lettres de Vincent Van Gogh à son frère Théo qui s’achève sur la peur de devenir fou. Quels rapports entre toutes ces lettres ? Tout est à travers les textes, et non dedans, entre les mouvements, et non dans les mouvements. Les « Correspondances » faites entre les lectures choisies sont la « correspondance » que nous adresse Dutilleux. Car enfin peu importent même les textes choisis : d’autres auraient pu parler au cœur du poète musicien. C’est bien plutôt ce qu’il en fait, ce sont les rapports inconscients, situés exactement à cet endroit mallarméen : "Je dis: une fleur! et, hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tous bouquets."   
Dutilleux, peut-être, lui-même, ne peut exprimer ce qu’il y a dans cette œuvre qui touche autant le public et qui lui a donné d’emblée ce succès important. Il dit « des flammes » et aussitôt apparaît la fragilité de l’homme devant les éléments sonores ; il dit « 1974 » et aussitôt apparaît la violence de notre temps ; il dit « pour toujours »  et c’est, à travers le corps immense de l’orchestre, comme l’halène qui s’échappe de la bouche d’une Didon virgilienne ; il dit « gong ! » et à nouveau l’infini submerge l’auditeur ; il dit « bleu, verts-jaunes et verts-bleus » et c’est l’essence du monde qui surgit de la palette d’un Van Gogh. Mais l’interview que vous lirez vous montrera que c’est sans effort, sans recherche intellectuelle, c’est avec le métier appris et le cœur de la nature humaine. 
Comme celles du dernier Schütz ou comme ce Magnificat anonyme de la Bibliothèque de Sainte-Geneviève vers 1660, d’un vieux polyphoniste à la flamande qui se met au goût neuf des jeux d’orgues, ces pièces sonnent en apparence d’un temps plus ancien que leur date (2001 et 2003) mais dans le fonds, ont des tentatives que ne peuvent se permettre des auteurs moins rompus d’une très longue expérience, à l’image de ce solo des contrebasses dans le suraigu. 

100 ans pour Chostakovitch – nous avions dans la lettre à Slava de Soljenitsyne la présence de Rostropovitch, on avons le son avec le concerto pour violoncelle de Chostakovitch. Et Natalia Gutman était si terrifiante en force que l’on ne peut s’imaginer interprète plus adaptée à une œuvre, qui plus est, la jouant par coeur. Cette graine qu’est le thème célèbre, condensé d’énergie aussitôt prêt à germer, rien n’y résiste ! On est épuisé,  on est morts glacés dans la neige comme cet ami de Chostakovitch (le Quintette qui lui est dédié a les mêmes sons à son début) on est jetés dans la boue, dans l’ironie, dans le désespoir. Elle est la gardienne du goulag et sans tarder, en une demi-heure, elle nous ferre et referme derrière nous, avec la même clef qui l’ouvrit, la cellule au début.   

Crédit photographique
© Yannick Coupannec

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