Oui sacrée puisque son terrible père Nilakantha est si offensé qu'un jeune soldat anglais, Gérald, ait profané l'enclos saint où fleurissent les daturas, qu'il ne pense qu'à assassiner le sacrilège admirateur de sa divine fille, sans même voir qu'elle en est tombée amoureuse. Il le blesse au poignard, elle le soigne; l'appel des soldats résonne, le coeur du héros balance, elle comprend que l'aimé n'est plus le même, que "son âme n'est plus sur ses lèvres", elle mord une fleur de datura pour que la mort la lie à jamais à son Gérald. Comme il a bu à la coupe d'ivoire, désormais sacré, il n'est plus assassinable ! Mais quel chagrin !
Elisabeth Vidal
On trouve beaucoup de grandes voix sur les scènes, avec des timbres plus ou moins fabuleux, mais peu savent vêtir de poésie chaque mot. Quand on dit Poésie, on parle de multiplication de sens par l'instinct dramaturgique, la sensibilité, le charme, la perfection de la diction française. Elisabeth Vidal était toute Musique ! Toute en échos, en souplesses, en nuances... Son "reste encore un peu pour que le rêve ne s'achève" était tout simplement vécu. Atteindre au sublime lui est conféré.
Hélas, il faudra mettre un bémol à cet éloge. Elisabeth Vidal est très douée, elle l'a certainement toujours été et donc toujours été encensée. Elle peut, à juste droit, se demander pourquoi sa carrière n'est pas encore plus merveilleuse que ce qu'elle est déjà.
Quand on est une si grande musicienne, on intimide les critiques qui n'oseront dire ce qui fait de la peine. Il faut haïr ce métier pour avoir à écrire ces lignes : chez elle, comme chez beaucoup de gens qui ont le génie facile, on discene un manque d'exigence. Certaines rares notes sur les temps faibles ne sont pas suffisamment justes. L'habitude de vouloir éblouir en concert par des suraigus fortissimi spectaculaires, forcément ovationnés, l'ont peut-être fermée à l'avertissement de quelques oreilles externes : "attention Madame, la fréquence la plus basse de votre vibrato est déjà plus haute que la note à attendre !" Tout le monde le sait, personne n'ose l'exprimer à voix haute, mais sous cape cela sert d'argument aux jaloux - eux qui ne sont pas de vrais musiciens comme vous !
Et pourtant, en corrigeant ces moindres défauts, Elisabeth Vidal peut attendre à la perfection internationale.
Marc Barrard
Du métier aussi pour cette grande voix de basse attribuée au méchant brahmane. Sa superbe diction théâtrale, musicale, donnant de la voix, nous replongeait, avec celle d'Elisabeth Vidal, dans l'ambiance du Cyrano de Bergerac de Roberto Alagna dont on sait l'exigence extrême pour défendre et faire passer dans les oreilles du public la véritable déclamation française. Si les souvenirs sont bons, Marc Barrard était un fleuron de cette équipe ...
Leonardo Capalbo
Une diction très nette aussi et surtout un timbre d'une grande beauté pour ce jeune homme. Et pourtant dans la salle, des commentaires partagés : les uns sous le charmes, les autres cherchant à trouver ce petit quelque chose qui les gênait.
La pêche aux indices auprès des groupies d'opéra qui se tapissent souvent dans les loges, nous a permis de confirmer ce que l'on avait deviné : ce chanteur italo-américain ne parle pas un mot français !
Chapeau bas alors pour faire illusion ! Il faut saluer l'extrême soin de sa préparation de prise de rôle. Pour être aussi expressif, il a du étudier tous les interprètes qui l'ont précédé, étudier les sens des paroles, être scrupuleusement assidu aux études phonétiques. Il a si bien interprété son rôle que peu ont entendu dans le public qu'il n'était pas français.
Du r grasseyé et du r roulé dans le chant
Mais il a voulu tant être pointilleux, qu'il a exagéré ses nasales (les "en") et surtout les r grasseyés. Ces r donnaient l'impression (excusez la laideur de l'image qui veut simplement exprimer un point technique) qu'il "vomissait cette consonne". Cela était perceptible surtout en finale de mot et devant les consonnes dentales. Ce r provoquait un petit empétrement dans la beauté de la voix, à peine, mais quel dommage ! Il faudrait que, prenant exemple sur Elisabeth Vidal, il roule un tout petit peu ses r à l'italienne, comme fait, d'ailleurs, tout bon chanteur francophone, peut-être par tradition, surtout parce que dans la voix chantée l'effet du roulement est toujours atténué quand il parvient à l'auditeur.
Vraiment il s'agit d'un petit détail. Par l'expérience, il sera vite corrigé et si, dans le public, certaines personnes faisaient mine de ne pas le lui pardonner, c'est qu'au contraire elles ont été bluffées et ont cru de toute bonne foi qu'il était francophone. Voilà donc même un compliment, mais attention tout de même à ne pas casser la voix si fraîche par une technique d'émission trop boustée par la scène quand elle n'est pas encore aboutie dans la maturité psychologique.
A propos des costumes safran : pourquoi, quand on la chance d'avoir un jeune premier qui soit un vrai jeune premier - et c'est si rare ! - l'avoir habillé en sac à patate ! C'est de la jalousie ?
Conclusion sur Delibes et la musicalité du plateau
Cette musique a un parfum certain ! La simplicité des mélodies, qui pour les précieux passerait pour de la chansonnette, est toujours sauvée par le balancement rythmique typiquement chorégraphique de la phrase delibienne. Cette musicalité du compositeur a trouvé un écho dans la musicalité des interprètes choisis. Surtout Elisabeth Vidal, Marc Barrard et Leornardo Capalbo, des âmes sensibles. Mais aussi dans les rôles secondaires, jusqu'à la tendresse du petit esclave consolateur, père de substitution pour Lakmé qu'était Hadji. C'est donc un grand plaisir d'êtr auditeur à Nice ce soir...
Un écho aussi dans la fluidité du chef d'orchestre, Alain Guingal, qui a été ovationné par le tapement des pieds de tous les solistes, fait rare et notable. D'habitude les mains applaudissent de façon polie, ici tous ont manifesté l'évident plaisir de chanter sous sa baguette.
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